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Stratégies spécifiques à la dysfonction exécutive : la personne autiste et le changement d’activité

- Julie BOUCHONVILLE

Stratégies spécifiques à la dysfonction exécutive : la personne autiste et le changement d’activité

Aujourd’hui, comme promis, abordons un point central pour de nombreuses personnes autistes : comment se débrouiller pour réussir à arrêter une tâche et en commencer une autre sans avoir l’impression que le monde s’écroule et que tout est injuste.

 

La personne autiste et le changement d’activité

Nombreux sont les autistes qui, avant même de parler d’activité faite pour absorber notre attention comme un tour noir, ont du mal à cesser la tâche 1 pour enchaîner sur la tâche 2. Cette difficulté est bien sûr en lien avec notre sujet : éteindre un comportement, transitionner sur le nouveau, et faire tout cela au moment pertinent, c’est de la fonction exécutive[1].

Cette difficulté est amplifiée si nous avons la sensation que le changement arrive trop tôt ou de manière injuste : nous n’avons pas atteint l’objectif explicite initialement déterminé, ou pas pratiqué l’activité 1 autant de temps que prévu, ou de manière plus subtile, nous ne sommes pas dans l’état que nous voulions (implicitement) atteindre.

 

Il est donc capital, avant même de commencer une activité, de savoir comment l’on va valider la fin de cette tâche pour transitionner sur une autre, et ces critères doivent idéalement être tangibles, évidents, et aussi peu arbitraires que possible. Par exemple, l’activité « regarder un film » a une fin aisée à repérer : lorsque le film se termine. L’on savait avant de commencer que le film durerait à peu près 2 h, puis une fin narrativement satisfaisante est trouvée[2], le générique commence, etc. On pourrait bien sûr démarrer un second film dans la foulée, mais il est évident que le premier s’est achevé.

À l’inverse, des activités comme scroller Instagram, regarder par la fenêtre ou écouter une playlist/la radio n’ont pas de fin (aussi) tangible : l’on peut techniquement s’y livrer pendant des heures avec un minimum de relance.

Si les autistes ont naturellement du mal à transitionner d’une tâche à l’autre, c’est d’autant pire si la tâche 1 n’a pas de fin naturelle. Dans ce cas, c’est à nous que revient la responsabilité de fixer une fin arbitraire, d’une part, et d’autre part, il est probable que cette tâche n’ait aucun objectif à atteindre, si dérisoire soit-il. Or, si l’on n’atteint pas un objectif, on augmente le risque d’avoir le sentiment qu’on arrête la tâche « plus tôt que prévu ».

 

Exemples de changements d’activité difficiles

— Pomme joue à un jeu vidéo sur sa pause, elle est en train de récolter une ressource avec pour objectif d’en obtenir une quantité seuil. Quand elle possédera cette quantité, l’outil qu’elle désire améliorer pourra monter de niveau. Pomme pensait, en démarrant sa session, avoir le temps de mener cette opération à bien avant de reprendre le travail. Si en revanche elle doit reprendre ne serait-ce qu’une minute plus tôt que prévu, mais avant d’avoir pu finir sa récolte, cela lui sera très pénible.

→ Pour éviter ce problème, Pomme aurait pu se fixer un objectif moins ambitieux. Si ce sont ses collègues qui ont eu besoin d’elle avant la fin officielle de sa pause, elle aurait pu choisir de les ignorer le temps de terminer ce qu’elle faisait.

— Myrtille discute par messagerie avec des amis du collège, et sait qu’elle peut continuer cette conversation jusqu’à 14 h, après quoi son père l’emmène chez l’orthophoniste. Néanmoins à 14 h, son père qui est lui-même au téléphone lui dit qu’elle peut encore parler « un petit peu » avec ses amis, le temps que lui-même termine son appel. Myrtille continue donc, mais sans plus savoir quand aura lieu la fin de sa conversation. À 14 h 08, son père lui demande de se préparer pour l’orthophoniste. Myrtille est très mécontente de devoir s’arrêter et peine à y arriver. Son père lui reproche d’exagérer, alors qu’elle devrait être contente d’avoir pu parler avec ses amis plus longtemps qu’initialement prévu.

