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« Autiste, et alors ? » - le droit à l’indifférence - Partie 1

- Julie BOUCHONVILLE

« Autiste, et alors ? » - le droit à l’indifférence - Partie 1

Lorsqu’on appartient à une minorité, il existe un marqueur d’intégration à la société qui représente une sorte de Graal. Tout le monde ne le perçoit pas de la même manière, mais tout le monde s’accorde sur son importance : j’ai nommé le droit à l’indifférence. Dès lors qu’il est acquis (et on verra que « acquis » est une notion à géométrie variable), on sait que la partie est, si pas gagnée, au moins en bonne voie.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Et qu’est-ce que cela signifie pour les autistes ?

 

« Dodgson est parmi nous, Dodgson est là ! … tout le monde s’en fout. »

Que mon lecteur s’imagine travailler à la caisse d’une boulangerie. Une personne se plante face au comptoir et lui demande deux croissants et une baguette bien cuite. Cette personne a la peau dorée, les cheveux sombres et raides, et les yeux noirs. Il est probable qu’elle soit d’origine asiatique. Mon lecteur, en toute probabilité, n’a strictement rien à faire des origines de cette personne ou de son physique, et va lui fournir ses deux croissants et sa baguette avant de l’encaisser et de passer au client suivant.

Dans cette situation fictive, mon lecteur a respecté le droit à l’indifférence de cette personne : malgré qu’elle soit issue d’une minorité[1], mon lecteur l’a traitée comme une personne banale dont les différences, réelles ou imaginées, n’avaient aucun impact sur leur échange. Il ne s’agissait pas de ne pas comprendre une potentielle différence, ou de faire comme si elle n’existait pas : il s’agissait de savoir qu’elle n’avait aucune espèce d’importance dans ce contexte et donc de la traiter avec indifférence.

 

Le droit à l’indifférence, c’est le droit qu’à tout un chacun de ne pas être particulièrement remarqué ou observé, traité de manière différente, fétichisé, démonisé, etc., c’est le droit à être juste un citoyen lambda, unique certes[2], mais en même temps, juste un humain parmi d’autres. Et pour beaucoup de personnes appartenant à des minorités, c’est un peu le fantasme absolu.

 

Qu’implique le droit à l’indifférence ?

Cette notion implique tout d’abord que nos différences et particularités soient banalisées auprès du grand public.

Par exemple, quelqu’un qui n’a jamais vu de personne autiste en train de secouer les mains pour stimmer et qui s’y retrouve confronté pour la première fois va trouver ce comportement étrange, peut-être dévisager la personne, éventuellement lui demander si tout va bien et si elle a besoin d’aide, ou réagir avec violence s’il pense que ces gestes  peuvent mener à de l’agressivité. Il n’est pas du tout indifférent au stim.

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Quelqu’un qui, en revanche, sait de quoi il s’agit, ne va pas particulièrement fixer la personne autiste du regard ni commenter : il est bien au courant que quelqu’un qui secoue les mains dans la file d’attente n’est pas plus bizarre ou dangereux que quelqu’un qui mâche du chewing-gum.

Une banalisation d’un comportement ou d’une apparence passe inévitablement par la représentation : pour habituer les gens à voir, par exemple, des personnes autistes, il n’y a pas cinquante manières de procéder, il faut leur montrer des personnes autistes. Cela peut se faire via les médias de loisir[3], via des campagnes d’information, via l’habitude que peuvent prendre les personnes autistes d’être aussi bizarres qu’elles en ont envie lorsqu’elles sont en public ; mais sans exposition, on ne peut tout simplement pas normaliser un stimulus[4].

 A lire également : "Pourquoi les personnes autistes se balancent ?"

Deuxièmement, le droit à l’indifférence implique aussi une certaine attitude de « laisser-aller » envers ses concitoyens, qui dépend d’une culture à l’autre. Si l’on est issus d’une culture[5] dans laquelle il est normal de dire aux gens ce que l’on pense de leur vie privée, on aura plus de mal à accorder son indifférence aux autres, par opposition à une culture qui considère que les actions privées de chacun ne concernent que lui[6].

