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Prosopagnosie : une difficulté méconnue

- Julie BOUCHONVILLE

Prosopagnosie : une difficulté méconnue

Littéralement, la prosopagnosie est l’absence de reconnaissance des visages – et un mot redoutable si on parvient à le caser au Scrabble. C’est un trouble visuel qui consiste à être incapable de reconnaître et distinguer les visages connus des visages inconnus. Relativement peu discuté, ce problème n’a été décrit pour la première fois dans la littérature médicale qu’en 1947 et s’il n’est pas exclusif à l’autisme, il est néanmoins assez répandu chez les autistes pour mériter qu’on en parle.

 

Effets au quotidien

La personne qui en est atteinte n’a aucun problème visuel, elle sait où se trouve le visage des gens et elle peut retenir des notions liées à ce visage. Par exemple, une personne prosopagnosique peut être capable de rappeler que son patron a des yeux marrons et un long nez, parce que « mon patron a des yeux marrons et un long nez » est une information aisée à mémoriser qui n’implique pas les circuits de reconnaissance faciale du cerveau. Être capable d’identifier son patron dans la rue et ce quel que soit l’éclairage et la manière dont le patron est habillé, en revanche, sera beaucoup plus compliqué.

On voit tout de suite l’impact que ce trouble peut avoir sur la vie d’une personne : il est d’autant plus difficile de s’intégrer socialement quand on ne distingue pas un collègue d’un autre ou un camarade de classe d’un autre. La personne prosopagnosique peut avoir peur de se tromper et limiter les contacts ou prendre le risque de commettre des impairs massifs. Il m’est personnellement arrivé plusieurs fois de parler à des « petits nouveaux » de mon club d’arts martiaux afin de les mettre à l’aise… jusqu’à ce que mon mari parvienne à me faire signe que c’étaient des élèves que je connaissais depuis deux ans mais qu’ils avaient changé de coiffure ou rasé leur barbe.  Un jour j’ai failli me débattre alors que l’une de mes meilleures amies, croisée par hasard, venait pour me faire la bise. Elle avait coupé sa frange.

Que la plupart des autistes ne soient pas très doués pour lire le langage corporel de la personne en face d’eux et y détecter des signes de malaise, comme par exemple dans le cas où quelqu’un qu’elle connaîtrait se mettrait à lui parler comme s’ils ne s’étaient jamais rencontrés, n’arrange rien.

 

La prosopagnosie peut aussi augmenter le sentiment d’anxiété de la personne qui en souffre, qu’elle soit autiste ou non. Quand on ne reconnaît personne ou presque, on ne peut jamais ressentir le soulagement d’apercevoir un visage ami au sein d’un groupe inconnu. On est toujours sur le qui-vive lorsque l’on parle à quelqu’un, cherchant à identifier des marqueurs que l’on aurait notés lors d’une interaction précédente. On redoute le faux-pas social et en même temps, d’avoir de parfaits inconnus qui se comportent comme si on les avait déjà rencontrés est très perturbant.

D’expliquer la situation suffit rarement : beaucoup de gens ont du mal à imaginer qu’un trouble de la reconnaissance aussi incroyablement précis puisse exister et partent du principe que la personne qui en souffre est tout au plus fainéante. Ne pas retenir le visage de quelqu’un, c’est quelque part nier son existence ou son individualité, et c’est très difficile à pardonner.

 

Les causes de la prosopagnosie

Elles sont multiples et en même temps méconnues. On sait que certaines personnes développent une prosopagnosie suite à des dommages au cerveau : accident vasculaire ou traumatisme crânien, par exemple. Quand la prosopagnosie a été décrite en 1947, c’était sur la base des cas de deux soldats allemands qui suite à des blessures à la tête étaient désormais incapables de reconnaître qui que ce soit.

Pour beaucoup de gens, c’est simplement une particularité avec laquelle ils sont nés. La théorie en cours est que quelque chose se passe mal dans le développement de l’aire fusiforme des visages, une zone du cerveau hyper-spécialisée.

