Prise en charge de l'autisme en France
- Julie BOUCHONVILLE
Un point sur l’état de l’art français, et un constat : être autiste ou le proche d’un autiste, c’est être abandonné par un système censé nous aider[1].
Autiste et besoin d’aide : vers qui se tourne-t-on ?
Il y a les psychologues et psychiatres, qui travaillent dans le privé ou main dans la main avec des maisons de santés et hôpitaux publics. Dans le privé, ces professionnels pratiquent des tarifs onéreux, et dans le public, leurs horaires sont souvent ridicules[2] et les délais d’attente peuvent se compter en mois. Bien sûr, obtenir un rendez-vous n’est pas une garantie en soi : dans le cadre d’une démarche diagnostique, nous savons qu’il arrive qu’une personne ne soit pas prise au sérieux parce qu’elle ne ressemble pas à une caricature[3], et l’on peut toujours tomber sur quelqu’un avec qui le courant ne passe tout simplement pas, pour tout un tas de raisons, et il faut alors se remettre à la recherche d’un professionnel capable d’aider.
A lire également : Diagnostic et auto diagnostic de l'autisme Partie 1 et Partie 2
Le diagnostic est fait ? Génial, mais ce n’est qu’un début ! Si la personne est jeune, il va sans doute lui falloir une prise en charge médicale ou paramédicale, et va se poser la question de la scolarisation. La personne est adulte ? Pareil, mais en plus subtil !
La scolarisation est compliquée parce que le système français, pour ses plus jeunes élèves, comprend essentiellement deux vitesses : d’un côté la méthode « ordinaire », l’école avec tous les enfants, et de l’autre, un vivier d’établissements à la qualité et aux services très hétérogènes.
À l’école, certaines classes bénéficient d’un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH), à condition que ces personnes ne soient pas surbookées[4], pas en arrêt maladie ou congé maternité, et correctement formées à l’autisme. Ces accompagnants, bien qu’ils accomplissent un travail dont l’importance ne saurait être exagérée, posent néanmoins un problème en ceci que leur considération est très faible. Les AESH sont recrutés surtout sur base de leur savoir-être et reçoivent une formation de soixante heures afin d’apprendre à la fois les aspects administratifs de leur métier — ils sont en permanence en relation avec de nombreuses instances et doivent pouvoir consulter des dossiers et rédiger des plans d’action en un claquement de doigts — mais aussi les aspects d’aide aux élèves. Sachant qu’on les déploie pour toutes les formes de handicap[5], et que même de nombreux psychiatres et médecins ont un niveau abyssal de connaissances liées à l’autisme, on est en droit de se demander : ces personnes peuvent-elles réellement aider les enfants autistes ?
Enfin, nous sommes actuellement en manque cruel d’AESH, aux facteurs précédemment cités s’ajoutant le fait qu’ils sont terriblement mal payés, et aussi qu’ils peuvent être mal reçus dans les classes si une forme de rivalité s’installe entre eux et le corps enseignant. On comprend que ce ne soit pas un job qui vende du rêve, ou même qui soit confortable sur le long terme.
Et bien sûr, rien de tout cela n’aura d’importance si un enfant autiste est jugé comme « trop perturbant » pour le restant de la classe, qu’il ne supporte pas les stimulations et contraintes qu’implique l’école, ou qu’il est trop en décalage avec le niveau attendu à son âge.
Que faire de cet enfant, alors ?
L’intégrer dans une unité pour l’inclusion scolaire (ULIS), sorte de classe spécialisée existant au sein des établissements ordinaires ? Avec environ 10 000 unités de ce type en France, desservant tout le parcours scolaire de la primaire au lycée, le problème de la distance se pose souvent, tout comme celui du choix de l’établissement. Si la classe la plus proche se trouve à 35 km et n’a pas très bonne réputation, que faire ?
De plus, si ces unités se veulent plus inclusives entre autres par le plus petit nombre d’élèves accueillis dans la classe, il semblerait que le gouvernement considère dans ses calculs statistiques qu’elles comportent chacune 19 élèves[6] — ce qui veut dire que soit les élèves sont bien environ 19, et l’on peut se demander s’il est réellement possible d’offrir un accompagnement personnalisé et pas trop stimulant au milieu de tout ce monde, soit les ULIS accueillent deux fois moins de personnes que prévu et auquel cas, refusent des inscriptions en masse faute de moyens.
Pas de place ? Un contexte qui ne fonctionne pas ? L’institut médico-éducatif (IME) peut accueillir les enfants et adolescents autistes. Le but y est de fournir le maximum d’éducation possible ainsi que de travailler sur l’autonomie des jeunes qui y sont accueillis. Le problème semble être que ces instituts sont très hétérogènes dans la qualité de l’accompagnement qu’ils proposent, et qu’il est difficile de le savoir à l’avance. Également, ces établissements sont, comme on pourrait le craindre, très représentés dans les affaires de maltraitance et/ou agression sexuelles sur mineurs[7].
