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Pourquoi on n’utilise plus le qualificatif « Kanner »

- Julie BOUCHONVILLE

Pourquoi on n’utilise plus le qualificatif « Kanner »

Mon lecteur se rappelle peut-être de notre article de décembre dernier, qui aurait pu être sous-titré « rentre chez toi, Hans »[1]. Celui de cette semaine est un peu son compagnon. Pendant des années, on a qualifié certains autistes comme « de Kanner » ou juste « Kanner », exactement comme on a pu utiliser « Asperger » comme une sorte de précision.

Était-ce plus pertinent ? Qui était Léo Kanner ? A-t-il lui aussi fricoté avec des nazis ? Peut-on à nouveau classer les autistes en deux catégories ?

Abordons, une fois de plus, ces questions ensemble.

 

Léo Kanner

Léo était un médecin et psychiatre né en Ukraine et ayant fait ses études en Allemagne avant de migrer aux USA après la première guerre mondiale – et dans la mesure où il était Juif, c’était dans l’absolu une bonne idée. Il s’est rapidement intéressé à la psychiatrie infantile mais aussi à des causes plus sociales comme la manière dont les personnes souffrant de problèmes mentaux étaient traitées à son époque[2]. Il est en outre connu pour avoir sauvé des centaines de médecins Juifs d’Europe en mettant en place un système dans lequel il leur trouvait des postes aux États-Unis, ce qui leur permettait de quitter le continent[3].

 

Son travail sur l’autisme commence lorsqu’il travaille avec un groupe d’enfants, intelligents mais faisant preuve d’un « profond désir de solitude » et d’une « insistance obsessive pour la routine ». Son échantillon de onze enfants était réduit mais en 1943 il publia un article[4] qui fut effectivement le début de l’étude de l’autisme.[5]

Les termes « autisme » et « autistique » étaient à cette époque utilisés pour décrire certains aspects de la schizophrénie chez l’adulte, cela correspondait à des comportements de replis sur soi, mais Léo Kanner a déterminé que ces enfants n’étaient pas schizophrènes. Il s’agissait selon lui de quelque chose qui n’avait pas encore été décrit[6]. Ce « syndrome de Kanner » est devenu ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de trouble du spectre autistique.

 

Asperger vs Kanner

Sur les onze enfants avec lesquels Kanner a travaillé, la majorité avaient été amenés à un médecin parce que leurs parents craignaient qu’ils soient sourds, muets, ou souffrant d’un handicap mental. Tous ces enfants avaient un langage anormal : ils ne parlaient pas avec leur bouche, ou essentiellement sous forme d’écholalie, ils s’exprimaient avec des bruits, avaient du mal à comprendre qu’un même mot pouvait servir dans plusieurs contextes, ne savaient pas utiliser les pronoms correctement, etc.

Kanner avait de plus eu du mal à évaluer précisément l’intelligence de ces enfants : s’ils manifestaient de la curiosité envers certains aspects de leur environnement et comprenaient très bien certaines choses, ils ne coopéraient pas lorsqu’il s’agissait de passer des tests et avaient tendance à ignorer les personnes autour d’eux, y compris lorsqu’elles tentaient de donner des instructions. Il semblait à Kanner que ces enfants ne manquaient pas d’intelligence, et les résultats de ceux qu’il a pu tester allaient dans ce sens, mais leur total désintérêt pour les relations sociales rendait cela difficile à percevoir.

Si mon lecteur s’en rappelle, Hans Asperger avait lui travaillé avec des enfants au profil un peu différent : ses « petits professeurs » parlaient plutôt trop que pas assez.

 

C’est sur cette différence, au demeurant arbitraire, qu’on a construit la distinction Kanner/Asperger que mes lecteurs les moins jeunes ont pu connaître : les bons autistes, ceux qui parlaient et qui ne bavaient pas, étaient des autistes Asperger et ils n’avaient pas besoin qu’on les aide. Les moins bons, ceux qui répétaient les questions plutôt que d’y répondre et criaient quand ils voyaient l’aspirateur, étaient des autistes de Kanner. Et il fallait les interner, idéalement.

L’autisme « de Kanner » a parfois aussi été synonyme d’autisme infantile, c’est à dire, un TSA qu’on repère avant les trois ans de l’enfant. Pour clarifier, cela n’implique pas forcément un autisme « plus grave » ou très différent, juste un développement qui attire plus l’attention (et, potentiellement, des parents plus attentifs) : un enfant qui ne pointe pas du doigt, qui ne joue pas à faire semblant, qui n’oriente pas son corps lorsqu’il comprend qu’on va le prendre à bras, etc[7].