Le cerveau humain est très doué pour la reconnaissance d’objets : même un dessin d’enfant un peu mal fichu nous suffit en général à identifier le sujet. Mais là où il excelle, c’est dans la reconnaissance faciale : une personne peut vieillir de vingt ans, prendre ou perdre du poids, changer de coiffure et un cerveau au fonctionnement normal sera toujours capable d’identifier son visage. Pour ce faire il utilise carrément une zone à part qui ne sert qu’à cela. Notre passion pour les visages est telle que nous avons tendance à en voir même là où il n’y en a pas, un phénomène connu sous le nom de paréidolie.

Nous traitons aussi les visages humains d’une manière bien spécifique : un cerveau normal considère le visage dans son ensemble plutôt que comme une somme de parties. Il n’y a pas de mécanisme de reconnaissance de la forme des sourcils qui s’associe à un mécanisme de reconnaissance de la couleur des yeux qui s’associe à un mécanisme de reconnaissance de la forme des pommettes, etc. Le cerveau vérifie le visage en entier et le reconnaît, une méthode beaucoup plus efficace face au changement : même si quelqu’un se rase les sourcils ou prend quelques rides, son visage dans son ensemble reste similaire.

 

La prosopagnosie vient mettre le bazar dans ce beau fonctionnement. La personne prosopagnosique ne regarde pas les visages de la même manière et ne les traite pas de la même manière, ayant justement tendance à les considérer « pièce par pièce ». On peut retenir le visage de quelqu’un de cette manière mais non seulement cela prend beaucoup plus de temps, c’est aussi susceptible de cesser de fonctionner en cas de changement radical, et il y a un risque de faux positif : on peut se tromper dans la reconnaissance faciale si quelqu’un a par exemple exactement le même nez que quelqu’un d’autre.

Le fait que beaucoup d’autistes aient tendance à éviter les contacts visuels n’aide pas, comme on peut s’en douter, et bien qu’aucune étude n’aient été faite en ce sens, je me demande quel impact sur le développement de cette fameuse aire fusiforme des visages peut avoir le fait de ne pas être très attiré par les visages quand on est enfant comme c’est le cas chez beaucoup d’autistes.

 

Les stratégies de compensation et comment aider une personne prosopagnosique

Pour reconnaître un minimum ceux qui les entourent, les personnes prosopagnosiques développent des stratégies de compensation. La première consiste à prendre des points de repère autres que les traits classiques du visage : une tache de naissance ou une cicatrice à la forme spécifique, la  forme de l’implantation des cheveux, la pilosité faciale, ce genre de choses. D’autres détails aident aussi : le style vestimentaire, le port de lunettes ou de certains bijoux, la posture, la voix, la démarche ou même l’odeur d’une personne sont autant de facteurs qui peuvent aider à reconnaître quelqu’un. L’une de mes amies, elle aussi prosopagnosique, a une capacité d’observation digne de Sherlock Holmes lorsqu’il s’agit de la garde-robe des gens qu’elle rencontre et je suis à peu près sûre qu’elle reconnaît la moitié de ses collègues à leurs boucles d’oreilles.

 

Si rien de tout cela ne fonctionne, les personnes prosopagnosiques peuvent essayer de reconnaître les gens via la conversation : en posant des questions très ouvertes pour essayer d’obtenir des éléments de contexte, on peut parfois identifier à qui on a affaire. Des phrases telles que « Quoi de neuf depuis la dernière fois ? » ou « Qu’est-ce que tu faisais dans le coin ? » sont très utiles, mais les manier de manière convaincante implique une aisance sociale que tous les autistes n’ont pas – sans compter qu’il faut être capable de parler.