Si mon lecteur se dit qu’il aimerait quand même prendre le risque dans cette situation, qu’il ne se rassure pas trop : il semblerait que même les IME n’aient pas assez de place par rapport à la demande[8]. Pourquoi ? Parce que personne n’a l’air totalement au courant de ce qui se passe après l’IME, pour peu que la personne autiste, désormais âgée de 17 à 20 ans, n’ait toujours pas l’air neurotypique. Elle sait parler avec sa bouche et se débrouille à peu près pour peu qu’on lui rappelle de se coiffer le matin et que quelqu’un cuisine pour elle ? Génial, elle peut envisager de réintégrer un parcours plus ordinaire. Elle a besoin d’un accompagnement plus présent ? Ça se complique, parce qu’à ce stade, lorsque l’instruction obligatoire prend fin, il n’y a plus tellement d’options. Les foyers d’accueil médicalisés (FAM) n’ont que peu de places, personne n’a envie de vivre dans un hôpital psychiatrique, un accompagnement à domicile de tous les instants coûte terriblement cher et n’est pas toujours correctement remboursé[9], et les foyers semi-autonomes[10] sont peu courants.
Dans ce contexte, il est courant que des adultes continuent de passer leurs journées à l’IME, ce qui est clairement supérieur à errer dans la rue, mais n’aide pas à accueillir de nouveaux enfants.
Concrètement, on fait quoi ? Quand on est une jeune personne autiste, quand on est le parent de cette jeune personne, quand on aimerait juste avoir toutes les chances de son côté et s’épanouir ? Au-delà même des considérations comme « je voudrais avoir un job » ou « vais-je un jour trouver l’amour ? », comment faire pour trouver un équilibre, une situation où l’on n’est pas constamment en train de redouter le prochain enseignant à la cruauté gratuite, la prochaine déconvenue administrative qui renverra à la case départ, le prochain décret gouvernemental à la merci duquel on se trouvera ? Comment ne pas, en tant que parent, redouter sa propre mort avec une terreur abjecte, quand on sait qu’on est peut-être la seule personne à réellement se soucier du sort de notre proche ? Comment, en tant que personne ayant conscience de ses propres limites, ne pas partager cette crainte ?
Des solutions individuelles existent
C’est à dire, des solutions à l’échelle de l’individu, et liées à la responsabilité individuelle. On peut, si l’on en a les moyens financiers, tout arrêter pour son enfant autiste rencontrant des difficultés dans le parcours scolaire ordinaire : décider de faire l’école à la maison, engager des professionnels, contacter tous les adultes autistes du pays pour leur demander leurs conseils, devenir meilleur pote avec les psychiatres et neurologues les plus émérites, lire cinquante ans de production scientifique pour essayer de comprendre[11]. Des gens le font, et j’imagine que leur poids en médailles au chocolat ne suffirait pas à récompenser leur abnégation[12]. Mais, si louables soient-ils, ces comportements ne peuvent pas être mis en pratique par toutes les familles, simplement parce que tout le monde n’a pas les moyens financiers ou les compétences techniques requis.
Plus pernicieux, je ne peux m’empêcher de penser que ce genre d’initiative ne devrait pas être nécessaire : on n’est obligé de chercher des solutions individuelles que lorsque les systèmes et leurs approches systémiques nous laissent tomber. Dans un monde où chacun serait bien au courant que le handicap existe, des solutions d’accueil personnalisées et efficaces seraient disponibles sans qu’il faille remuer ciel et terre, et certes, tout le monde n’aurait pas les mêmes capacités, mais personne n’aurait à craindre de finir en hôpital psychiatrique attaché à un lit juste parce qu’il n’y avait pas d’autre option[13].
À l’heure actuelle, la France se remet encore d’années d’approche psychanalytique de l’autisme, mais plus grave, elle reste à la traîne dans son approche du handicap au sens large. Les personnes qui font les lois, et dans une certaine mesure celles et ceux qui les élisent, semblent penser que le handicap est une malédiction qui n’arrive qu’aux autres, que nous ne sommes pas tous susceptibles de nous retrouver un jour, au détour d’un accident ou d’un hasard, en situation de handicap. Le handicap nous concerne tous. Alors pourquoi ne nous en soucions-nous pas tous ?
J’ai prévenu mon lecteur, je n’ai pas de note d’espoir pour la fin de cet article. Cela ne semble pas très exagéré d’affirmer que personne n’a que faire des autistes. Si nous avons l’air assez normaux pour que les villageois ne se mettent pas à hurler en nous voyant, la société daigne exploiter notre labeur, et dans le cas contraire, nous sommes une masse coûteuse à entretenir et qu’il conviendrait idéalement de dissimuler. Certes, des améliorations se font, mais à quel rythme ? Avec quelle mauvaise foi et quels maigres moyens ?
