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Une histoire de l’autisme : époque moderne

- Julie BOUCHONVILLE

Une histoire de l’autisme : époque moderne

Après nous être promenés dans un passé lointain*, abordons à présent la suite de cette histoire. Comment la perception de l’autisme a-t-elle évolué alors que le monde au sens large et la médecine en particulier subissaient une série de changements rapides ?

 *-Une brève histoire de l'autisme ; -L'autisme durant l'antiquité ; -L'autisme au Moyen Age Européen

 

Contexte historique

Nous entrons dans l’époque moderne, qui inclut la conquête des Amériques par les Européens (l’expédition de Colomb en 1492 est souvent considérée comme une date charnière pour la fin du Moyen-Âge), les Lumières et la révolution industrielle.

Pendant la majorité de cette période, la notion d’autisme n’existait toujours pas[1], même si les personnes autistes étaient déjà là[2], mais comme nous allons le voir, c’est durant ce long laps de temps que se sont développées la médecine fondée sur les preuves et la psychiatrie.

 

Une évolution de la médecine

Il est important de noter que, dans un sens, toutes les médecines sont basées sur les preuves, dans la mesure où personne n’a envie de soigner ses proches avec une méthode sortie de nulle part, jamais testée auparavant. Néanmoins, les humains sont très sensibles aux biais, et avant la généralisation de certains protocoles scientifiques censés limiter ces biais[3], nous avions tendance à accepter des approches moins efficaces.

La théorie des humeurs est un bon exemple de ce phénomène, ayant perduré longtemps après son invention, entre autres grâce à une sorte de retour du concept quand les savants et artistes européens se sont dit qu’absolument tout ce qui avait été inventé durant l’Antiquité était brillant, théories médicales y comprises.

Si l’on peut noter une tendance au 17e siècle à se baser de plus en plus sur des expériences reproductibles et à théoriser après une observation des faits, je pense qu’il est pertinent de noter que les personnes du passé n’étaient pas stupides ou prêtes à accepter la première explication venue pour autant, et aussi que, dans une certaine mesure, même la médecine contemporaine souffre de biais et nécessite de la part des patients une certaine dose de foi en ses processus.

 

Une approche scientifique de la médecine

Plusieurs axes de recherches vont amener les savants de l’époque à adopter une approche scientifique ou empirique : d’abord, les premiers microscopes commencent à circuler vers le milieu du 17e siècle. Cela ne se fait pas en quelques minutes, mais ils posent les bases sur laquelle pourra être construite la théorie microbienne, c’est à dire, l’idée qu’il existe des êtres trop petits pour être vus qui sont responsables de maladies[4],[5].

L’épidémiologie prend peu à peu le visage que nous lui connaissons à partir du 17e siècle[6], l’hygiénisme apparaît au 18e siècle, amenant cette idée qu’il est possible de prendre des actions concrètes à grande échelle pour limiter la propagation de certaines maladies[7], et la généralisation de l’autopsie pédagogique permet de mieux former les médecins.

Graduellement, donc, se diffuse le principe qu’il existe un état sain et un état pathologique du corps, et qu’il est possible de savoir ce qui cause la pathologie, ce qui peut la soigner, et ce qui peut la prévenir. Avec la médecine fondée sur les preuves arrive la notion que les personnes n’ont pas à être les victimes de leurs circonstances.

Et c’est en France, au sein de cette tradition, qu’émerge au 18e siècle la branche de la médecine qui me permet de raccrocher les wagons de cet article : la psychiatrie.

 

Naissance de la psychiatrie en France

Louis XIV avait eu l’idée de créer, en 1656, l’Hôpital Général de Paris. L’institution était un lieu qui accueillait les personnes à la santé mentale dégradée, c’était donc l’ancêtre de l’hôpital psychiatrique, mais cet accent mis sur la santé mentale n’est qu’une lecture a posteriori : dans les faits, l’Hôpital Général était un lieu d’enfermement pour les mendiants[8] de Paris, où ils étaient censés être soignés, éduqués, et rendus à la vie active. Dans la mesure où, comme aujourd’hui, souffrir de maladie mentale augmentait le risque de devoir dépendre de la mendicité pour survivre, il existait une corrélation entre les plus démunis et les malades, mais l’Hôpital ne se voulait pas spécialement médical[9]. D’ailleurs, les personnes qui y étaient amenées nécessitant un traitement connu étaient redirigées vers l’Hôtel-Dieu.

