Les enfants indigo
- Julie BOUCHONVILLE
Qui se souvient des enfants indigo ? Dans les années 90 à 2000[1], les cercles new age ont diffusé ce concept au parfum de nag champa et de complotisme. Le principe, dans ses grandes lignes, était que le monde allait accueillir un nouvel âge, préparé par l’arrivée d’enfants aux pouvoirs mystérieux qui naissaient de par le monde. Les traits de ces enfants étaient, bien sûr, étrangement proches de ceux de l’autisme et/ou du trouble de l’attention.
Retour sur ce vaste mouvement.
La genèse du concept
Dans les années 70 et 80, Nancy Ann Tappe, une médium, et son élève, Barbara Bowers, publient plusieurs ouvrages sur l’idée que les humains ont une aura colorée, visible par certaines personnes, et que ces auras[2], bien que changeantes, comportent en général une couleur stable tout au long de la vie de la personne. Cette couleur serait riche en informations pour celles et ceux capables de la percevoir, l’individu turquoise étant bien sûr très différent du rose pastel, par exemple.
Nancy Tape mentionne dès la fin des années 60 qu’elle remarque que de plus en plus d’enfants naissent avec, comme couleur constante ou « couleur de vie » selon sa terminologie, l’indigo, et en 1998, le couple influent dans la sphère new age composé de Jan Tober et Lee Caroll publie un livre qui associe l’idée d’une nouvelle ère avec ces nouveaux enfants.[3]
Il est important de noter que quand Nancy Tappe mentionnait voir « de plus en plus » d’enfants indigo, elle ne parlait pas d’une banale augmentation : selon elle, 80 à 90 % des enfants nés depuis la fin des années 70 étaient des enfants indigo, une information qui n’a pas toujours bien circulé puisque beaucoup d’outils « de dépistage » par la suite ont mis en avant que l’un des traits de la personne indigo était de se sentir à part, différente de ses pairs ou incomprise par eux — ce qui semble étrange dans un contexte où tout le monde ou presque est indigo.
Qui étaient les enfants indigo ?
Selon le théorème initial, les enfants indigo étaient censés être brillants, doués d’intuition, et très, très prompts à la rébellion : l’avènement de la nouvelle ère susmentionnée ne se ferait qu’en remettant systématiquement en question l’actuelle et ses dogmes. Les enfants indigo étaient donc en gros censés être un peu insupportables, mais utiles, puisque leur volonté de changement et leur incapacité à supporter l’injustice ou les traditions périmées permettraient d’atteindre un monde meilleur.
Pourquoi les enfants indigo ont-ils débarqué dans les années 70 ?
Soyons honnêtes, la réponse la plus probable à cette question est sans doute « parce que c’est vers cette époque que Nancy Tappe y a pensé ». Cette période historique est celle de l’arrivée du new age, une forme d’ésotérisme typique de l’occident, bien trop riche et complexe pour être détaillée ici, mais clairement orientée vers la spiritualité et la remise en question des valeurs qui avaient prévalu dans les années 50 et 60. Qu’au milieu du bouillonnement culturel que cela représentait, quelqu’un ait eu l’idée[4] d’enfants rebelles qui allaient changer le monde n’est pas surprenant.
Ceci dit, une explication cohérente avec le folklore new age est tout simplement que le moment était le bon. Le monde était prêt pour ce changement, le terrain avait été suffisamment préparé, et l’heure avait sonné.
L’arrivée en France du concept
Si l’idée existe depuis les années 70 grâce à Nancy Trappe, c’est surtout dans les années 90 et 2000 qu’elle se répand à grande échelle, et en France, elle n’explose qu’à partir de 2008[5].
Deux grands facteurs sont, à mon sens, responsables de l’importation en France de ce concept : d’abord, les publications de Lee Caroll et Jan Tober, assez rapidement traduites en français, offrant un socle informatif accessible[6] qui a « préparé le terrain », pour ainsi dire.
Ensuite, le terreau fortement psychanalytique sur lequel poussait le monde de la santé mentale en France, fin des années 90 et début 2000, terreau qui avait tendance à chercher des coupables lorsqu’une personne présentait un quelconque trouble mental — et qui les trouvait souvent parmi les parents et la famille proche. Nous y reviendrons, mais pour des familles présentant une appétence pour les médecines douces ou alternatives, l’arrivée d’une explication non culpabilisante et plutôt valorisante pour les comportements jugés problématiques de leurs enfants a dû représenter un soulagement immense.
France et pseudoscience
D’autres facteurs, qui ne sont pas typiques de la France, qu’on peut aussi citer : l’échange d’informations et la création de communautés en ligne dès lors que l’usage de l’ordinateur domestique s’est répandu, participant sans doute au boom de 2008, la méfiance envers les traitements médicaux à destination des enfants, en particulier les traitements les plus lourds comme ceux pour le TDAH, et en général envers les institutions médicales.
Il est intéressant de noter qu’en France, la notion d’enfants indigos a trouvé un terreau unique : un examen de Google Trends suggère que le mot-clef « enfant indigo » y a été plus recherché[7] que dans d’autres pays francophones (Suisse[8], Belgique, Canada), et y est actuellement toujours plus recherché qu’aux États-Unis[9], pays dont l’idée est originaire.
Ayant planté ce décor, je laisse mon lecteur sur sa faim. La semaine prochaine, nous discuterons des liens qui existent entre enfants indigos et enfants autistes, et pourquoi il est dangereux de se laisser convaincre que l’on n’est pas du tout neurodivergent.
[1]1990 pour les pays anglophones, environ dix ans plus tard pour les pays francophones.
[2]Par soucis de transparence, je précise ici que Nancy Tappe était censée être synesthète, c’est à dire que son cerveau associait des stimulus sensoriels pourtant sans rapport, et qu’elle ne voyait pas tant les auras qu’elle percevait une « énergie » ou une « vibe » que son cerveau traduisait en la couleur indigo.
[3]Intitulé « The indigo children : the new kids have arrived », traduit en français par « Les enfants indigo : enfants du 3ème millénaire », publié chez Ariane.
[4]Sincère ou non, je ne pense même pas que ce soit la question.
[5]Source : Ngram Viewer pour les mots-clefs « indigo children » et « enfant indigo ».
[6]« Les enfants indigo » se vend à plus de 50 000 exemplaires dans toute la francophonie, dès 1998 soit avant qu’Internet soit une source d’information aisément accessible au grand public.
[7]https://trends.google.fr/trends/explore?date=all&geo=FR&q=enfant%20indigo&hl=fr
[8]https://trends.google.fr/trends/explore?date=all&geo=CH&q=enfant%20indigo&hl=fr
[9]https://trends.google.fr/trends/explore?date=all&geo=US&q=indigo%20children&hl=fr
L’institutrice de maternelle de ma fille m’avait dit que ma fille était une enfant indigo, mais à l’époque je n’y ai pas prêté attention, je ne connaissais pas ce concept. . 20 ans plus tard, (apres 10 ans de mal être et d’errance diagnostique) ma fille a eu son diagnostic d’autisme. On peut dire que cette instit a été la première à poser le diagnostic en quelque sorte :)