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Cohabiter entre personnes autistes : est-ce possible ?

- Julie BOUCHONVILLE

Cohabiter entre personnes autistes : est-ce possible ?

La théorie de la double empathie nous suggère que les personnes autistes s’entendent mieux avec d’autres autistes qu’avec les neurotypiques. « Bonne nouvelle ! », s’exclament les concernés. « Il ne nous reste qu’à vivre en bancs ! » Sur le papier, cela semble excellent, mais il nous faut toutefois nous rappeler que la seule chose plus mentalement rigide qu’un autiste qui exige, par exemple, de prendre son petit-déjeuner dans le silence est un autre autiste, qui exige de prendre le sien en écoutant un podcast.

Sachant que nous avons tous et toutes des attentes très précises quant à notre environnement, pouvons-nous réellement espérer cohabiter ?

 

La théorie de la double empathie

Nous y avons dédié un article en janvier 2021[1], et j’invite mon lecteur à le relire pour plus de détails, mais en gros, la théorie de la double empathie nous propose de reconceptualiser les difficultés des personnes autistes relatives à la communication et aux rapports sociaux. Les expériences qui ont mené à la formulation de cette théorie suggèrent que les autistes ne sont pas si mauvais socialement que cela, au moins le sous-groupe des autistes ne présentant pas d’autre handicap, mais plutôt qu’on les juge continuellement sur leur capacité à entre en relation avec des neurotypiques. Ces derniers ont aussi de mauvais scores de communication et de tissage de liens lorsqu’ils doivent relationner avec des autistes. De même, les autistes s’en sortent plutôt bien lorsqu’il s’agit de communiquer avec d’autres autistes, suggérant que le problème n’est pas tant le neurotype auquel on appartient, mais plutôt la difficulté commune à tous les humains à entrer en communication avec une forme d’intelligence très différente de la leur[2].

 

Ceci ne signifie pas qu’il est impossible de nouer des liens forts avec des personnes au neurotype différent. Pour les autistes, souvent, ces relations sont inévitables pour de simples raisons statistiques : nous sommes en minorité écrasante, aussi nos amis sont tous susceptibles d’être si pas neurotypiques, au moins non autistes. Mais ces relations nous demanderont, peut-être, plus de travail de conversion, ou nous paraîtront moins intuitives, comme de devenir ami avec quelqu’un dont on ne parle pas la langue : avec de la bonne volonté, rien n’est impossible.

 

Les besoins spécifiques des autistes

Je ne l’apprendrai à personne ici, nous avons aussi des besoins spécifiques, généralement sur le plan de la routine et des stimulus sensoriels. Chaque individu est plus ou moins attaché à certaines routines, mais disons que pour la majorité des autistes, il existe une bonne manière de faire certaines choses, la leur, et tout un tas de mauvaises manières, qui sont inférieures. Sommes-nous capables de changer une routine si l'on nous expose qu’il serait plus efficace de faire autrement ? J’aimerais affirmer que oui, mais je vais devoir me contenter d’un « peut-être ». Pour certaines choses, c’est très possible, mais au-delà du simple aspect pratique, il faut garder à l’esprit que les routines sont des éléments à la fois sécurisants, parce que prévisibles, et reposants : nous n’avons pas besoin d’y penser, parce qu’elles se déroulent toujours de la même manière. Le cerveau autiste ayant tendance à être un peu court vis-à-vis de la bande passante, les choses qui se font sans réflexion de notre part sont les bienvenues, et nous ne sommes pas toujours prêts à changer un fonctionnement, même pour une alternative objectivement préférable.

La plupart d’entre nous entretiennent également un rapport complexe aux stimulations sensorielles : pourquoi est-ce que la caricature de l’autiste est une personne qui non seulement ne supporte pas le moindre bruit, mais aussi a tendance à crier gratuitement, alors que les deux sont contradictoires ? Parce qu’une même vérité sous-tend les deux comportements : nous tolérons mal certains stimulus, et en recherchons activement d’autres[3]. En soi, cela ne regarde que nous, mais le risque de conflit est grand quand on vit avec quelqu’un aux besoins tout aussi spécifiques[4].

C’est un problème d’autant plus ennuyeux qu’il est rarement mentionné dans nos représentations « classiques » de l’autisme, où l'on imagine la personne autiste entourée d’individus n’ayant que peu de besoins et prêts à aider leur proche en se faisant tout petits, pour ainsi dire, parce que l’effort ne leur coûte que peu. Dans les faits, non seulement on demande beaucoup plus aux autistes de s’adapter que dans cette vision idéalisée, mais surtout, tout le monde est humain, tout le monde a ses impératifs propres, et les neurodivergents se retrouvent à cohabiter, que ce soit pour de banales raisons génétiques ou par affinité.

 

L’art du compromis

Faut-il en conclure que les autistes sont condamnés à ne jamais être satisfaits, ne pouvant habiter avec ceux qui seraient susceptibles de les comprendre ? Non, bien sûr. Comme toujours, la vérité se trouve dans la nuance.