Si l’on veut aider la personne prosopagnosique, la première chose à faire est d’identifier qu’il y a un problème. Si mon lecteur est parent d’un enfant autiste souffrant de prosopagnosie, il est probable que cet enfant ne réalise pas que son expérience soit « anormale ». J’avais moi-même plus de vingt ans quand j’ai réalisé que je n’étais pas juste « pas très douée pour retenir les visages »[1].  Essayer de voir s’il y a un souci à ce niveau est donc crucial.

Ensuite, on peut l’encourager à reconnaître les gens autrement que par leur visage. Prendre des points de repère avec efficacité et rapidité est une méthode qui s’apprend. Il faut sélectionner ceux qui sont les plus susceptibles de durer, la couleur des cheveux plutôt que la coupe d’une veste par exemple. Il faut aussi en sélectionner plusieurs et de natures différentes pour essayer d’activer plusieurs types de mémorisation : en retenant la voix, l’odeur et la démarche de quelqu’un, on a plus de chance de le reconnaître dans le futur qu’avec un seul de ces éléments ou plusieurs éléments exclusivement visuels, par exemple. Enfin, l’enfant devrait prendre l’habitude de le faire systématiquement.

En tant qu’adulte autiste et prosopagnosique, prévenir les nouvelles personnes qu’on rencontre peut être utile. Pas besoin d’entrer énormément dans les détails mais quelque chose comme « Je vais peut-être prendre un peu de temps à retenir ton visage, j’ai du mal avec ça » est au moins un pas dans la bonne direction, même si les gens en face n’y croient pas tout à fait. Je recommande vivement de s’employer à retenir le nom des gens et y associer le plus de détails possible, pourquoi pas par écrit si besoin. Les neurotypiques sont apaisés lorsqu’ils voient qu’on a retenu au moins certaines choses les concernant.

 

Si mon lecteur veut aider un collègue ou un ami prosopagnosique, là aussi plusieurs pistes s’offrent à lui. D’abord, comprendre que le contexte fait tout. La personne prosopagnosique vous reconnaîtra plus facilement si vous êtes dans le contexte où vous vous fréquentez habituellement que si vous la croisez par hasard. Votre collègue ne vous a pas « snobbé » quand vous étiez dans le même wagon de métro : il ne vous a juste pas reconnu.

N’hésitez pas à vous re-présenter plusieurs fois, surtout si la rencontre est récente. Une petite phrase toute simple comme « Tu sais, Untel ? On a parlé de la maquette ensemble jeudi dernier » aide énormément. Si vous avez récemment changé un élément important de votre apparence, même remarque : « Tu me reconnais sans mes cheveux longs ? J’avais des tresses mais je les ai coupées hier » ou quelque chose de similaire permet de fluidifier la transition.

Ne vous fâchez pas si votre ami se trompe : promis, ce n’est pas de la fainéantise ou un manque de considération pour vous. Certaines personnes prosopagnosiques ont besoin de semaines et de mois de contacts quotidiens pour pouvoir reconnaître quelqu’un avec efficacité. D’autres n’y arrivent jamais. Dans tous les cas ce n’est pas faute d’essayer, et la personne qui vient de vous avouer qu’elle ne vous situe pas est beaucoup, beaucoup plus gênée que vous.

 

En conclusion, où que vous vous situiez vis-à-vis de la prosopagnosie, sachez que des stratégies existent pour faciliter la vie de tout le monde. Et ne paniquez pas trop : en ce moment beaucoup de gens ont des collègues ou des connaissances qu’ils n’ont jamais vus sans masque, et quand la pandémie sera finie, tout le monde devra de toute façon se représenter.

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[1]On penserait que de ne pas être capable de reconnaître mon visage m’aurait mis la puce à l’oreille, mais non.


1 commentaire
  • Article bien expliqué, merci ! Je suis prosopagnosique sans être autiste et j’ai donc probablement moins de difficultés que d’autres concernés pour converser afin de retrouver des infos pour situer la personne, mais je confirme, si les gens en face savaient à quel point on est gêné de ne pas les reconnaître… Et cela n’a rien à voir avec de la mauvaise volonté ou du désintérêt.

    Une passante le

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