Autisme, hérédité et nouvelles mutations
- Julie BOUCHONVILLE
Cette semaine, je propose à mon lecteur une brève pause dans notre examen de l’histoire de l’autisme, pour faire un détour du côté de la génétique de l’autisme.
Nous le savons, notre neurotype a souvent des origines génétiques : un parent proche est lui aussi neurodivergent, et peut-être même autiste.
Nous savons aussi, d’un autre côté, que certains facteurs environnementaux — comme l’âge du père, l’exposition à certains polluants pendant la grossesse, etc. — peuvent influencer les probabilités d’avoir un enfant autiste.
Pourtant, ces deux idées semblent contradictoires : si l’environnement est en cause, les facteurs héréditaires n’ont rien à voir dans l’histoire. Et si ce sont bien eux les responsables, quel impact peut avoir l’environnement ? Tâchons de comprendre la relation entre ces éléments, et commençons avec un gros rappel sur les bases de la transmission génétique.
L’héritabilité des traits : des mécanismes complexes
Il nous reste parfois du lycée et du collège une vision de l’hérédité très simple : un gène est transmis, ou pas, aux descendants d’un organisme. Si oui, il s’exprime d’une manière visible, et si non, son absence est notable elle aussi. On peut conceptualiser le phénomène ainsi dans un premier temps, pour comprendre le principe de transmission des caractères, mais c’est une simplification grossière, et dans les faits, les choses sont en fait beaucoup plus complexes.
Quelques éléments qu’il nous faut comprendre dès le début :
- Souvent, ce n’est pas un gène, mais plusieurs qui vont influencer un trait en particulier. La plupart des traits n’ont d’ailleurs pas de catégories discrètes, comme les groupes sanguins auxquels on appartient ou pas, mais bien une expression continue, un continuum sur lequel se placent les individus.
- L’environnement influence l’expression des gènes. Certaines prédispositions à des maladies ne sont jamais connues parce que l’individu a la chance de vivre dans un environnement sain. Des gènes prédisposant à une haute taille ne peuvent pleinement s’exprimer que si la personne a une alimentation correcte durant sa croissance.
- Comme les gènes qui codent un trait en particulier peuvent être nombreux, si deux parents ont deux versions d’un trait (plante à fleurs blanches et plantes à fleurs rouges, par exemple), parfois la progéniture présentera juste l’une des versions (fleurs blanches ou rouges), parfois elle aura une forme intermédiaire entre celles de ses parents (fleurs roses).
- Un gène peut être présent sans s’exprimer, et suite à sa transmission à la descendance, être exprimé chez cette dernière. Sans entrer dans les détails des mécanismes, tous nos gamètes ne sont pas porteurs de toutes les versions de nos gènes, et quand ils se combinent aux gamètes de notre partenaire pour créer un nouvel humain, un certain brassage et mélange se produit. C’est pour cette raison que deux enfants nés des mêmes parents ne sont pas des copies conformes l’un de l’autre.
Les mécanismes de la mutation
Types de mutations
La mutation est le moteur de l’évolution, car c’est elle qui introduit la diversité des gènes et donc des traits. Il s’agit, pour simplifier, d’erreurs de transcriptions dans notre code génétique. Ce code génétique, c’est la liste, dans l’ordre, des acides aminés utilisés pour créer les protéines qui nous composent[1]. Ce code va être lu comme une liste d’instructions par les mécanismes responsables de la fabrication de nouvelles protéines.
Imaginons qu’il y ait une erreur dans le code génétique. Le codon, c’est-à-dire le code qui spécifie un acide aminé et est « lu », devait indiquer un acide aminé, mais il a changé. Plusieurs options se présentent alors :
- La mutation est présente, mais n’a pas d’impact sur la protéine dans son ensemble[2].
- La mutation a un impact assez faible[3] sur le fonctionnement de la protéine, que ce soit en bien ou en mal[4].
- La mutation est telle que la protéine est très différente[5], inutilisable, ou pire, carrément dangereuse pour les autres protéines autour d’elles[6].
Le contexte de la mutation
Ces scénarios peuvent tous avoir plus ou moins d’ampleur. Imaginons un adulte, Ananas, qui décide d’aller bronzer et soumet donc sa peau à tout un tas de rayonnement UV, un mutagène courant. L’ADN des cellules exposées va se retrouver altéré par tous ces UV. Trop de mutations, et les cellules meurent rapidement : le corps est bien fait.
