
Autisme : la théorie du cerveau hypermasculin, partie 2
- Julie BOUCHONVILLE

La dernière fois, nous nous sommes demandé si les cerveaux possédaient des différences de genre. Cette semaine, nous remettons au cœur de la question cette fameuse théorie du cerveau hypermasculin.
Qui a proposé la théorie du cerveau hypermasculin ?
Spécialiste de l’autisme, c’est Simon Baron-Cohen qui le premier a proposé cette vision des choses en 2002, amenant l’idée d’une sorte de continuum des cerveaux avec à une extrémité le cerveau féminin, orienté vers l’empathie et les compétences sociales, et à l’autre, le cerveau masculin, orienté vers la systématisation[1].
Simon Baron-Cohen est aussi l’auteur d’une autre grande théorie concernant l’autisme ; c’est aussi à lui que l’on doit la notion que les autistes sont dénués de théorie de l’esprit[2]. Ces deux approches, qui s’articulent autour de l’axe central de la non-empathie typique de l’autisme, ont pu avoir leur intérêt et ont participé à la progression des connaissances scientifiques, mais sont aujourd’hui décriées, car trop simples, par la communauté autiste et plusieurs chercheurs[3] [4] [5].
Un cerveau hypermasculin, qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous avons vu lors de mon dernier article que les différences entre les cerveaux « plutôt féminins » et « plutôt masculins » tenaient, en gros, à un peu plus de volume par ci et un peu moins de volume par là — et que toutes, à part peut-être pour une tendance des cerveaux masculins à être un peu plus volumineux, ne font pas consensus.
Mais quand on examine les affirmations de Baron-Cohen, on se rend compte qu’il ne parle pas tant d’avoir un peu plus de gyrus fusiforme et un peu moins de cortex insulaire, mais plutôt, simplement, ce retard ou manque d’empathie, et cet excès de systématisation. C’est à dire que nous aurions des aptitudes sociales et/ou émotionnelles qui laissent à désirer, mais notre capacité à identifier des motifs qui se répètent et suivre des règles cohérentes serait excellente.
Pourquoi appeler cela « hypermasculin » ?
Moi aussi, en lisant l’explication que je viens de retranscrire, mon premier réflexe serait de trouver ce résumé un peu simple, mais pertinent. Oui, de nombreux autistes collent à ce profil. Mais quel rapport avec le genre, cependant ? Dans la sagesse populaire, les hommes sont bons avec la logique et les femmes bonnes avec les émotions, mais sûrement, Baron-Cohen n’a pas basé sa théorie sur une sorte de vaste « tout le monde sait que », n’est-ce pas ?
Non, il l'a basée sur son propre questionnaire, administré à de nombreux patients aux neurotypes divers, sur base duquel il a déterminé que les femmes ont tendance à l’empathie et les hommes, à la systématisation.
Trois vérités s’imposent dès lors à nous :
1) Ce genre de tests peut donner des résultats très divers selon la manière dont les questions sont tournées.
2) Quand bien même les résultats ne seraient pas influençables par les biais de la personne écrivant les questions, nous vivons dans une société qui valorise l’empathie chez les femmes et la logique/les systèmes chez les hommes, ce qui a inévitablement un effet sur leurs manières de se comporter, de penser et, in fine, sur leurs cerveaux.
3) Ce questionnaire n’observant pas directement les cerveaux, on devrait plutôt parler « d’esprit », de « mode de fonctionnement » ou de « façon de penser »
Que comprendre ?
Que la théorie du « cerveau hypermasculin » devrait idéalement s’appeler la « théorie que les autistes voient le monde avec pas des masses de compétences sociales et une appétence pour les systèmes, ce qui selon au moins un questionnaire dont les biais sont inconnus est plus typique des hommes occidentaux », dont j’admets que cela claque nettement moins.
Une explication, ou une prédiction ?
Simon Baron-Cohen voyait sa théorie comme capable des deux, c’est-à-dire expliquant les comportements observés chez les personnes autistes, et aussi prédisant comment les personnes autistes vont avoir tendance à se comporter.
Dans la mesure où il est plutôt bien établi que nous avons une certaine tendresse pour les motifs qui se répètent et une tendance à penser en systèmes articulés les uns avec les autres, dire que nous allons fonctionner en ces termes n’est pas une innovation incroyable, et ne l’était pas non plus en 2002, mais on peut se poser la question de l’empathie.
Le terme « empathie », dans le cadre de cette théorie où des mots-clefs peuvent en fait cacher des réalités plus nuancées, est parfois remplacé par la notion plus complexe d’aptitudes sociales ou d’intelligence sociale, et dans ce cas, il est vrai de dire que de nombreux autistes — bien que pas tous — ont du mal avec ces concepts. Si l’on s’en tient à la définition plus stricte de l’empathie, c’est en revanche erroné, mais là encore, le mot n’était sans doute pas censé être pris dans son sens premier.
En conclusion
Je ne vois toujours pas, à titre personnel, l’intérêt de cette théorie qui, si l’on y réfléchit deux minutes, se contente de finalement d’ériger en principe majeur et décisif deux traits bien connus de l’autisme. Dire que nous pourrions définir l’autisme comme une appétence pour les systèmes et un retard dans les capacités sociales, c’est comme affirmer que nous pourrions définir la fracture du fémur comme un état où l’os communément appelé fémur serait partiellement ou totalement fracturé.
Effectivement, on pourrait. C’est certainement une tendance qui existe. Est-ce que cela amène une meilleure compréhension du sujet, facilite la vie des personnes concernées ou fait avancer la recherche, en revanche, je n’en ai pas l’impression.
J’espère avoir clarifié pour mon lecteur cette théorie du cerveau hyper masculin, qui n’avait finalement rien à voir avec les cerveaux ou la masculinité, et le retrouve dès début mars pour de nouvelles aventures.
[1]On se réfère d’ailleurs parfois à cette théorie comme « théorie empathisation-systématisation », un terme moins chargé, mais c’est bien de la même théorie que l’on parle.
Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com
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Bonjour,
Et avec tout ça, est-ce qu’on ne devrait pas se pencher sur la capacité à associer toutes ces bizzareries (observations sociales et recherche des motifs + alexithymie, masquing sociale, pensée magique) pour endosser la capacité à émuler l’empathie en identifiant l’émotion chez l’autre et à l’endosser pour devenir bons au théâtre ?
C’est plutôt bien décrit dans le jeu vidéo : “Life is Strange 3”.