Existe-t-il une posture autiste ?
- Julie BOUCHONVILLE
Mon lecteur autiste s’est-il déjà entendu dire par son entourage de « tenir ses bras autrement » ou de « marcher normalement » ? A-t-il déjà noté que ses mains venaient naturellement reposer près de son torse plutôt qu’au niveau de ses hanches ? A-t-il dû désapprendre à se déplacer sur la pointe des pieds ?
Si oui, pas de panique ! C’est juste l’autisme.
Postures et besoins sensoriels
Avant d’attaquer les spécificités de ces « postures autistes », j’aimerais attirer l’attention de mon lecteur sur le pourquoi de leurs existences. Les postures, les gestes et les attitudes corporelles ne sont qu’en partie des décisions conscientes, et répondent le plus souvent à un besoin sensoriel. Un certain geste, une certaine posture, donnent une impression de confort ou de justesse, à un instant donné et dans un contexte précis.
Les autistes sont connus pour avoir des besoins sensoriels plus envahissants ou notables que ceux de leurs pairs neurotypiques, mais cela ne signifie pas qu’une personne neurotypique n’en a pas. La déduction logique de cela, c’est qu’une personne neurotypique, quel que soit son âge, peut tout à fait adopter plus ou moins souvent les postures et gestes décrits dans cet article, sans que cela suggère un quelconque diagnostic. Cela implique juste qu’elle a un corps.
La démarche autiste[1]
Dès les observations de Kanner, il a été noté que les autistes avaient tendance à paraître gauches ou maladroits, et que notre démarche semblait étrange. Plusieurs études ont suggéré que nous aurions tendance durant la marche à solliciter plus volontiers l’articulation de la hanche, et moins celles du genou et de la cheville ; que nous prendrions des pas plus courts et plus larges que les neurotypiques, ou que nos yeux bougeraient d’une manière inhabituelle[2] lors de nos mouvements.
Cependant, plusieurs études ont aussi suggéré que notre démarche n’est pas différente de celle des neurotypiques, que nos pas sont d’une largeur et d’une longueur tout à fait moyennes, et que nos chevilles sont aussi sollicitées que celles de n’importe qui. Si j’en crois la méta-analyse de Kindregan et ses collègues, les études ne valent pas grand-chose parce que les méthodes n’ont pas été les mêmes et les échantillons différaient beaucoup de l’une à l’autre, et les données affirment tout et leur contraire.
Il est très possible que les personnes autistes aient une démarche spécifique, et l’on considère même que marcher souvent/exclusivement sur la pointe des pieds passé l’âge de cinq ans est le signe que quelque chose se passe au niveau neurologique et/ou squelettique, mais les études menées sur la question n’ont pour l’instant rien identifié de définitif.
La posture autiste
Il est possible, bien que pas automatique, que les personnes autistes tiennent leurs corps dans l’espace d’une manière qui peut paraître inhabituelle ou maladroite, que ce soit au repos ou en mouvement. Ceci n’est pas inattendu, dans la mesure où notre proprioception est souvent un peu défaillante, ceci sans même parler de dyspraxie, un trouble de la coordination très courant chez les autistes. Il est possible d’améliorer la proprioception et de lutter contre la dyspraxie avec des exercices ciblés, qui bien qu’ils ne nous transformeront sans doute pas en patineurs artistiques de génie, sont néanmoins très utiles.
Autisme et bras de T. rex
De nombreux autistes adoptent une posture pour les bras qui semble peu naturelle : le coude est plié, le poignet cassé, la main est orientée soit vers l’avant, soit vers la ligne médiane du corps ou les clavicules. Les doigts sont relâchés, positionnés mécaniquement par le contact avec le buste ou détendus. Si tout le monde peut adopter cette posture de temps à autre[3], la maintenir longuement ou y revenir en guise de posture de repos semblerait plutôt typique de l’autisme[4].
J’y reviendrai dans un autre article, mais il est courant pour les parents inquiets de chercher à corriger cette position chez leurs enfants, cette dernière étant associée dans l’imaginaire populaire à « quelque chose qui ne va pas ». Mes échanges avec des tiers autistes et ma recherche de témoignages ont mené à de nombreuses anecdotes où des parents ont en substance intimé à leurs enfants d’arrêter de tenir leurs bras de la sorte pour ne pas « avoir l’air débile ».
Corriger les postures autistiques
Est-ce une discrimination de vouloir modifier la façon dont une personne autiste tient son corps ? Je ne pense pas, mais tout dépend du contexte.
Le fait de marcher très souvent en demi-pointe, a fortiori dès le plus jeune âge, peut abîmer les articulations du pied et de la cheville qui ne sont tout simplement pas faites pour cela. De plus, la préférence sensorielle peut être amenée par un tendon d’Achille trop court ou manquant de détente, une pathologie qui doit être prise en charge.
Tenir le dos et le buste dans des postures improbables pendant de longues périodes ne va pas causer de scoliose[5], mais peut aggraver une scoliose déjà présente, et de toute façon amener des douleurs aux épaules, au dos et à la nuque. Une personne qui n’a mal nulle part peut donc sans soucis se tenir « bizarrement », mais si des problèmes musculo-squelettiques existent déjà ou semblent en cours d’apparition, il convient de travailler à améliorer la posture.
Les bras en T. rex, enfin, ne posent pas de problème tant que la personne ne constate pas de douleurs ou de perte de mobilité qui y seraient liées. La posture peut imposer une certaine pression sur le nerf ulnaire, qui passe dans le coude, résultant en une perte de sensibilité ou l’apparition de fourmillements dans l’annulaire et l’auriculaire. Si l’on constate que la posture commence à amener des problèmes physiques, il convient d’y faire quelque chose, mais dans le cas contraire, l’intervention est inutile.
Encourager une personne à modifier la manière dont elle utilise son corps pour des raisons purement esthétiques me semble, en revanche, peu pertinent.
Si vous connaissez une posture ou attitude typiquement autiste qui n’est pas reprise ici, n’hésitez pas à la partager avec nous !
[1]Cette section est soutenue par les données de cette méta-analyse : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25922766/#:~:text=Children%20with%20ASD%20tend%20to,time%20in%20the%20stance%20phase.
[2]Les humains bougent les yeux très rapidement lorsqu’ils observent leur environnement, que ce soit pour un coup d’œil « réflexe », par exemple si l’on détecte un mouvement, ou volontaire, par exemple pour observer une image. Ces mouvements, que l’on appelle les saccades oculaires, répondent à certaines lois précises.
[3]Elle est, dans une certaine mesure, associée à l’homosexualité masculine et/ou le rôle social de « folle », et il est en outre courant de dormir avec au moins un bras agencé de la sorte.
[4]Frederica Malichovà, chercheuse à Cambridge, note dans un post qu’aucune étude ne s’est encore penchée sur la question et que la posture n’est pas considérée comme un symptôme de l’autisme, mais qu’elle nous est néanmoins associée. https://medisearch.io/blog/autism-and-t-rex-arms
[5]C’est la science qui le dit, maman : https://scoliosisclinic.co.uk/blog/does-poor-posture-cause-scoliosis/