Dysfonction exécutive
- Julie BOUCHONVILLE
Aussi appelée « ergh, non, pitié », la dysfonction exécutive est l’un de ces aspects de l’autisme dont on parle peu, à l’instar de l’écholalie ou de la prosopagnosie. Pourtant, rares sont les autistes qui ne l’ont jamais rencontrée.
De quoi s’agit-il ? Peut-on lutter contre ? Y a-t-il un remède miracle ? Parlons-en !
Les fonctions exécutives
Avant de parler dysfonction, essayons de comprendre la fonction. Les fonctions exécutives sont un ensemble de processus cognitifs qui vont servir, si je simplifie très fort, à effectuer des tâches. Elles impliquent entre autre de :
- Décider d’un objectif
- Déterminer un plan pour l’atteindre
- Identifier les étapes qui constituent ce plan
- Les organiser mentalement d’un point de vue chronologique mais aussi d’un point de vue de pertinence (certaines étapes sont moins importantes que d’autres voire redondantes)
- Réagir si l’une des étapes du plan ne se passe pas comme prévu ou si des informations nouvelles nécessitent de modifier le plan
- Savoir ignorer les distractions lors de l’exécution d’une tâche
- Retenir et pouvoir manipuler les données nécessaires à l’exécution de la tâche en cours
- Avoir la flexibilité de passer d’une tâche à l’autre si l’imprévu survient ou si les circonstances changent
La dysfonction
On l’aura compris, la dysfonction, c’est lorsque ces processus ne se déroulent pas de manière correcte. Les causes peuvent être multiples : fatigue, sur-stimulation, état émotionnel perturbé, troubles tels que la dépression, l’autisme ou le trouble de l’attention, …
Comme la plupart des dys-, ce souci peut toucher aussi bien les enfants que les adultes. N’importe qui peut ressentir que ses fonctions exécutives ne sont pas en forme de manière temporaire : quiconque a déjà pénétré dans sa cuisine pour une tasse de thé, aperçu une montagne de vaisselle dans l’évier, et fait demi-tour sans thé parce que la vaisselle était impossible à ignorer voit de quoi je parle. De même, tout le monde peut parfois manquer de flexibilité pour passer d’une tâche à l’autre, ou être temporairement perdu en constatant que son projet ne peut pas se passer comme prévu parce que la première étape se basait sur une situation qui a changé entre-temps.
Néanmoins, si la dysfonction est fréquente, alors on va parler d’un trouble de la fonction exécutive et la personne en souffrant aura besoin de plus de prise en charge.
A quoi ressemble la dysfonction exécutive de l’intérieur ?
Imaginons que je veuille sortir me promener. Je dois ranger ce que je suis en train de faire, faire un saut aux toilettes, mettre mes chaussures, prendre mes clefs et mon téléphone, et éventuellement prévenir quelqu’un que je sors. Je dois aussi ignorer le chat qui miaule pour être brossé à chaque fois que je me lève[1] et me rappeler de passer à la pharmacie en chemin pour racheter des brosses à dents.
N’importe laquelle de ces étapes peut coincer. En début de tâche, cela peut se traduire par une volonté de s’y mettre mais une sorte d’étrange incapacité physique de démarrer. Je voudrais me lever, mais dans les faits, surtout si la tâche n’est pas très plaisante, je suis pour ainsi dire coincée dans ce que je suis en train de faire. Si mon activité en cours n’a pas de fin évidente – scroller sur Instagram ou lire, par exemple – cela peut durer des heures.
Je peux réussir à arrêter ce que je suis en train de faire mais avoir du mal à planifier la suite. J’ai la sensation d’une masse confuse d’étapes trop nombreuses pour être organisées. Si une personne autiste a déjà affirmé à mon lecteur que se préparer un café était « trop fatiguant » ou que sortir les poubelles était « trop compliqué », il y a fort à parier que c’était ce qui lui arrivait.
Je peux aussi oublier l’une de ces étapes, et me retrouver sous la pluie sans manteau ou sortir sans portable.
Ignorer les stimulus et les données inutiles me permet de rester concentrée et d’être efficace ; une difficulté à faire cela va me faire perdre du temps voire complètement oublier ce que j’avais prévu à la base. Par exemple je me lève pour sortir, le chat miaule, je le brosse, ayant mis des poils au sol je réalise qu’un coup de balai serait utile, en rangeant le balai je constate que je pourrais prendre les poussières tant que j’y suis, mais ce faisant je me rappelle que je devais sortir les poubelles, je sors les poubelles, en revenant je réalise que je n’ai pas encore pris les poussières et que le plumeau traîne, je range le plumeau, mais le chat aimerait à nouveau être brossé, etc, etc.
Si l’une des étapes de mon plan est perturbée, je dois aussi pouvoir réagir : imaginons que je ne trouve pas mes chaussures. Je dois les chercher. Cela implique de mettre en place un nouveau plan en quelques instants : me demander où je les ai enlevées la dernière fois, chercher dans des endroits de rangement alternatifs, ou décider quelle autre paire je vais porter, en sachant que je dois réfléchir à la météo, au confort en fonction des chaussettes que je porte, etc. Si quoi que ce soit déraille, je peux me retrouver bloquée devant mon étagère à chaussures, incapable d’agir. Je peux devoir annuler toute la sortie juste parce que je ne trouve pas mes chaussures, ou parce que j’avais prévu de mettre telle casquette qui est en fait à la lessive.
Pareil si au moment de sortir, je reçois un email de ma maison d’édition me disant que je devrais retoucher quelque chose sur un manuscrit ou confirmer ma présence quelque part : sortir est soudain impossible, parce que je suis incapable de hiérarchiser la priorité des tâches.
Mon proche a un trouble de la fonction exécutive. Comment l’aider ?
