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Autisme et sommeil - partie 1

- Julie BOUCHONVILLE

Autisme et sommeil - partie 1

Que mon lecteur soit autiste lui-même ou fréquente des personnes autistes, il connaît sûrement ces symptômes : un cerveau qui n’a pas l’air de vouloir se mettre en pause, une personne autiste qui se réveille huit fois pendant la nuit et des « coups de pompe » à des moments inattendus. Souvent, les autistes ont du mal à trouver le sommeil du juste. Mais pourquoi ? Et peut-on y faire quelque chose ?

(Au vu de l’ampleur du sujet, cet article sera divisé en deux parties)

 

L’impact d’un mauvais sommeil

Bien qu’à l’heure actuelle le sommeil reste un phénomène assez peu compris, on sait que les humains en ont besoin sous peine de devenir fous, dans un premier temps, et de mourir, dans un second temps. On ne plaisante pas avec Morphée. Le sommeil aide à réguler à peu près toutes les fonctions d’un corps : gestion des hormones et donc du poids, de l’humeur, de l’appétit, du métabolisme, de la température interne et de la libido, pour ne citer que cela, coordination et gestion de l’équilibre, récupération musculaire, processus de guérison et immunité, processus cognitifs, … N’importe qui a déjà dû passer toute une nuit à s’occuper d’un enfant malade ou à réviser pour un examen sait que même une seule nuit blanche suffit à nous perturber complètement. Certaines études suggèrent même que le baby blues, la version moins intense de la dépression post-partum, ne serait pas tant dû aux bouleversements hormonaux et à un environnement peu encourageant qu’au manque de sommeil chronique dont souffrent les nouveaux parents et les nouvelles mères en particulier.

Sur le long terme, le manque de sommeil chronique augmente les risques de cancer, de problèmes cardiaques et circulatoires, d’obésité, de diabète de type 2 et de problèmes mentaux. Au risque de se répéter : on ne plaisante pas avec Morphée.

 

Les besoins de sommeil

Tout le monde n’est pas égal face au sommeil. Certaines personnes ont des besoins moins importants que d’autres. Des moyennes existent cependant : un enfant entre six et treize ans devrait dormir 9 h à 11 h par nuit, un adolescent jusque dix-sept ans, entre 8 h et 10 h et un adulte, entre 7 h et 9 h.

Pour donner un ordre d’idée, cela veut dire que si un adolescent de seize ans doit se lever à 6 h30, il devrait être endormi au plus tard à 22 h30, mais pourquoi pas à 20 h 30 si c’est un gros dormeur.

Si mon lecteur n’a pas la moindre idée de ses vrais besoins de sommeil, la technique généralement utilisée est de profiter d’une période de vacances pour dormir autant que possible pendant quelques jours, histoire de gommer sa dette de sommeil, et ensuite de se coucher quand on est « naturellement fatigué » et de se réveiller sans aide extérieure comme un réveil. Lorsque le nombre d’heures dormi par nuit se stabilise, c’est sur ce chiffre que l’on peut se baser.

 

La qualité du sommeil influe sa quantité

Bien sûr, la qualité du sommeil est tout aussi importante que sa quantité. Quelqu’un qui dormirait 8 h mais « que d’un œil » sera sans doute aussi fatigué que quelqu’un qui n’aurait dormi que 5 h d’un sommeil profond – voire plus. Cette qualité de sommeil dépend de plusieurs facteurs qu’on peut classer grosso modo en externes et internes.

Les facteurs externes qui vont influencer sur la qualité du sommeil sont nombreux : la lumière, le bruit, un partenaire remuant, le confort du matelas/support, la position, la température de la pièce, … Ce sont les éléments susceptibles de perturber notre sommeil. Notre environnement dans les heures qui précèdent l’endormissement joue également un rôle : la plupart des écrans peuvent perturber notre horloge interne[1], par exemple, et la digestion peut retarder l’endormissement chez certaines personnes – tout comme les activités trop stimulantes physiquement ou intellectuellement. De même, certains facteurs anatomiques (comme le surpoids ou des amygdales massives) peuvent provoquer des apnées du sommeil. Le cerveau réagit à ces apnées en déclenchant un micro-réveil pour forcer la personne à respirer de manière consciente, et tous ces micro-réveils sont autant de temps de sommeil perdu.

 

Les facteurs internes ne sont pas en reste, et vont être liés à la notion d’horloge interne et de cycle de sommeil. L’horloge interne est un principe fascinant basé sur l’adaptation du corps : lorsque nous effectuons des choses avec notre corps à heure fixe (ou à peu près fixe), notre corps s’y habitue et en vient à anticiper dans un souci d’efficacité. Ainsi, si nous mangeons tous les jours à 13 h, notre corps s’y habitue et anticipe qu’il devra se mettre à digérer vers cette heure-là. Sa préparation aux processus de la digestion fait que vers 12 h 30, nous ressentons un ensemble de sensations que nous identifions comme la faim.

Il en va de même pour le sommeil : quelqu’un qui se couche tous les soirs à 22 h ressent, vers cette heure, des picotements dans les yeux et une envie de bailler.

