Le genre de l’autisme - Partie 3
- Julie BOUCHONVILLE
Ces deux dernières semaines, nous avons parlé de l’autisme et du genre. Nous avons rappelé que le genre est une construction culturelle et qu’il est donc difficile de répondre à la question « les hommes autistes sont-ils différents des femmes autistes ? ». Nous avons néanmoins identifié que la différence majeure qui semble exister est que les femmes cis ont tendance à plus utiliser de camouflage social que les autres.
Nous n’avons néanmoins pas encore examiné en quoi être autiste peut modifier le rapport au genre. Penchons-nous aujourd’hui sur cette question.
Qu’en est-il des autistes qui ne sont ni des hommes, ni des femmes ?
Ils sont nombreux ! Il semblerait que les autistes aient plus tendance à voir leur genre comme une chose fluide, changeante, inexistante ou existant en-dehors de la binarité, et que les personnes trans[1], même celles qui n’ont pas de diagnostic d’autisme, aient plus tendance à faire preuve de traits autistiques[2].
(Notons toutefois que ce genre d’affirmation concerne toujours, au final, les personnes qui étaient plutôt aisées à interroger. Cela implique que les autistes vivant en institution, ayant un QI plutôt bas, ayant des troubles de l’apprentissage très impactant etc., ne sont pas ou peu représentés dans ce genre de statistiques. Ceci n’est pas un reproche que j’adresse au monde scientifique, il est compréhensible de préférer un échantillon de population accessible à celui dont on n’est pas sûr de pouvoir le joindre, mais c’est une nuance qu’il nous faut garder à l’esprit.)
Un élément intéressant concernant l’autisme chez la femme et l’identification au genre féminin est effectivement lié aux rôles de genre dont on parlait la semaine dernière : le parcours de chaque personne est bien sûr différent, mais il ne paraît pas ridicule de postuler qu’un des premiers éléments pouvant pousser une personne autiste assignée femme à remettre en question son appartenance à ce genre soit justement les nombreuses attentes liées à la sociabilité et à la charge mentale qui pèsent sur les femmes. Je ne suggère pas ici une attitude de type « non merci » qui pousserait ces personnes à choisir un genre différent[3], mais plus une réalisation que se conformer à ces attentes n’apporte aucune joie, et que cette absence de satisfaction est le signe de quelque chose[4].
On notera aussi l’existence d’une identité de genre qui existe sur le spectre de la non-binarité et qui implique la notion d’autisme : je l’ai surtout vue appelée « autigender »/ « autigenre » et « neuroqueer »[5], mais comme tous les néologismes, ces termes sont susceptibles d’évoluer un peu avant de se fixer. L’idée de ces termes est de définir une relation au genre inévitablement affectée par le neurotype de la personne. Dire « je suis neuroqueer », c’est au fond dire « je ne peux concevoir mon genre qu’à travers le prisme de mon neurotype, qui affecte ma relation tant à ma propre identité de genre qu’au concept de genre au sens large, ainsi qu’aux diverses attentes que la société pourrait placer sur moi en fonction du genre qui m’a été assigné à la naissance »[6].
Un point intéressant est que comme ces termes sont porteurs d’une idée de relation au genre, certaines personnes les utilisent pour qualifier leur identité de genre (« Je suis un homme autigenre »)[7], et d’autres s’en servent comme d’une identité de genre (« Je suis autigenre »). Les deux sont, bien sûr, parfaitement valables.
Conclusion
Comment conclure ce texte monstrueux par sa taille si pas par son contenu ? J’ai dû longuement discuter du genre pour arriver à l’idée que, dans l’autisme au moins, le genre n’a finalement que l’importance qu’on lui donne. Le fait est qu’il nous est impossible de comprendre tout l’impact d’un trouble du développement sur une notion si ancrée dans la neurologie et la psychologie qu’est l’identité de genre, tout comme il nous est impossible d’apprécier pleinement l’impact des injonctions liées aux genres perçus sur un cerveau en développement, qu’il soit autiste ou non. Il nous faudrait pouvoir comparer avec des humains de réalités parallèles, et personne n’a le budget adéquat pour ce type d’études.
S’il s’agissait de formuler une suggestion, je proposerais à mes lecteurs de toujours se méfier des spécialistes de santé qui semblent penser qu’être une femme protège contre le TSA, ou rend toute demande de diagnostic suspecte. L’idée qu’on ne puisse pas faire quoi que ce soit parce que l’on n’est pas un homme, quand bien il s’agirait d’être autiste, est ridicule dans son fondement même.
J’achèverai donc cet article sur mon type de conclusion préférée. Est-ce que le genre impacte l’autisme ? Oui et non. Ca dépend.
[1]On définit cela comme une personne qui n’utilise pas/ne s’identifie pas au genre qui lui a été donné à la naissance. Cela implique les personnes trans binaires (« ma famille pensait que j’étais une femme mais en fait je suis un homme ! » et les personnes trans non-binaires. A noter que certaines personnes rentrent dans la définition sémantique de « trans » mais n’ont pas envie d’utiliser ce terme pour se décrire.
[2]J’encourage mon lecteur à jeter un coup d’oeil à cet article, plutôt complet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Identit%C3%A9_de_genre_des_personnes_autistes
[3]Encore que, je suis très partisan de l’idée que le genre est un artefact complexe construit certes avec une donne de départ, notre ressenti initial, mais que le choix conscient peut être l’une des composantes de cet artefact.
[4]Attention : certains militants anti-trans utilisent une rhétorique proche pour suggérer que les hommes trans sont des « femmes qui se trompent » parce que « traumatisées par le patriarcat », en gros, et que si la société n’était pas aussi sexiste, ces « femmes » ne seraient pas « obligées de devenir des hommes ». Ce n’est pas mon propos. Je soulève juste la possibilité qu’un manque d’euphorie ressenti dans des situations de conformité aux rôles du genre assigné peut être un jalon sur la voie vers la découverte d’une identité de genre satisfaisante.
[5]https://stimpunks.org/2022/09/25/autigender-and-neuroqueer-two-words-on-the-relationship-between-autism-and-gender-that-fit-me/
[6]Digression linguistique : c’est pour ça que les néologismes sont importants. On gagne tellement de temps.
[7]Quand on pense que certains s’émeuvent encore du pronom « iel »… attendons qu’ils découvrent où en sont les autistes pendant ce temps.