 

Cette façon de distinguer deux « types d’autisme » s’est essentiellement concentrée sur le critère du langage parlé, comme on le voit, alors que si on prend de recul ces deux aspects de l’autisme avaient quand même beaucoup plus en commun qu’ils n’avaient de différence. Quelques éléments présents dans les deux catégories :

- Les enfants préféraient les animaux ou les objets aux personnes

- Ils possédaient une capacité hors du commun à s’absorber dans les activités qu’ils avaient choisies

- Ils éprouvaient des difficultés à se concentrer sur des tâches qu’ils n’avaient pas choisies

- Ils avaient du mal avec les relations sociales au sens large

- Ils se déplaçaient avec des mouvements gauches

- Ils étaient susceptibles d’avoir souffert de retard de développement moteur

- Au moins un membre de leur famille (mais souvent plusieurs) pouvait raisonnablement être suspecté d’être lui-même autiste

- Leurs contacts visuels n’étaient pas terribles

- Ils utilisaient de l’écholalie

- Ils souffraient de troubles digestifs

- Ils souffraient d’hypersensibilité sensorielle

 

(Ce dernier point est une interprétation personnelle : tant Asperger que Kanner ont décrit des enfants qui, en gros, se fâchaient ou implosaient « sans raison », alors qu’on était en train de leur parler ou de leur demander une tâche simple, parfois même juste parce qu’ils étaient rentrés dans leur salle de classe. Je peux me tromper, mais je pense que ces enfants avaient une très bonne raison, à savoir leur incapacité à gérer les stimulus sensoriels de ces situations, et que les chercheurs avaient du mal à le comprendre.)

 

L’autisme est un spectre, les humains ne sont pas binaires, et l’eau mouille

Nous en revenons donc une fois de plus à la même conclusion : le langage parlé n’est pas un critère de sélection valable, et essayer de répartir l’autisme en deux catégories, quelles qu’elles soient, n’a aucun sens. Bien sûr que de grandes tendances existent, bien sûr qu’un individu spécifique ressemble plus à certains individus qu’à d’autres, mais c’est toujours la notion de spectre qui prévaut. Comprendre une personne, comprendre comment l’autisme l’impacte, reste une opération plus complexe que de lui coller une étiquette binaire (haut niveau/bas niveau, léger/sévère, Asperger/Kanner, …).

 

Léo Kanner n’a pas été parfait ou infaillible dans ses recherches, il a par exemples entre autres envisagé que l’autisme puisse être dû à des parents un peu handicapés sur le plan des relations sociales et très investis dans des carrières prestigieuses[8], mais il ne semblait pas manquer d’humanité, et il a toujours insisté dans son approche pour que les patients soient traités comme des êtres doués d’émotions, dignes de respects, et dotés d’un monde intérieur complexe.

Gardons cela en tête.

 

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[1]https://bienetreautiste.com/blogs/infos/pourquoi-on-n-utilise-plus-le-terme-asperger

[2]Il s’est en autres insurgé contre une décision de justice autorisant des hôpitaux psychiatriques de Baltimore à envoyer des patients souffrant de problèmes mentaux travailler sans salaire pour des familles riches de la région. Kanner a personnellement cherché et retrouvé chacune des 166 personnes concernées. Son rapport, évoquant les conditions de vie horribles de ces patients, a éveillé chez le grand public un intérêt pour le bien-être des personnes internées.

[3]Kanner 1 – 0 Asperger

[4]« Autistic disturbances of affective contact » (« Perturbations autistiques du contact affectif »), publié dans une revue intitulée « Nervous Child » (« L’enfant nerveux », le sous-titre de mon mémoire).

[5]Si mon lecteur lit l’anglais, je lui conseille la page Wikipédia de Léo Kanner (https://en.wikipedia.org/wiki/Leo_Kanner) ou la lecture directe de « Autistic disturbances of affective contact », les deux articles reprennent une description des onze enfants qui ont servi de base à l’étude et il y a quelque chose de très émouvant à lire les descriptions de ces enfants nés dans les années 30 mais qui pourraient aussi bien avoir six ans aujourd’hui.

[6]Bon, plus tard, il a hésité et émit l’hypothèse que l’autisme infantile pouvait être une sorte de schizophrénie super-précoce.

[7]Ou qui fait ces choses plus tard que ses pairs.

[8]… oui, je sais, c’est ironique. Il avait tapé juste, en un sens, mais pas pour les raisons qu’il croyait.


1 commentaire
  • Bonjour,

    Ma fille de neuf ans est autiste, mon conjoint également, ma cadette de six ans bien qu elle soit différente de notre aînée semble aussi être autiste.
    Elles sont scolarisées pour l instant sans aide, nous nous demandons si il est nécessaire, utile de les faire reconnaitre comme personne handicapée. A quel moment doit on faire appel à la MDPH? Avez vous publié un article à ce sujet? Merci

    Rogale Julia le

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