On voit tout de suite l’importance d’avoir des horaires de sommeil à peu près réguliers : quelqu’un qui se coucherait sans aucune forme de routine aurait beaucoup plus de mal à s’endormir rapidement, son horloge interne ne pouvant travailler pour lui de manière optimale.

 

Les cycles de sommeil sont un autre facteur extrêmement important : en effet, le sommeil n’est pas un phénomène constant huit heures durant. Chez l’adulte, il est découpé en cycles allant de 90 minutes à 120 minutes. La durée de ces cycles est assez constante pour chaque personne.

Un cycle commence avec une phase d’endormissement, qui dure quelques minutes.

Puis arrive une phase de sommeil lent, d’abord léger puis profond. Le sommeil léger dure plus longtemps que le sommeil profond, mais les proportions sont variables : les premières heures de la nuit sont beaucoup plus riches en sommeil profond que les dernières. La phase de sommeil lent (léger + profond) dure entre 60 et 100 minutes.

Enfin, nous avons une petite phase de sommeil paradoxal qui ne dure qu’une quinzaine de minutes (et un peu plus en fin de nuit quand le sommeil profond se réduit). C’est durant cette phase que nous rêvons le plus.

Nous enchaînons plusieurs cycles au cours d’une nuit : sommeil léger puis profond, sommeil paradoxal, éventuellement un micro-réveil, puis sommeil léger à nouveau, puis profond, puis paradoxal, etc.

 

Arrivent les perturbations liées à l’autisme

Tout ceci ayant été dit, on peut ressentir trois problèmes majeurs quand on parle de sommeil : la difficulté à s’endormir, la difficulté à rester endormi, et les proportions des divers types de sommeil que l’on expérimentera au cours de la nuit.

Qu’est-ce qui peut perturber ce sommeil ? Tout un tas de facteurs annexes à l’autisme, dans un premier temps : l’anxiété, la dépression, les troubles de l’attention, les douleurs intestinales ou autres troubles digestifs et les effets secondaires de certains médicaments, par exemple. Une activité physique insuffisante peut aussi mener à des phases de sommeil profond trop courtes. Un simple problème dans la gestion des fonctions exécutives peut mener à d’énormes difficultés pour changer d’activité et se préparer à aller dormir.

 

Des études suggèrent que les personnes autistes expérimentent moins de sommeil paradoxal que les autres ; or le sommeil paradoxal est une étape importante pour la mémorisation de matériel et la création de nouveaux souvenirs.

D’autres évoquent la possibilité d’une horloge interne un peu perturbée. Un rouage essentiel de cette horloge interne et du rythme circadien qui en découle est une hormone appelée mélatonine. Son rôle est essentiel dans la régulation de nos comportements : elle intervient dans la sensation de fatigue qui précède le coucher, dans la régulation de l’appétit, de la libido, de l’humeur[2], etc. Cet aspect « couteau-suisse » de la mélatonine fait qu’à la moindre perturbation de son cycle de production et de dégradation, tout un tas de processus vont dérailler à leur tour. Lorsqu’une personne autiste tarde à trouver le sommeil, que son esprit n’a pas l’air d’avoir reçu le mémo disant qu’il était l’heure d’aller se coucher, la cause est souvent à chercher du côté du rythme circadien et/ou de l’anxiété.

Enfin, on sait que les cerveaux autistes sont plus sensibles aux stimulus extérieurs : un bruit ou une lumière, même discrets, sont plus susceptibles de les réveiller ou de les empêcher de se rendormir.

 

Les troubles du sommeil sont-ils courants chez les autistes ? Unanimement, oui. J’ai eu du mal à trouver des chiffres de prévalence chez les adultes mais plusieurs études réalisées auprès d’enfants suggèrent une proportion allant d’un enfant autiste sur deux à sept enfants sur dix – soit un nombre abominable. Les rares études menées auprès d’adultes autistes suggèrent que ces problèmes ne disparaissent pas en grandissant et qu’on peut donc tabler sur une incidence similaire. Comme on l’a vu, les troubles du sommeil ont un impact très net sur la santé de ceux qui les subissent et chez la personne autiste, qui doit toujours faire plus d’efforts que la personne neurotypique pour fonctionner d’une manière perçue comme normale, les conséquences sont d’autant plus lourdes.

 

Après cette entrée en matière un peu déprimante, la semaine prochaine, nous aborderons les méthodes existantes pour tenter de résoudre ces troubles du sommeil, ou au moins de les rendre plus aisés à vivre.

(N.B. : cet article a été écrit suite à une demande faite en commentaire sur le blog. Si vous aussi aimeriez que je parle d’un sujet en particulier, n’hésitez pas à le faire savoir via les commentaires!)

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[1]La plupart des écrans émettent une lumière bleue, or nos cerveaux associent la lumière bleutée à l’aube et au matin en général. C’est subtil, mais cela peut suffire à dérégler une horloge interne. De plus en plus d’appareils (smartphones, ordinateurs, …) proposent un « filtre à lumière bleue » qui décale les couleurs vers le rouge et résout le problème.

[2]La dépression saisonnière pourrait, chez certaines personnes au moins, être liée à un surplus de mélatonine dont la production est partiellement liée à la baisse de la luminosité.


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