
Trop vieux pour être autiste ?
- Julie BOUCHONVILLE

Il arrive parfois qu’une personne adulte, contente d’elle, ayant réussi à se créer une vie, en vienne à se soupçonner d’être autiste. Souvent, cela se fait au détour d’un incident de parcours comme un burn-out, mais cela n’est pas indispensable. Alors, est-il possible d’atteindre trente, quarante ou soixante-cinq ans, sans savoir que l’on est autiste ? Et une fois ce soupçon établi, peut-on y faire quelque chose ?
Les premières informations
Un jour, peut-être en lisant l’un de nos articles, ou au terme d’une conversation ou d’une phrase anodine lancée par un proche, voire du diagnostic d’une connaissance, mon lecteur apprend que l’autisme ne touche pas que les petits garçons blancs, qu’être autiste, c’est avant tout une histoire d’aptitudes que l’on possède ou non, et que s’il se fatigue vite aux réunions de famille, mais est capable de réciter par cœur toutes les espèces de grenouilles européennes dans l’ordre où elles ont été décrites, ce n’est peut-être pas juste « cocasse ».
L’autisme, rappelons-le rapidement, est en un effet un neurotype où l’on retrouvera entre autres :
– des difficultés à gérer certaines informations sensorielles comme les lieux très peuplés, les bruits, les lumières vives, certaines textures, etc.
– des centres d’intérêt très précis et dans lesquels la personne peut se plonger pendant des heures
– des difficultés à créer des relations sociales avec les personnes non autistes[1], à respecter certains codes sociaux, à lire les expressions du visage
Et si ces caractéristiques, très succinctes, sont réelles, elles ne reflètent pas toujours le quotidien des personnes concernées. Par exemple, imaginons une personne très douée pour le camouflage social, qui le ferait sans même réaliser qu’elle est en train de camoufler. Elle peut avoir un job dans lequel elle est souvent en interaction, se faire la remarque qu’elle a du mal à réfléchir quand son bureau est orienté vers une zone de passage, mais qu’elle parvient à compenser en se concentrant très fort et en portant des écouteurs qui l’isolent du bruit, et être fière de sa capacité à rester précise même sur des tâches répétitives. Elle se ressource dans sa passion pour le canoë, s’amuse quand on lui dit qu’elle semble préférer la compagnie de ses animaux à celle de la plupart des humains (bien que ce soit un peu vrai), entretient des amitiés sincères avec un petit cercle de privilégiés, et ne comprend pas pourquoi elle a déjà vécu trois burn-out professionnels avant ses quarante ans.
Cette personne pourrait croiser une liste de caractéristiques et se dire que cela ne la concerne pas, avoir du mal à réaliser à quoi cela pourrait ressembler au quotidien, ou simplement ne pas correspondre à la totalité et laisser l’exhaustivité être l’arbre qui cache la forêt. Elle n’en serait pas moins autiste.
Des notions de spectre et de ressenti
Nous le savons, chaque personne autiste a ses propres forces, ses propres faiblesses, sa propre manière de fonctionner. Rappelons que l’autisme n’est ni un interrupteur binaire, ni un curseur gradué allant de « houlala très autiste » à « nan en fait ça va », mais plutôt un diagramme de Kiviat (« en toile d’araignée ») qui évolue dans le temps. À nos spécificités neurologiques de base s’ajoutent des stratégies que nous avons pu mettre en place, des comorbidités[2] diverses et variées, d’éventuelles adaptations dues à nos traumatismes, et bien sûr, notre santé du quotidien[3]. Tout ceci implique qu’au-delà de l’idée que l’on puisse être autiste sans le savoir, une information finalement peu utile, il y a surtout le concept que l’on peut être autiste sans que ce soit un problème, et maintenir cette situation pendant des années si pas toute sa vie.
Une personne ayant mis en place des stratégies pour contourner ses obstacles, ayant trouvé un travail lui convenant et intégré un cercle social bienveillant[4] est peut-être autiste, ou peut-être pas, et à la limite tout le monde s’en fiche dans la mesure où elle est contente de son quotidien.
