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Bien choisir son objectif d’éducation

- Julie BOUCHONVILLE

Bien choisir son objectif d’éducation

Que l’on soit parent d’autiste ou de neurotypique, voire même juste un adulte qui interagit avec des enfants, on est censé avoir un objectif d’éducation, une sorte de but qu’on garde plus ou moins en tête lorsqu’on apprend des choses aux enfants qui nous sont assignés.

Personnellement, élever des enfants est mon job quarante heures par semaine, et quand je suis en entretien d’embauche je mentionne toujours que l’un de mes objectifs majeurs est l’indépendance. Les parents choisissent en général de comprendre cela comme l’assurance que je vais apprendre à leurs enfants à attacher leurs lacets.

Je pense que quand on travaille avec des enfants, on peut choisir deux voies. La première est sans doute la plus confortable. Le but est d’obtenir quelqu’un qui ne crie pas, mange proprement, dort douze heures par jour, ne fait pas de vagues et surtout, surtout, fait ce qu’on lui dit. Un enfant obéissant qu’on n’a pas peur d’emmener au restaurant, qui fait ses devoirs, aime faire plaisir aux adultes autour de lui, peut jouer pendant des heures dans sa chambre en silence et n’est pas du genre à se mettre à crier dans le train parce que la texture de la housse du siège lui déplaît.

Cette voie serait parfaite si seulement les enfants étaient comme les peluches et pouvaient rester des enfants en permanence. La vérité est que, pour le meilleur et pour le pire, un enfant n’est qu’un adulte en devenir – et la dernière chose dont un adulte a besoin est de se montrer particulièrement obéissant.

La seconde est la voie plus compliquée, qui intègre la notion que parmi les aptitudes dont un futur adulte a besoin, « jouer dans sa chambre sans faire de bruit » ne fait pas partie du lot. Défendre ce en quoi on croit, remettre en question l’autorité, affirmer son autonomie et contourner les choses qui nous posent problème, en revanche, sont en haut de la liste.

 

Observons ensemble les répercutions de ce principe.

 

L’adulte obéissant

Quand est la dernière fois que vous avez rencontré quelqu’un et vous êtes dit qu’il ferait un excellent collègue/ami/partenaire amoureux/employé/voisin, si seulement il était plus obéissant ? Sans doute jamais, parce que si nous donnons en général de la valeur à quelqu’un qui comprend rapidement ce qu’on attend de lui, est dédié à sa tâche ou fait preuve d’empathie face aux problèmes des autres, l’obéissance pure ne nous intéresse pas. Même d’un chien on apprécie qu’il ait assez d’autonomie pour nous signifier quand il lui est impossible d’obéir à une demande. Pourquoi alors apprendre à nos enfants, de futurs adultes, qu’il est vital qu’ils fassent ce qu’on leur dit ?

Parfois on met en avant l’argument que c’est un apprentissage pour l’avenir : un enfant qui fait ce qu’on lui dit à huit ans saura en théorie obéir aux consignes de son employeur à vingt-huit. Je trouve cette explication des plus bizarres. Est-ce que son employeur lui donnera des consignes cohérentes, comme « telle partie du projet ne peut coûter que X, car notre budget total pour tout le projet n’est que de Y » ? Si oui, il ne lui demande pas d’obéir à une consigne : il lui demande d’être rationnel. Si non, sa consigne est purement arbitraire et c’est un très mauvais donneur d’ordres.

Lorsqu’on y réfléchit, on voit rapidement que les ordres qu’on peut donner à un enfant se divisent en deux catégories : ceux qui ont une explication rationnelle – et là encore on n’attend pas tant l’obéissance de l’enfant que sa compréhension – et ceux qui n’ont aucun sens. Si un parent décide d’instaurer des règles juste pour le plaisir de donner des ordres, son enfant peut difficilement être blâmé lorsqu’il oubliera ou refusera de les respecter.

 

En tant qu’adulte, être capable de désobéir est non seulement normal mais salutaire. Je n’entends pas par là « jeter l’agrafeuse au sol si mon boss me fait remarquer que j’ai oublié un détail » mais simplement être capable de nuancer les demandes qu’on nous adresse. C’est par exemple pouvoir refuser une invitation, préciser à un donneur d’ordre que le délai qu’il demande n’est pas réaliste, expliquer à un partenaire que même si ce n’est pas son tour de sortir les poubelles, ce serait cool qu’il le fasse juste cette fois ou expliquer à l’employé du cinéma que oui, on a bien compris que le pop-corn géant était à peine plus cher que le moyen, mais non, on ne le veut quand même pas.

C’est pouvoir se défendre quand les gens autour de nous font une erreur : qui n’a jamais reçu de facture trop élevée ou été accusé par un collègue d’avoir pris la dernière dosette de son café préféré ? Être capable d’expliquer que c’est la personne en face de nous qui se trompe et que nous sommes dans notre bon droit est une forme de désobéissance.

Bien sûr je n’ai pas encore parlé des situations où un adulte trop habitué à obéir se retrouverait face à une personne malveillante. De l’abus de confiance à l’agression sexuelle[1], on sait que les personnes autistes sont plus susceptibles que les neurotypiques d’être les victimes de personnes mal-intentionnées. Parce que les prédateurs les voient comme des proies faciles, parce que leur bienveillance naturelle et leur manque d’aptitudes sociales peuvent les pousser à ignorer ce que quelqu’un d’autre verrait comme un mauvais signe, parce qu’ils sont parfois dépendants d’autres personnes, les autistes sont une population particulièrement à risque dans ce domaine. Est-ce que dans ce contexte c’est sur l’obéissance que leur entourage doit insister ?