→ Pour éviter ce problème, le père de Myrtille aurait pu éviter de modifier la limite en cours de route, ou donner une nouvelle limite explicite à Myrtille (« cinq minutes de plus, mais à 14 h 05 tu dois ranger »), idéalement en en discutant avec elle — ce qui n’est pas pratique dans le cas que j’ai décrit, j’en ai conscience. Comme mentionné la semaine dernière, je mettrais dans l’absolu mon lecteur en garde contre les limites purement numériques : elles sont peu tangibles et leur côté arbitraire donne envie de les contourner. Après tout, si j’ai décidé que je ferais telle tâche pendant une demi-heure, j’aurais aussi bien pu décider de la faire pendant vingt minutes.

— Ananas rentre du travail assez fatigué et décide de lire dans le canapé quelques minutes avant de ranger ses affaires et d’aller prendre une douche. Qu’il l’ait conscientisé ou pas, Ananas est en train de lire pour atteindre l’état « moins fatigué que lorsque je suis rentré ». Si sa lecture le repose, il a une chance d’y arriver, mais si ce n’est pas le cas, par exemple s’il est fatigué parce qu’il est en dette de sommeil, Ananas vient de se mettre dans une situation où il ne peut qu’échouer, puisqu’à tout moment où il envisagerait d’interrompre sa lecture, il ressentirait la déception et la pénibilité d’arrêter une tâche plus tôt que prévu.

→ Pour éviter ce problème, Ananas aurait pu soit conscientiser sa propre réflexion et déterminer si son objectif implicite était atteignable, soit (ou en plus) ajouter une limite arbitraire plus tangible : nombre de pages, de chapitres, limite de temps, etc.

— Citron termine le travail tous les jours à 17 h 30. À 17 h, un collègue lui assigne une tâche qui ne semble pas difficile à accomplir aussi Citron démarre la résolution du problème en question. À 17 h 30, la tâche n’est toujours pas complétée, mais sa résolution semble proche. Citron travaille jusqu’à 18 h 30 avec une frustration grandissante, jusqu’à terminer la tâche ou atteindre un point où il est capable de déterminer que la tâche nécessite en fait plusieurs heures pour être complétée.

→ Les objectifs étant beaucoup plus tangibles que les limites de temps pur, Citron aurait dû démarrer la tâche avec plus de circonspection, en cherchant en priorité à estimer le temps nécessaire à sa complétion. Il aurait pu prévoir que son cerveau allait attacher plus d’importance à la complétion de la tâche (objectif) qu’au respect de ses heures de travail (limite de temps arbitraire) et donc se prémunir contre le biais en programmant un minuteur pour sonner à 17 h 30, en prévenant son collègue dès réception de la tâche qu’il ne la finirait sans doute pas le jour-même, ou en se fixant un autre objectif tangible, par exemple aller faire des courses dès qu’il aurait quitté le travail.

 

On voit qu’il est important de non seulement fixer une limite claire, mais aussi que chaque personne impliquée dans l’emploi du temps de la personne autiste en ait connaissance, et que les décisions liées à ces limites soient prises de manière éclairée.

 

Activité impossible à lâcher et boucle de dopamine : l’inertie autiste et TDAH

Une activité qui, dans mon expérience, est particulièrement difficile à naviguer pour un cerveau à la gestion suboptimale de la dopamine consiste à parcourir le fil d’actualité d’un réseau social. Le problème émerge en plusieurs étapes :

1) La personne commence par voir des publications qui lui plaisent, déclenchant à chaque fois une petite récompense de dopamine dans son cerveau

2) Comme elle apprécie ce qui se passe, elle continue

3) Les publications étant présentées de manière à proposer en premier celles qui sont plus susceptibles de plaire, à mesure que la personne s’enfonce dans le fil, les publications lui apportent de moins en moins de satisfaction