 

C’est Philippe Pinel qui change la donne quand, lors de son travail à l’Hôpital Bicêtre[10], il considère qu’il serait utile de traiter tous les patients selon les mêmes principes et, de fait, d’essayer de comprendre ceux qui souffrent de troubles mentaux. Son travail s’appuie fortement sur celui d’un surveillant de Bicêtre, Jean-Baptiste Pussin. Ce dernier est en fait un résident, entré à l’hôpital car souffrant d’une pathologie à l’époque incurable[11], et y ayant trouvé du travail après avoir prouvé qu’il ne représentait de danger pour personne. Pussin observait les patients, écrivait des notes pour que d’autres soignants puissent les consulter, et encourageait si pas une approche plus moderne de la médecine psychiatrique, au moins pensait-il qu’enchaîner les patients et les traiter comme des animaux était contre-productif. Il est considéré comme le premier infirmier psychiatrique. Philippe Pinel, faisant sa rencontre et ayant des opinions similaires, s’inspire de ses méthodes.

Pinel théorise également que les malades mentaux peuvent être compris et soignés, et préconise le dialogue[12] avec ces derniers – une idée assez neuve à l’époque.

 

Les autistes étaient-ils aliénés ?

Parmi ces patients enchaînés que Pussin et Pinel voulaient détacher et essayer de guérir, y avait-il des autistes ? Personne ne peut l’affirmer avec certitude, mais je serais tentée de dire que si oui, la proportion devait être assez faible.

Qu’est-ce qui me fait dire cela ? D’abord, la nature même de ces hôpitaux. Qu’on parle de Bicêtre, de la Salpêtrière, de l’Hôpital Général ou de Bedlam en Angleterre, tous les témoignages historiques s’accordent à dire que ces endroits étaient horribles[13]. Ils n’étaient pas conçus pour soigner, mais pour éloigner de la vue leurs résidents ; c’étaient peu ou prou des prisons pour les individus qui n’avaient pas commis de crime reconnu. Quand quelqu’un était incapable de prendre soin de lui au point que même mendier était compliqué, et que personne ne pouvait l’aider, alors seulement il finissait dans un de ces proto-hôpitaux psychiatriques[14].

Virtuellement toutes les autres alternatives, peut-être y compris la prison, devaient être préférables à l’enfermement sur base de critères arbitraires, sans date de sortie prédéterminée, totalement à la merci de soignants convaincus que les bains d’eau froide et les vomitifs constituaient le fondement de tout traitement, tout cela dans des conditions d’hygiène douteuses et avec une alimentation formulée tout juste pour éviter que les patients ne meurent de faim – mais pas plus.

 

Ensuite, Philippe Pinel décrit dans un ouvrage[15] les catégories de malades mentaux, et à leur lecture il est clair que ses patients sont tous des personnes extrêmement dépendantes et en rupture avec la réalité[16], soit sans doute peu d’autistes. Si « l’idiotisme », comme l’appelle Pinel, pourrait correspondre à une personne autiste ayant un QI très bas, la majorité des autistes, même ceux dont le QI est inférieur à la moyenne, ne se retrouvent pas dans la description du concept qu’il en fait : des individus ne parlant pas, bougeant peu, semblant ne rien penser ni ne rien ressentir, et pouvant d’ailleurs avoir développé leur pathologie à la suite d’un traumatisme violent[17].

 

Je n’affirme pas qu’aucune personne autiste ne s’est jamais retrouvée dans un hôpital psychiatrique durant ces époques, mais je pense qu’il ne devait pas s’agir d’une généralité, dans la mesure où personne n’y serait rentré ni n’y aurait interné son proche si une quelconque alternative avait existé.

 

La semaine prochaine, nous aborderons les recherches de Grounia Soukhareva, la première chercheuse à décrire formellement l’autisme, et conclurons ainsi notre série concernant l’histoire de l’autisme.

 

[1]Grounya Soukhareva est sans doute la première à s’être intéressée à notre cas, en 1926, et ses travaux ont inspiré ceux d’Hans Asperger qui est souvent à tort considéré comme le découvreur de notre neurotype. https://fr.wikipedia.org/wiki/Grounia_Soukhareva

[2]Parce que nous aimons être très ponctuels.