D’abord, ce n’est pas parce que deux personnes autistes se connaissent qu’elles doivent obligatoirement cohabiter. Cela peut paraître une évidence totale, dit comme cela, mais quand une personne autiste en rencontre une autre pour la première fois, il peut se produire une sorte de merveilleuse réalisation de type « quelqu’un qui me comprend merci seigneur je n’en demandais pas tant ! », et s’ensuivre une volonté de ne jamais laisser cette personne s’éloigner. Si les deux individus sont compatibles, tout va bien, mais il faut être prêt à se poser la question avec objectivité : le sont-ils ? On peut apprécier quelqu’un à tous points de vue, on peut même être investi dans une relation romantique avec cette personne, cela ne veut pas dire qu’on est forcément compatible au quotidien, dix heures par jour. Ce n’est pas grave en soi, mais il est pertinent de s’en rendre compte avant de voir qu’elle adore chanter en faisant la vaisselle ou porter des couleurs fluo[5].

 

Également, il faut se mettre à pratiquer l’art du compromis, qui n’est jamais aisé, mais est la clef de n’importe quelle relation réussie. Les autistes ne sont pas les plus doués lorsqu’il s’agit de lâcher du lest, en particulier si cela concerne une spécificité sensorielle : Ananas peut être prêt à tous les compromis du monde, si manipuler la poubelle lui donne la nausée parce que l’odeur est trop forte, ce n’est pas un état de fait qui changera en y croyant très fort.

C’est dans ces cas qu’il faut faire preuve d’imagination pour contourner les problèmes. Peut-être qu’Ananas ne vide pas la poubelle, mais qu’il peut faire autre chose à la place ? Peut-être qu’avec une poubelle de plus petit volume, vidée plus souvent, les déchets n’auraient pas le temps de sentir mauvais ? Peut-être qu’Ananas pourrait porter un masque FFP2 pour vider la poubelle ? Il est important de se détacher des idées préconçues : les neurotypiques ont leur manière de faire les choses, mais cela ne veut pas dire que ce soit la meilleure, ou la seule, à notre disposition.

J’encourage également mon lecteur à ne pas perdre espoir s’il devait comprendre qu’une personne qu’il pensait compatible ne l’est, en fait, pas. Oui, il est plus confortable de le découvrir à l’avance, mais en soi, un constat d’échec n’est pas une mauvaise chose : on a appris qu’il y a certains comportements avec lesquels on ne peut pas vivre, malgré toute la bonne volonté qui soit. C’est bien, et sain, de s’en rendre compte, et de se dire qu’on ne peut pas vivre dans un environnement qui nous rend malheureux.

 

Conclusion

Loin de l’image classique d’une famille nucléaire dont seul un enfant serait autiste, la réalité est souvent plus complexe, et inclut des cohabitations entre personnes aux besoins pas toujours compatibles. Il est néanmoins possible, au moins dans certains cas, de trouver des solutions — j’encourage une fois de plus mon lecteur à ne pas craindre un éventuel manque de légitimité, et à en parler à un professionnel spécialisé dans les relations familiales et sociales. Souvent, un arbitre extérieur peut non seulement porter un regard neutre sur une situation, mais aussi fournir des idées auxquelles les personnes impliquées n’auraient pas pensé d’elles-mêmes.

 

[1]https://bienetreautiste.com/blogs/infos/l-autisme-c-est-les-autres ?

[2]Je ne veux pourrir les espoirs de personne, mais cela en dit long sur ce qui se passerait si un jour nous rencontrions des extraterrestres.

[3]Sans compter que, dans mon exemple, je triche un peu : on peut être sensible aux bruits intenses et aimer soi-même crier très fort, parce qu’on ne peut pas être surpris par ses propres cris.

[4]Anecdote personnelle : je ne supporte pas les odeurs de cuisson et ressens souvent le besoin d’aérer les pièces, mais vis avec quelqu’un que le bruit indispose très vite. Lorsque nous habitions une rue très passante, les compromis étaient nombreux et intenses.

[5]Ou qu’elle refuse de faire la vaisselle. Ou que quelqu’un d’autre porte du fluo.


1 commentaire
  • Je supportais ma fille jour et nuit lorsqu’elle était chez moi
    Je supporte les personnes que j’invite 1/2 journée voir un peu plus
    Je ne supporte pas d’avoir toujours quelqu’un avec moi pour toutes les raisons que tu as décrit dans ton article qu’elle soit autiste ou non autiste.
    Lorsque j’invite des personnes chez moi parce que j’en ai aussi besoin je dois faire de gros efforts, l’invitation se passe toujours bien, lorsqu’elles partent je suis contente et je vais vite me plonger dans mes intérêts spécifiques pour faire retomber la pression emmagasinée.
    Un week-end sur deux j’accueille mes petits enfants que j’aime beaucoup et lorsqu’ils partent là aussi j’ai besoin de mes intérêts spécifiques.
    Donc pour moi c’est non je ne pourrai pas vivre en colocation avec un autiste.

    Ceresoli le

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