4) La personne se retrouve dans une situation paradoxale où elle se livre à une activité qu’elle associe avec de la satisfaction immédiate, tout en ne ressentant pas de satisfaction, ce qui amène de la frustration, ce qui la pousse à chercher de la satisfaction immédiate (c’est à dire, scroller pour trouver les bonnes publications)

5) Au plus la frustration est grande, au moins la fonction exécutive fonctionne bien, au plus le cerveau a du mal à interrompre un comportement pour en démarrer un autre

6) Si plusieurs applis similaires co-existent (TikTok, Reddit, Instagram, Facebook…), la personne peut même entrer dans une boucle où elle va d’appli en appli toutes les dix minutes

 

Bien sûr, tout le monde est susceptible de se retrouver piégé de la sorte, pas que les neurodivergents, mais les cerveaux qui ont naturellement du mal à réguler leur dopamine sont particulièrement susceptibles à la boucle décrite :

quête de satisfaction → satisfaction non atteinte alors que les conditions habituelles sont pourtant réunies → frustration → quête de satisfaction sans changer de méthode

 

Sortir de cette boucle est possible en mettant en place la stratégie expliquée au point suivant, et un check-up régulier peut aussi aider à rompre l’inertie. La personne peut simplement se demander si elle apprécie toujours ce qu’elle est en train de faire, ou si elle continue par pure inertie.

 

Mieux gérer une activité sans objectif ni fin tangible

Dans l’absolu, j’encouragerais mon lecteur à éviter ce genre d’activités, qui sont rarement aussi satisfaisantes qu’on se l’imagine. Ceci étant dit, je sais que moi-même je ne suivrais pas un conseil qui me dirait de les arrêter purement et simplement, aussi la version plus nuancée est la suivante : en cas d’activité de ce type, j’encourage mon lecteur à les corréler à une seconde tâche, qui elle a une fin tangible. Par exemple, si parcourir quatorze pages de ventes de boîtes à thé sur Vinted est ce dont je pense avoir besoin, je peux le faire en même temps que je regarde des épisodes d’une série que je connais déjà, et me fixer une limite par ce biais : trois épisodes et après j’arrête.

 

Conclusion

Les personnes autistes ont de base du mal à passer d’une activité à l’autre, mais le processus peut être fluidifié avec quelques bonnes pratiques :

— Connaître la limite de fin d’une activité avant de la commencer, toujours prendre un moment pour se demander consciemment ce qui nous servira de marqueur de fin

— Respecter cette limite de fin tant que possible, ne la modifier en cours de route qu’en cas d’urgence

— Se méfier particulièrement des activités qui n’ont pas de limite naturelle (les corréler avec une activité tierce qui, elle, en a une)

— Se méfier des limites de temps pur, qui sont moins parlantes que des limites plus tangibles comme des objectifs à atteindre

— En cas d’activité inchangée prolongée, prendre l’habitude de se demander si on est toujours en contrôle ou si l’on est piégé dans un comportement qui ne nous plaît plus tant que cela.

 

Dans mon prochain article, j’aborderai plus en détails des stratégies à déployer en cas de blocage.



[1]Ma spécialité personnelle quand j’étais petite : refuser d’interrompre ce que je faisais pour me préparer à faire un trajet en voiture, puis une fois arrivée à destination, refuser de quitter la voiture.

[2]Ou pas, ça dépend du film.

Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com


2 commentaires
  • Je vais envoyer un des paragraphes de cet article à mon employeur qui ne comprend pas pourquoi je déborde autant de mes horaires de travail. Il ne comprend pas que je n’ai pas la notion du temps.

    CATHERINE le
  • Très intéressant !
    Je n’associais pas du tout ces difficultés à des troubles de la fonction exécutive… explique comme ça je comprends mieux pourquoi je suis exténuée certains soirs 😁

    Lassailly le

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