Une personne ne s’étant jamais suspectée autiste pourrait donc découvrir ce neurotype et soudain se poser des questions, mais aussi, une personne ayant une vie agréable pourrait voir son équilibre basculer en cas de grosse perturbation du quotidien — et là, seulement, suspecter une source plus profonde.
Et maintenant ?
Si mon lecteur est aujourd’hui un adulte commençant à s’interroger sur son neurotype, d’abord, pas de panique. Ensuite, une des premières questions qu’il voudra poser est « pourquoi personne n’a jamais rien vu ? ». Celle-ci est, hélas, facile : en France, la recherche et les connaissances liées à l’autisme sont pas mal à la traîne, il existe encore des professionnels persuadés que nous pouvons être « guéris » avec de la psychanalyse[5], et pour peu que mon lecteur n’ait pas été une caricature d’autiste dans son enfance, il n’aura eu aucun mal à passer à travers les larges mailles du filet diagnostique. S’il a à l’époque bénéficié d’un autre diagnostic, comme un HPI ou un TDA, toutes les étrangetés ou particularités de son comportement ont aussi pu être blâmées sur cette seule étiquette.
À la question « puis-je me découvrir autiste sur le tard ? », la réponse est donc un « oui » franc. Plus pratique, en revanche, est celle-ci : « et alors ? »
Je tiens à rassurer mon lecteur : s’il n’avait rien remarqué de trop bizarre jusqu’à maintenant, alors il est probable que son autisme ne soit pas une source de problèmes majeurs, et il lui est tout à fait possible d’obtenir de l’aide, quel que soit son âge.
Même s’il est notoirement difficile pour un adulte de se faire diagnostiquer, et peu utile en soi à moins d’être assez impacté pour que l’autisme soit considéré comme un handicap, il est en revanche assez aisé d’aller voir un psychologue et de lui exposer des problèmes précis, en demandant un accompagnement pour mettre en place des solutions. Par exemple, on pourra expliquer que l’on a du mal à gérer certains stimulus sensoriels, ou que l’on peine à entretenir son intérieur, ou qu’on enchaîne les burn-out malgré un intérêt sincère pour son métier, ou que l’on ne parvient pas à faire fonctionner ses relations romantiques, etc.
J’ai déjà constaté que certains pensent que leurs problèmes sont « trop mineurs » pour en parler à un professionnel, que tout le monde est fatigué, que personne n’aime gérer la paperasse, qu’il est ridicule de chercher de l’aide juste parce que quelques rencards se sont mal passés, que les psys sont là pour les gens qui ont de graves maladies mentales, etc.
J’encourage mon lecteur à faire taire tous ces doutes. Si un aspect de sa vie le fait souffrir, s’il bute sur quelque chose, s’il se sent coincé ou mal à l’aise, il est acceptable de chercher de l’aide. Oui, il existe des gens qui vivent des situations objectivement pires, c’est indéniable, mais si on suit cette logique jusqu’au bout, alors la seule personne qui mérite un suivi est celle qui a la pire vie possible et imaginable, et rigoureusement toutes les autres n’ont qu’à prendre leur mal en patience.
On pourra parler au professionnel en question d’une suspicion d’autisme, ou même pas, selon ce que l’on préfère : après tout, si le but est d’obtenir de l’aide vis-à-vis de points précis, il est très possible de l’atteindre sans passer par la case « diagnostic », qui implique toujours de remplir des questionnaires fastidieux, ainsi que le risque d’être face à une remarque de type « hm je ne crois pas que vous soyez autiste, vous m’avez dit bonjour en entrant »[6].
Quant à savoir si mon lecteur devrait utiliser pour lui-même l’étiquette « autiste », s’il pense qu’elle lui convient, je l’en laisse seul juge. Je ne pense pas qu’il soit pertinent de la coller pour un oui ou pour un non, et il ne faut pas s’imaginer qu’elle ouvre des portes, mais je ne doute pas que mon lecteur fera le meilleur choix, au quotidien, en son âme et conscience.