Certaines cellules ne vont en revanche subir que quelques mutations, pas assez pour déclencher la mort cellulaire. Elles vont donc continuer leur vie de cellules, ce qui implique la division cellulaire, c’est-à-dire le fait de créer deux cellules à partir d’une seule après avoir doublé le contenu de la première. Et les mutations génétiques apparues suite à ce bain de soleil seront transmises aux deux cellules filles. Qui, le moment venu, se diviseront à leur tour en quatre cellules filles. Qui en feront huit. Qui en feront seize. Etc.
Ici, nous avons une mutation qui apparaît dans une lignée de cellules données, alors que l’individu est déjà adulte. Cela peut être problématique, pas mal de cancers fonctionnent selon ce principe, mais ce sont des mutations à petite échelle : non seulement tout le corps de l’individu n’est pas concerné, mais il ne transmettra pas cette mutation à sa descendance.
D’autres contextes existent néanmoins. Si un embryon en cours de croissance est confronté à une substance mutagène et que l’ADN de ses cellules, ou même d’une ou deux cellules, se retrouve altéré, l’impact peut être massif puisque le développement embryonnaire est une phase très riche en division cellulaire, donc chaque cellule aura beaucoup, beaucoup de cellules-filles[7].
Si un gamète, c’est-à-dire une cellule utilisée pour la reproduction sexuée, par exemple un ovule, porte une mutation dans l’un de ses gènes, cette version mutée a une bonne probabilité d’être la seule transmise à l’organisme-fils né de cette cellule sexuelle[8]. Et c’est là que je reconnecte le fil de cet article au sujet qui nous intéresse : l’autisme et les mutations de novo.
Autisme et mutations génétiques
L’autisme peut se transmettre héréditairement, comme je le disais en introduction, nous le savons. Mais l’autisme peut aussi apparaître au sein d’une famille, et lorsque c’est le cas, la mutation ne peut avoir eu lieu que dans les gamètes d’un des parents, ou durant le développement embryonnaire.
Est-ce que cela a un impact sur le comportement de la personne autiste, ou la nature de son autisme ? Des tendances dessinent-elles une différence entre les premiers autistes d’une famille et ceux dont le neurotype est un héritage ? Les mêmes gènes sont-ils d’ailleurs concernés, c’est-à-dire, une personne autiste parce que l’un de ses proches l’est aussi présente-t-elle des mutations similaires à celles d’une personne qui est la première autiste de sa lignée, ou parle-t-on de mutations complètement différentes ?
Différences dans le comportement
Oui, on peut affirmer que les autistes issus de familles « simplex », c’est à dire, des familles où une seule personne est autiste, sont différents des autistes qui ont hérité de leur neurotype (issus de familles « multiplex »). Comme je l’aborderai au point suivant, il est possible que l’environnement joue un rôle : on peut supposer que les familles multiplex ont un comportement plus bienveillant vis-à-vis de leur enfant autiste, et que des tendances se dégagent ainsi, mais ce n’est sans doute pas la seule explication.
La grande tendance qui se dégage serait que les enfants autistes issus de familles multiplex peuvent être considérés comme plus impactés sur le plan des relations sociales, mais aussi qu’ils sont moins handicapés par leur autisme au sens large[9], parfois jusqu’à à peine passer le seuil diagnostic de l’autisme selon les outils utilisés[10]. En revanche, et c’est un biais intéressant mis en lumière par Lauren Taylor et al, ils sont souvent décrits comme plus sévèrement impactés par leurs proches, peut-être parce que leur entourage connaît bien son sujet et sait repérer les petites touches discrètes de l’autisme.
Différence dans les gènes
Le comportement de l’entourage ne fait clairement pas tout, pour la simple raison que les mutations qui mènent à l’autisme ne sont pas toutes les mêmes. J’avais initialement commencé une liste des mutations courantes dans les cas qui nous intéressent, avant d’être frappée par l’ampleur de la tâche, plus dizaines d’options se présentant à moi.
Je me contenterai donc d’affirmer à mon lecteur que les mutations en question sont différentes, ne concernant pas les mêmes gènes ou pas les mêmes modifications de la séquence d’acides aminés.
On notera, d’ailleurs, que ces mutations peuvent s’accumuler : une seule augmente la probabilité que la personne soit autiste, deux l’augmentent d’autant plus, trois, encore plus, etc. Bien sûr l’autisme n’est pas binaire, et l’on peut avoir de fortes caractéristiques autistes sans pour autant être considéré comme tel par le monde et/ou par nous-mêmes.
