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Autisme et non-dits

- Julie BOUCHONVILLE

Autisme et non-dits

Peut-être que mon lecteur connaît cette blague : « Oh, tu es autiste, est-ce que ça veut dire que tu prends tout littéralement ? » « Non, ça, c’est un kleptomane. »

Si certains autistes sont capables de percevoir le second degré ou le non-dit, beaucoup d’autres ont en revanche énormément de mal à réaliser que ce domaine non-verbal de la communication verbale existe, et à comprendre son utilité et son fonctionnement[1].

Penchons-nous sur la question.

 

Qu’est-ce que le non-dit et le second degré ?

Sous-entendu, sous-texte, appel du pied, notion à lire entre les lignes, etc, les dénominations ne manquent pas pour décrire ce phénomène qui existe, à ma connaissance, dans toutes les langues : on dit une chose qui ne reflète pas totalement la réalité. Parfois ce manque de réalisme vient d’une volonté de simplifier, ou de faire l’humour, ou parfois de faire preuve de tact ou de finesse en ne révélant pas trop brutalement les choses – notamment dans le domaine de la séduction, riche en non-dits. On pourra aussi utiliser le non-dit pour la critique passive-agressive, par exemple, ou pour faire passer un message à l’une des personnes présentes dans une conversation sans que d’autres le comprennent.

 

Exemples

Tout le monde a déjà été confronté à un enfant à qui on a dit qu’il n’aurait à attendre que « trente secondes » et qui, trente secondes plus tard, est furieux qu’on ne soit pas prêt.

Un cas classique de sous-entendu loupé, c’est la question de type « est-ce que tu as vu cet article que j’ai écrit ? » ou « est-ce que tu peux me passer la sauce ? », à laquelle la personne va répondre « oui je l’ai vu » ou « je peux », mais sans comprendre le sens sous-jacent.

Une autre grande catégorie sont les déclarations de faits évidents, que les neurotypiques utilisent pour démarrer les conversations. Par exemple : « Tu as un nouveau manteau ! », affirmation à laquelle l’autiste moyen va répondre « oui » avant de passer à autre chose. Pendant des années j’ai porté les cheveux jusqu’à mes hanches, et il était courant que des gens m’interpellent pour me dire « Vos cheveux sont longs ! ». Je suppose que c’était une forme de compliment, mais honnêtement, la seule réponse qui me venait dans ces cas-là était « j’avais remarqué ».

 

Pourquoi certains autistes comprennent le non-dit, et pas d’autres ?

Comprendre un sous-entendu, au bout du compte, c’est avoir une théorie de l’esprit qui fonctionne. La théorie de l’esprit, c’est la capacité d’un individu à voir le monde du point de vue de quelqu’un d’autre, à déduire son état mental tant sur le plan cognitif – telle personne sait ceci mais ignore cela – que sur le plan émotionnel – telle personne vient de vivre ceci, elle a sans doute envie de cela et pas du tout de telle autre chose.
Beaucoup d’autistes sont notoirement mauvais en théorie de l’esprit, il a même été envisagé que l’une de nos caractéristiques déterminantes soit notre incapacité à en développer une. Sans aller jusque-là, beaucoup d’entre nous doivent néanmoins faire consciemment une démarche que les neurotypiques pratiquent d’instinct : se demander ce que la personne en face d’eux voulait dire, ce qu’elle peut bien attendre de l’échange, ses motivations derrière chaque remarque et son ressenti général. Comme mon lecteur s’en doute, cela peut mener à beaucoup de fatigue intellectuelle voire, parfois, à une certaine forme de paranoïa légère.
Se mêle également à cela une certaine forme de résistance parce que pour beaucoup d’autistes, le monde serait plus simple si les gens autour d’eux daignaient tous être un tantinet plus logiques et évitaient de dire quelque chose s’ils pensent le contraire.

 

La même personne autiste pourra donc, d’un jour à l’autre, montrer de grosses variations dans sa capacité à comprendre le non-dit, et dans l’absolu, certaines y arriveront juste mieux que d’autres.

 

Le manque de tact des personnes autistes

Comment dire à quelqu’un que ses pâtes sont trop cuites ou les fleurs qu’il a amenées super moches, que son pull fait mal aux yeux ou qu’un chewing-gum à la menthe ne lui ferait pas de tort ? Si on tient un peu à la relation qu’on a avec cette personne, souvent, on évitera de lui dire tout court, ou on le fera d’une manière détournée et aussi délicate que possible. Ce n’est pas de l’hypocrisie : souvent on part du principe que si quelqu’un d’autre devait nous dire qu’on a l’haleine d’un opossum mort, on aimerait qu’il ne le présente pas en ces termes exacts.

Souvent, faire preuve de tact revient à sous-entendre les choses, ou en tout cas à minimiser l’importance de leur impact. Ce qui veut dire que là encore, les autistes n’y sont pas très forts.

Cela peut être pris comme une volonté de nuire ou un manque de considération, mais dans la plupart des cas[2] il n’en est rien. La personne autiste a juste du mal à réaliser la portée de ses propos et/ou leur impact.

 

Peut-on s’améliorer ou aider un proche à s’améliorer ?