 

« Je ne suis qu’humain », la tirade du parent qui trouve que je me la coule douce

Élever des enfants neurotypiques n’est déjà pas facile, mais élever des enfants autistes est franchement complexe. J’ai conscience que dans ce contexte, on puisse être peu disposé à écouter une inconnue sur Internet qui ramène sa fraise en disant qu’il faut encourager un enfant à tout remettre en question et qu’on ne peut même pas lui ordonner de mettre un manteau quand il fait froid sous peine de le condamner à se faire un jour agresser sexuellement.

Suis-je en train d’affirmer qu’on ne peut jamais donner d’ordre ? Non.

Suis-je en train d’affirmer qu’on devrait toujours pouvoir être en mesure d’argumenter et que si un enfant est capable de contrer cette argumentation, peut-être qu’il faudrait l’écouter ? Jusqu’à mon dernier souffle, oui.

 

Il y a des circonstances où on ne peut expliquer à un enfant pourquoi il doit faire telle ou telle chose. Les situations d’urgence, d’abord, les cas où l’enfant n’a tout simplement pas la capacité cognitive pour comprendre, ensuite, et même les fois où on est fatigué parce que c’est la quatorzième séance de rhétorique de la journée et qu’il n’est même pas encore midi.

Qu’on soit dans une situation d’urgence ne veut pas dire qu’on n’a pas eu l’opportunité d’expliquer la règle par le passé ou de le faire dans le futur. Moi-même il m’est déjà arrivé d’attraper une mini-personne récalcitrante par le manteau pour la traîner hors du passage d’une voiture. Ce n’était pas le moment de discuter le pourquoi de notre utilisation des trottoirs. Mais nous avons eu cette discussion, après les faits, longuement et en détails.

Pareil pour les enfants trop jeunes pour comprendre : dans le doute, j’explique toujours. Je n’ai aucune idée de si un bébé de onze mois comprend ce que je lui raconte quand je lui dis que c’est dangereux de se mettre debout sur sa chaise. Je choisis néanmoins de parier que oui, et en même temps que je le ramène en position assise, je lui explique. A sa place, j’aimerais qu’on me laisse le bénéfice du doute, quitte à ce que je ne comprenne pas tout.

Oui, nous sommes tous humains. Des fois nous sommes fatigués, malades, à bout de nerfs, pas en état de débattre. Mais nous avons des responsabilités en tant qu’adultes de référence pour de mini-personnes : elles n’ont pas demandé à être là dans un monde compliqué à comprendre. Nous leur devons le minimum : si nous ne pouvons pas expliquer à ce moment, nous pouvons au moins leur dire que là tout de suite il est important d’obéir et que promis, promis, nous leur expliquerons plus tard, aussi longtemps qu’il le faudra. La bonne nouvelle c’est que si nous avons pris l’habitude d’être honnêtes envers nos enfants, ils nous feront assez confiance pour accepter cette proposition.

 

Et pour l’enfant incapable d’obéir ?

Nous avons tous vécu cette situation, d’un point de vue ou de l’autre. Un parent explique à son enfant qu’ils vont se rendre quelque part, peut-être au supermarché ou chez des amis. Il lui explique ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. L’enfant comprend et accepte de se plier aux règles parce qu’elles sont pertinentes. Tout le monde est plein d’espoir. Et une fois sur place, il ne faut que dix minutes pour que les excellentes résolutions volent en éclats. Que faire face à un enfant qui ne manquait pas de bonne volonté mais qui a du mal à obéir ?

Je pense que c’est prendre le problème à l’envers. Si le problème n’est pas simplement un mauvais contrôle des pulsions – ce qui selon l’âge est très possible – il est sans doute à chercher du côté des stimulations sensorielles. Un enfant autiste qui se roule par terre dans un supermarché n’est pas mal élevé ou n’a pas mal compris les règles. C’est selon toute vraisemblance un enfant sur-stimulé dont le cerveau a sorti les rames et fait de son mieux. Moi aussi parfois j’ai un peu envie de me rouler par terre au supermarché. J’ai trouvé comment résoudre le problème : je fais mes courses en ligne. Si une personne autiste, quel que soit son âge, se retrouve confrontée à une situation qu’elle ne parvient pas à gérer, il est infiniment plus sain qu’elle la contourne simplement plutôt que de se faire du mal à essayer d’apprendre à la supporter. On en revient à la désobéissance : l’ordre social dit que quelqu’un doit faire ses courses et aller dîner chez d’autres personnes et regarder les gens dans les yeux. L’autonomie c’est savoir quand désobéir à cet ordre pour préserver sa santé mentale et son bien-être.

 

Tendre vers la perfection

Personne n’est parfait. Ni les enfants, ni les adultes. Ce n’est ni grave ni même un problème, au contraire, ça veut dire qu’on peut partir du postulat qu’on se plantera parfois même avec les meilleures intentions alors autant se détendre directement.

Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas faire de notre mieux. Les membres de la nouvelle génération ont besoin des adultes pour comprendre comment naviguer le monde, leurs propres émotions et tout ce qui va avec – parce qu’un jour, dans pas si longtemps, ces mini-personnes seront les adultes. Donnons-leur la chance d’être meilleurs que nous.

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[1]Difficile de trouver des chiffes exactes, mais le consensus semble être qu’une personne autiste a entre 4 et 8 fois plus de chances qu’une neurotypique de subir une agression sexuelle au cours de sa vie.


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