La seule solution que je voie, qui n’en est même pas vraiment une mais plutôt une piste, est de prendre l’habitude de contacter régulièrement son député[14] à l’Assemblée nationale et de lui raconter ce qui coince : trottoir mal fichu où les fauteuils roulants ne passent pas, manque de place dans les institutions concernées, absence de politique publique cohérente sur tel sujet, etc. Interpeller l’actuelle ministre déléguée en charge des Personnes Handicapées, Fadila Khattabi[15], peut aussi être utile. Expliquer nos situations. Raconter nos histoires. Manifester, quand on le peut, même à petite échelle. Ce n’est pas grand-chose, mais je crains fort que ce soit la seule solution que nous ayons.
Merci d’avoir lu ce constat jusqu’ici. Je sais que nous ne pouvons pas être furieux en permanence, que c’est tout sauf pratique. C’était mon moment de colère, et j’espère pouvoir le transformer en action. J’invite mon lecteur à en faire de même la prochaine fois qu’il sera hors de lui.
[1]J’écris ceci à la fin de mes vacances, et oui, ce sujet me met très en colère, alors non, je n’aurai sans doute pas de point de vue plein d’espoir à mettre en fin d’article pour remonter le moral de mes lecteurs et lectrices. Protégez-vous si nous n’avez pas envie que je pourrisse votre ambiance interne, ne lisez pas plus -avant.
[2]Anecdote personnelle : dans le cadre de la prise en charge de mon TDAH, je dois littéralement prendre des aprèm de congés pour voir la personne qui me suit parce que la maison médicale où elle travaille n’est ouverte qu’en semaine, de 9h à 16h30. Et comme j’ai un TDAH et que je suis autiste, j’ai un job mal considéré où il est difficile de prendre des aprèm de congés. Si ça a l’air kafkaïen que mon lecteur se rassure, ça ne fait que commencer.
[3]« Non mais je ne crois pas que vous soyez autiste, vous avez mentionné avoir des amis » est une vraie citation tirée d’un vrai rendez-vous.
[4]Des témoignages existent de situations où la classe/l’école sont censées, sur le papier, travailler avec ces professionnels mais, pour des raisons de gestions administratives, ne le font pas.
[5]Autisme, bien sûr, mais aussi trouble de l’attention, troubles liés à la mobilité, dyslexie, troubles visuels, … les handicaps sont nombreux et très variés, hors c’est le même professionnel qui devra tous les prendre en charge.
[6]Source : cette annonce qui mentionne que les 300 nouvelles ULIS créées permettront de scolariser 6000 élèves https://handicap.gouv.fr/rentree-2022-une-ecole-inclusive-pour-accompagner-le-parcours-de-chacun-0#:~:text=303%20nouveaux%20dispositifs%20d'unit%C3%A9s,'environ%2020%20%25%20depuis%202017
[7]Un récapitulatif non-exhaustif se trouve ici, attention, les faits mentionnés sont assez choquants : https://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_m%C3%A9dico%C3%A9ducatif
[8]https://www.bfmtv.com/societe/plus-de-11-000-enfants-en-situation-de-handicap-attendent-une-place-en-institut-medico-educatif_AV-202301270565.html
[9]On entend souvent des témoignages de type « ma sœur a besoin d’un accompagnement constant mais les aides reçues ne permettent de couvrir que deux heures par jour ».
[10]Ce genre de foyer ou résidence propose, comme le nom l’indique, une semi-autonomie pour ses résidents, qui vivent seuls ou en colocation mais avec des accompagnants sous la main et aisément joignables. https://www.fondationorange.com/fr/newsroom/actualites/2021/autisme-tours-des-logements-pour-vivre-en-autonomie-sans-etre-isole
[11]Et s’abonner à la newsletter de Bien Être Autiste en guise de cerise sur le gâteau.
[12]L’excellente page Facebook « wonder aspie woman » est tenue par une personne autiste, mère de deux enfants autistes, qu’elle scolarise elle-même. Sa lecture est très instructive. https://www.facebook.com/wonderaspiewoman/?locale=fr_FR
[13]Oui, c’est anecdotique, mais ça ne devrait jamais arriver. https://informations.handicap.fr/a-autiste-place-hp-justice-ouvre-enquete-31175.php
[14]Aisé à trouver ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/vos-deputes
j ai deux enfant soufrent d autisme
comment vous aider
je suis en tunisie et il n a pas des centre en tunisie
s v p souver mes enfants pour vivre
merci
Quand j’ai parlé à ma généraliste du fait que je pensais être autiste (après avoir passé des jours à lire sur le sujet et avoir mis au point mon tableau d’auto-diagnostic, pas sur un coup de tête un matin), elle s’est franchement foutue de moi et n’a pas voulu m’écouter. On sentait le poids des clichés dans son jugement immédiat et sans appel. Son discours disait clairement que je devais aller me faire soigner. Je ne m’attendais pas à grand chose. Plus jamais je n’en parlerai à personne à découvert. Je continuerai à faire ce que je fais, analyser et tenter tant bien que mal de m’adapter aux autres.
Merci