Que ce soit pour faire preuve de tact ou pour percevoir le sous-entendu, on peut prendre l’habitude de se demander régulièrement pourquoi quelqu’un nous dit ce qu’il est en train de nous dire, et comment il va percevoir ce que l’on s’apprête à dire - ou encourager un proche à le faire. Si je dois être honnête avec mon lecteur, toutefois, c’est un mécanisme coûteux en ressources mentales et je ne suis pas sûre que le jeu en vaille la chandelle.

Consommer de la fiction (romans, séries, films, jeux vidéo avec un scénario solide) avec une personne qui servira de guide peut être une option, où l’on s’arrêtera à intervalles réguliers pour discuter de l’état mental des personnages et de leurs motivations. Sans être miraculeuse, la fiction tend à développer la théorie de l’esprit chez ceux qui la consomment, quel que soit leur neurotype.


En tant que proche, on peut aussi prendre l’habitude d’en faire des tonnes lorsque l’on veut faire de l’ironie, par exemple, pour que la personne en face repère que notre façon de parler a changé et ainsi puisse comprendre ce que nous sommes en train de faire. (« Oh, oui, bien sûr, aller se promener sous l’averse, quelle idée géniale ! »)
De même, il est possible d’expliquer un processus cognitif en temps réel : « Cette chemise ne te va pas très bien, et tu noteras que j’ai dit ça et pas qu’elle était affreuse, parce que c’est plus agréable à entendre comme ceci. »

Tout ceci étant dit, on ne transformera jamais quelqu’un qui galère terriblement avec les sous-entendus en expert absolu de la question, et ce n’est pas très grave. Lorsque les autistes communiquent, que ce soit entre eux ou avec des neurotypiques, ils s’assurent d’être aussi clairs que possible pour éviter les problèmes de compréhension. Cela peut mener à des façons de s’exprimer un peu bizarres[3], mais ce n’est pas comme si les autistes avaient un problème avec cela. Leur entourage peut, pour s’assurer de limiter les problèmes, tenter d’émuler cette approche. Lorsqu’une personne autiste ne comprend pas un non-dit, souvent cela peut mener à de la déception de la part de ses proches qui s’attendaient à un certain type de réaction. Si mon lecteur aimerait par exemple que son proche autiste l’invite à partager son activité du moment, lui demander « qu’est-ce que tu fais ? » ne suffira pas. De nombreux neurotypiques comprendraient le sous-entendu, mais la plupart des autistes vont sans doute juste répondre par une description de ce qu’ils sont en train de faire, voire suggérer après une minute que l’autre personne arrête de regarder par-dessus leur épaule. Si on attend d’une personne autiste qu’elle nous invite à participer, il faut lui demander si on peut participer. Si on attend qu’elle complimente un plat ou une nouvelle coiffure, il faut lui demander ce qu’elle en pense, etc.

Dans un monde où, souvent, ce qui est considéré comme poli est une approche oblique des autres et de leurs besoins, interagir avec quelqu’un qui pense ce qu’il dit, dit ce qu’il pense, et part du principe que c’est la norme, est déroutant. Je rassure mon lecteur, les neurotypiques nous déroutent tout autant.

Continuons de nous dérouter les uns les autres, si tant est que cela implique que nous communiquons.

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[1]Pourquoi, après tout, dire quelque chose si ce n’est pas cela que l’on veut effectivement transmettre ?

[2]Je dis « la plupart des cas » parce que les autistes ne sont pas des saints et nous pouvons très bien vouloir être désagréables avec quelqu’un en lui signalant que son tiramisu n’a aucun goût.

[3]Anecdote personnelle : un jour, au musée, je venais de prendre mon billet d’entrée lorsque j’ai remarqué un employé qui semblait juste attendre à proximité du trajet que les visiteurs devaient emprunter pour arriver à la première salle. Ne sachant pas s’il voulait fouiller mon sac, tamponner mon billet, me rappeler que les photos étaient interdites ou s’il attendait juste là, j’ai brièvement réfléchi à la manière la plus claire et concise de demander tout cela et ai demandé à l’employé si je « devais interagir avec lui d’une quelconque façon ». Le pauvre était très perplexe.


1 commentaire
  • “Sans aller jusque-là, beaucoup d’entre nous doivent néanmoins faire consciemment une démarche que les neurotypiques pratiquent d’instinct : se demander ce que la personne en face d’eux voulait dire, ce qu’elle peut bien attendre de l’échange, ses motivations derrière chaque remarque et son ressenti général.”

    Oui. En gros, à chaque fois qu’on me sollicite, ce que je cherche à déterminer, c’est ce qu’on attend de moi derrière les platitudes de la conversation. Comme les neurotypiques ne demandent jamais ce qu’ils veulent directement, mais qu’ils n’échangent pas par hasard, une fois qu’on a intégré la composante opportuniste de leur comportement dans leur schéma opérationnel, les choses deviennent plus limpides. La logique apparait. On ne me parle pas juste par sympathie. Il y a toujours une motivation non-dite qui sous-tend l’échange et finit comme par magie par être mise sur le tapis une fois que le terrain a été sondé. On peut comprendre la paranoïa légère, à ce stade…

    Agenda caché le

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