[3]De la même manière qu’il faut se méfier de nos biais, il nous faut aussi rester prudents vis-à-vis d’une méthode qui affirmerait n’en avoir aucun. En règle générale, celui ou celle qui affirme être dénué de biais y est juste aveugle.

[4]Détail intéressant, avant cela, la théorie en vogue était que certaines maladies pouvaient être transmises par des odeurs néfastes, ce qui a mené à des dispositifs permettant effectivement de se protéger des germes, par exemple les très iconiques masques des médecins de la peste vers la fin de la Renaissance.

[5]Il faudra néanmoins attendre le 19ème siècle pour que les médecins prennent l’habitude de se laver les mains avant d’opérer quelqu’un, preuve s’il en est que nos biais ont la vie dure.

[6]A Londres, des mathématiciens s’intéressent à la mortalité et mettent au point des méthodes d’analyse des données issues des recensements et des bulletin de décès. William Petty et John Graunt sont considérés comme les premiers.

[7]Là encore je relativise cette notion : de tout temps, les élus ou les personnes haut placées dans la hiérarchie sociétales ont été sommées d’agir en cas d’épidémie. L’hygiénisme diffère seulement parce qu’un rôle de prévention apparaît, et parce que les méthodes utilisées sont plus efficaces. Les dirigeants du passé ne parvenaient ni à prévenir ni à guérir les épidémies parce qu’ils avaient moins de connaissances, pas parce qu’ils n’essayaient pas ou étaient idiots.

[8]Mendiant, travailleurs et travailleuses du sexe, « saltimbanques » : c’était une criminalisation de la pauvreté qui ne cherchait pas à se cacher.

[9]C’est l’une des étapes d’une tendance politique européenne qui, dès la fin du 14ème siècle en Angleterre, cherche à faire disparaître la pauvreté de l’espace public. Si l’idée a pu parfois partir de bonnes intentions, cela a donné lieu à beaucoup de dérives, puisque passant souvent par un mécanisme de criminalisation de la pauvreté, ou d’exploitation totale des classes les plus pauvres en échange du strict minimum nécessaire à leur survie.

[10]A l’époque, un lieu qui accueille des pauvres ainsi que des malades, mentaux et/ou physiques.

[11]L’adénopathie cervicale tuberculeuse chronique, une pathologie des glandes lymphatiques du cou. J’encourage mon lecteur à ne pas aller regarder d’images.

[12]Son concept est nommé le « traitement moral » https://fr.wikipedia.org/wiki/Traitement_moral , dont les principes généraux sont à la fois novateurs pour l’époque et assez rétrogrades pour mes contemporains.

[13]Il y a une vraie réalité historique derrière le motif littéraire et cinématographique de l’hôpital psychiatrique hanté et terrifiant.

[14]Dans The Philosophy of Insanity, une sorte de mémoire publié par James Frame en 1860, il explique comment il s’enfuit de chez lui en pleine nuit pour trouver un poste de police et, y étant entré, explique aux agents qu’il aimerait être interné car il est pris de pulsions meurtrières concernant sa femme et a besoin d’être éloigné de son domicile pour ne pas passer à l’acte. Les agents de police le découragent de se rendre dans un quelconque hôpital et essayent plutôt de trouver une solution avec lui. On peut y voir l’éternelle camaraderie entre hommes blancs, mais je pense que c’est aussi l’illustration que tout le monde trouve les hôpitaux psychiatriques aussi inutiles qu’affreux. https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0957154X16671259

[15]Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale.

[16]Selon lui, les personnes souffrant de mélancolie, de démence, de manie (qui dans ce contexte semble plutôt qualifier des épisodes délirant), ou d’idiotisme.

[17]Pinel semblait aussi avoir une certaine aversion vis-à-vis de ses patients « idiots », et je le soupçonne de mentir par moment. Il décrit ainsi dans un texte le cas d’un ingénieur brillant ayant inventé un nouveau canon et qui, ayant reçu une lettre de félicitations de Maximilien Robespierre, est si choqué qu’il devient « idiot » et doit être interné. Désolée, Philippe Pinel, mais je crois que tu inventes. https://www.philo5.com/Les%20philosophes%20Textes/Pinel_Alienation.htm#_13a


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