[1]Rappelons que selon la théorie de la double empathie, les autistes ont moins de mal, voire beaucoup d’aisance à entrer en relation avec d’autres autistes, et les non-autistes, avec des non-autistes.
[2]Comme l’incroyable combo « autisme + trouble de l’attention », où l’on a besoin de routine, mais aussi de tout changer tout le temps, un plaisir simple pour toute la famille.
[3]Tout est toujours pire quand on est enrhumé, et ce, quel que soit le neurotype.
[4]Une blague courante dans la communauté autiste/neurodiv est qu’on choisit ses amis sans considérer le neurotype comme un critère, et que dix ans plus tard on se rend compte que tous les membres du groupe sont neurodivergents ou présumés comme tels.
[5]Ou même, en effet, qu’il faille nous guérir.
[6]J’exagère, mais à peine.
" l’incroyable combo « autisme + trouble de l’attention », où l’on a besoin de routine, mais aussi de tout changer tout le temps, un plaisir simple pour toute la famille."
J’ai tellement ri en lisant ça, parce que…c’est tellement vrai 😂 (je suis en cours de diag pour les 2, à 34 ans…et étrangement, le résultat n’a étonné que très peu de gens dans mon entourage)
Merci pour cet article !
Bonjour,
Diagnostiquée asperger à 50 ans, ce verdict a changé ma vie.
J’ai toujours été gauche, peu confiante en moi, hypersensible et j’en passe. On me disait timide et réveuse. J’ai été usée et abusée. J’ai fait des burn out au boulot, mon médecin traitant me disait dépressive.
Et enfin, enfin je peux reconstituer le puzzle !
Alors oui concrètement ça ne va pas me changer la vie mais psychologiquement je peux enfin apprendre à m’aimer car je sais d’où vient ma différence et je n’en suis pas responsable :)
Comment expliquer, à 58 ans à soit ou à son entourage que l’on vient d’être diagnostiquer autiste, et qu’on ne s’en était pas aperçu avant.
Hé oui après un burn-out, après mille et une péripéties, j’ai enfin su pourquoi j’étais différentes des autres humains depuis que j’étais petite.
Je n’avais pas l’air et je n’ai toujours pas l’air autiste et pourtant !
Oui à tout âge on peut se faire diagnostiquer si on le souhaite.
En tout cas pour moi, j’ai pu, comme je le dis tout le temps, “poser des mots sur des maux” et cela a changer ma vie grâce à l’aide d’une professionnelle..
Jai admis que je suis autiste, les autistes me considère comme une autiste, j’ai beaucoup de difficulté à être acceptée autiste chez les non autistes.
Ce n’est pas grave car maintenant que je sais, et bien je vis mieux avec mon autisme.
Merci pour cet article qui me fait beaucoup de bien, peut-être autiste, et alors ? J ai conscience de mes difficultés et aujourd’hui aussi de mes forces. Et j’ai appris à me protéger, à me préserver. Le diagnostic j’y ai pensé sérieusement plus maintenant.
Je vois bien que ma fille ainée est autiste, ses difficultés et son hypersensibilité sont plus grandes. On avance petit à petit, nous allons pour elle vers une démarche diagnostic. Et si cela peut l aider de savoir que moi aussi je suis sûrement autiste bien que cela ne se voit pas alors je ferai le diagnostic. Pour elle, je pense que cela peut l aider de savoir, pour moi, je pense que c’est plutôt l inverse.
Merci encore pour tous vos articles !
Merci pour vos articles, d’où j’ai appris beaucoup de choses. Mais il me semble qu’on n’a pas trop parlé de l’attitude d’un proche, un ami, envers un autiste qui n’a pas été informé sur son état – et si on peut discuter avec lui amicalement et l’informer sur ce sujet et surtout le conseiller sur ce qu’il doit faire.