D’abord, ne pas le culpabiliser. On peut être tenté de perdre patience face à quelqu’un qui donne l’impression d’être paresseux, flemmard, inattentif ou de refuser de se concentrer. Mais ce n’est pas la faute de la personne si son cerveau a du mal à jongler avec ces fonctions, et lui crier dessus ne l’aidera pas à s’organiser, pas plus que des stratégies « dures » telles que « je m’en fiche si tu ne rends pas tes devoirs à temps, tu aurais dû y penser, maintenant si tu as un zéro ce n’est pas mon problème ».
Il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse : tout faire à la place du proche parce que cela lui simplifie la vie. Ce n’est pas lui rendre service que de l’habituer à de l’hyper-dépendance.
Comme toujours, la bonne marche à suivre est un équilibre entre deux extrêmes, où on vise la qualité de vie de la personne et son indépendance. Il faut l’aider à mettre en place des stratégies qu’elle pourra effectivement suivre.
Ces stratégies peuvent être diverses. Les supports visuels sont très utiles, en particulier pour les tâches nécessitant un tas de petites sous-tâches : se préparer pour sortir, réchauffer quelque chose au micro-onde, chercher des chaussures, etc. Un support rappelant les étapes dans l’ordre peut vraiment aider.
Un entraînement mental est aussi utile : apprendre à hiérarchiser les tâches, par exemple avec des exercices tout simples de type « tu dois préparer à déjeuner mais le téléphone sonne, est-ce que tu décroches[2] ? » ou « tu veux aller à la poste mais en passant devant la boulangerie, tu te rappelles que tu veux aussi acheter du pain ; comment choisir par quoi commencer ? ».
Prendre l’habitude de faire des listes (… et de les regarder) va aussi limiter les oublis, de même qu’utiliser un agenda avec fonction de rappel. On peut aussi instaurer un rituel journalier à heure fixe où on inspecte avec la personne ce qu’elle a déjà accompli et doit encore accomplir ce jour-là.
Enfin, entraîner la personne à faire des plans d’action, par écrit pourquoi pas, lui rendra aussi service : au plus elle pratiquera, au plus elle assimilera le mécanisme qui consiste à découper une tâche en étapes et à les organiser. Attention qu’il faut être très attentif à sa propre métaréflexion dans ces cas-là ! Ce qui se fait automatiquement pour une personne est en général complexe à expliquer, justement parce qu’on n’a jamais dû y réfléchir consciemment. Il convient de non seulement y réfléchir en amont mais aussi de toujours expliquer la mise en place du plan de la même manière, pour que le proche qui a plus de mal puisse l’automatiser à son tour.
Il est important de faire le moins possible les choses à la place de la personne, et autant que possible avec elle. On peut lui servir de rappel, par exemple, mais il y a un monde de différence entre lui rappeler six fois sur la journée « n’oublie pas d’aller chercher du pain ce soir » et lui proposer une seule fois « est-ce que tu veux que je te rappelle d’aller chercher du pain ? Si oui, dis-moi à quelle heure au plus tard je dois te le rappeler ».
J’ai un trouble de la fonction exécutive. Comment m’aider ?
En lisant la section précédente et en appliquant les principes à vous-même. J’encourage mon lecteur souffrant de ce trouble à faire appel à une ou plusieurs personnes de confiance afin de l’aider pour les notions qu’il ne peut apprendre sans assistance extérieure. Pas besoin d’un génie, juste une personne bien organisée fera l’affaire.
Il est aussi important de noter que ces troubles peuvent être liés à des problèmes de dosage de sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans de nombreux mécanismes neurologiques. Un déficit en sérotonine peut mener à toutes sortes d’effets handicapants, y compris au niveau de la fonction exécutive. J’encourage mon lecteur à en parler à son médecin, qui enquêtera entre autre en cherchant d’autres symptômes évoquant un déficit : anxiété, dépression, comportements impulsifs, faible appétit, insomnie, irritabilité, etc.
Des traitements médicamenteux et des interventions comportementales permettent de modifier le taux de sérotonine d’une personne.
En conclusion
La dysfonction exécutive, qu’elle soit fréquente ou occasionnelle, impacte très fortement la vie de ceux qui en souffrent. Si l’on ignore que ce trouble existe, il peut être tentant de percevoir les comportements qui y sont associés comme de la mauvaise volonté ou de l’inattention. Des stratégies pour améliorer le quotidien existent et, même si une personne ayant un trouble de la fonction exécutive ne gagnera sans doute jamais de prix pour son organisation hors du commun, elle peut néanmoins espérer pouvoir fonctionner correctement.
Je laisse mon lecteur pour aller me promener, une tâche dont j’espère réussir la mener à bien cette fois.
[1]Histoire vraie, ce chat a des problèmes
[2]Question piège : les autistes ignorent l’appel puis envoient un texto demandant à savoir ce qu’on leur veut.
Bonjour,
L’incapacité de réaliser le moindre taches (ranger, écrire du courrier,..) fait partie de cette sorte de dysfonctionnement ? Également pour personnes non attentes d’autisme.
Il existe une institution spécialisée dans cette sorte de problématique, hélas pas prise au sérieux.
Avec mes remerciements
Elisabeth Hirsch
Bonjour, je vous remercie pour votre article, j’ai un trouble dys exécutif et je l’ai découvert qu’à l’âge de 26 ans chez un neuropsychologue chez qui je venais chercher des réponses.
D’un coup tout mes problèmes du passé ont été mis en lumière mais on n’en connaît pas la cause ! J’ai fais des séances d’orthophonies pendant 6 mois à coup de 2x par semaines. Aujourd’hui cela va un peu mieux mais j’espère m’améliorer du côté de l’organisation où cela me pose toujours autant de difficulté, merci pour les conseils de votre article.