Et tout ceci, enfin, peut se combiner avec d’autres facteurs, environnementaux ceux-là, pour déclencher ou non l’expression « autisme » des gènes concernés[11].
Fréquence
Enfin, je me suis demandé quelles proportions tout cela représentait. Si j’en crois l’examen des bases de données effectué par Yoon et al[12], les mutations de novo sont responsables de 30 à 39 % des cas d’autisme (il existe une certaine part d’incertitude, car toutes les mutations responsables de l’autisme ne sont pas encore identifiées). Bien sûr une mutation de novo peut aussi se rencontrer au sein d’une famille dont l’un des membres est déjà autiste, ce qui brouille les pistes.
J’aurais aimé pouvoir proposer à mon lecteur une mesure quelconque que nous aurions comparée avec ce chiffre, lui dire quelque chose comme « ce chiffre de 30 à 39 % est assez cohérent quand on considère que 36 % des autistes souffrent de prosopagnosie, une caractéristique présente chez la plupart des autistes vivant au sein de familles simplex », mais je n’ai pas trouvé d’échantillons assez vastes permettant d’identifier des proportions précises pour quoi que ce soit. Même les résultats aux tests de QI, des tests assez standardisés, varient beaucoup d’un échantillon à l’autre.
Conclusion
Environnement, hérédité, qui fait de nous celles et ceux que nous sommes ? Les deux. J’espère avoir pu débroussailler le terrain pour mon lecteur. Nous héritons de certains gènes, et pour d’autres, nous sommes les premiers de nos familles à les porter. Ces gènes peuvent exprimer leurs traits, ou non, ou juste un peu.
A titre personnel, je trouve rassurant de voir que plusieurs situations et circonstances finissent par mener à l’existence de notre neurotype. Une pathologie qui serait causée par une unique mutation, comme la drépanocytose, me semble d’autant plus mériter le terme qu’un ensemble complexe de caractéristiques, variable d’un individu à l’autre, et auquel il est possible d’arriver en empruntant de multiples chemins génétiques. Une fois de plus nous pouvons le réaffirmer : nous ne sommes pas une anomalie. Nous sommes une variation qui, au vu de ses conditions d’apparition, me semble inévitable.
La semaine prochaine, nous reprendrons notre série sur l’histoire de l’autisme.
[1]Je simplifie terriblement.
[2]Cela semble étrange mais c’est souvent le cas, à cause des mécanismes génétiques impliqués et de la manière dont les protéines fonctionnent.
[3]Il existe par exemple chez les humains une mutation de l’hémoglobine qui confère à cette protéine une meilleure affinité pour l’oxygène en cas de pression partielle faible, par exemple en altitude. En gros, les gens qui ont cette mutation sont mieux adaptés à la vie en altitude.
[4]Bien sûr, à l’échelle de ce genre de mécanismes, « bien ou mal » n’a pas de sens, il n’y a que des différences.
[5]La drépanocytose est due à une substitution unique d’un acide aminé sur la molécule d’hémoglobine.
[6]C’est le principe d’un prion : un prion est une protéine « mal repliée », qui n’a pas une forme normale, et qui en entrant en contact avec d’autres protéines saines, va perturber leur équilibre et va les forcer à mal se replier à leur tour. Les maladies à prions n’ont pas de traitement connu.
[7]On appelle cela une mutation post-zygotique, et le résultat est un effet de mosaïque (mosaïcisme) chez l’individu concerné. Cette mosaïque peut se voir à l’oeil nu (très rare, il faut que les gènes concernés affectent l’apparence de la peau d’une manière ou d’une autre) ou n’être visible qu’au niveau génétique.
[8]Parce que tous les organismes pluricellulaires, dont les humains, sont issus de la division d’une seule cellule née de la fusion des gamètes de leurs deux parents. (Je simplifie.)
[9]Les autistes simplex ont de moins bons scores sur toutes sortes de paramètres, de la reconnaissance d’émotion au QI verbal. Cette étude détaille les résultats sur une série de paramètres : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4724369/
[10]https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1750946714002943?via%3Dihub
[11]https://molecularautism.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13229-017-0121-4#:~:text=According%20to%20recent%20evidence%2C%20up,be%20determined%20by%20environmental%20factors.