 

Le droit à l’indifférence implique enfin, étrangement, un monde juste. Pourquoi ? Parce que dans une société ne faisant pas preuve d’équité, il est impossible d’être traité avec indifférence.

Prenons un exemple simple : l’accessibilité des lieux publics aux fauteuils roulants. A l’heure actuelle en France, de nombreux lieux publics ne sont pas accessibles en fauteuil roulant, ce qui est contraire à la législation en vigueur mais tout le monde s’en fout un peu[7]. Sachant cela, une personne en fauteuil qui désirerait avoir accès au restaurant X doit soit se renseigner en avance, attirant ainsi l’attention sur sa différence, soit se pointer et risquer de se retrouver face à une situation où elle a le choix entre repartir sans avoir dîné et demander de l’aide à des inconnus. Dans tous les cas, elle a plus ou moins été forcée de braquer un projecteur sur elle-même et sur ses limitations, et a dû demander à ne pas être traitée comme tout le monde.

L’agencement de ce restaurant a donc enfreint le droit à l’indifférence de cette personne. Seule une société parfaitement équitable permet à ses citoyens de ne pas, de temps en temps au moins, devoir lever la main et expliquer que, pour eux, ce truc qui va de soi est un peu plus compliqué et qu’ils vont devoir bénéficier d’un traitement de faveur.

C’est ce phénomène qui crée parfois l’impression chez le grand public que les minorités veulent « plus de droits que les autres » ou « sont tout le temps en train de réclamer des trucs ». Dans les faits, les personnes appartenant à des minorités essayent juste d’être traitées avec équité – voire même avec un juste un peu moins de discriminations. Dans le cas des personnes autistes, entre la psychophobie ambiante, les discriminations à l’embauche, les parcours d’obtention d’aides dignes du labyrinthe de Minos, les professionnels mal formés, les écoles surmenées et les lieux publics pas adaptés, ce n’est pas le choix d’obstacles qui manque, et nous serions tous prêts à ce qu’on commence par les réduire de moitié, quitte à ce que la société équitable attende encore un peu.

 

Bien sûr une société rigoureusement équitable serait très difficile à concevoir, et il est important de garder en tête qu’un équilibre purement pratique doit être maintenu entre accessibilité et rentabilité, mais la bonne nouvelle est que notre société se trouve encore à quelques années-lumière de l’équité, et que nous pouvons donc faire de nombreux progrès avant de toucher le mur de la praticité.

Quelques possibilités rien que pour les autistes ?

- Créer des lieux publics qui soient moins agressifs sur le plan sensoriel[8]

- Systématiquement proposer un test de compétence, si possible en ligne, avant tout entretien d’embauche

- Démocratiser l’usage du casque anti-bruit

- Demander des entreprises que leur site ait une petite page « comment interagir avec nous ? » qui explique comme un échange se déroule d’ordinaire (le resto expliquerait comment se passe le processus de commande, le réparateur de machine à laver expliquerait comment se passe son intervention, etc)

- Autoriser les personnes à emporter leurs propres consommations dans les établissements qui vendent des consommations[9]

- Créer des « alcôves de rue », des endroits où une personne peut s’asseoir au calme et faire une pause en s’isolant du bruit environnant[10]

- Limiter la pollution visuelle dans les espaces publics en limitant/interdisant les publicités gigantesques et/ou mouvantes

- S’assurer que les règles qui existent déjà pour le confort de tous[11] soient effectivement respectées

- Démocratiser le télé-travail

- Démocratiser les chiens d’assistance pour les autistes

- S’assurer que le montant de l’allocation pour adultes handicapés permette de vivre de manière décente

 

Comme on le voit, la plupart de ces modifications profiteraient aux autistes sans rien retirer aux neurotypiques. Au contraire, eux aussi pourraient bénéficier de ces aménagements. Ce sont des modifications de dénominateur commun, qui profiteraient à tout le monde mais seraient indispensables pour certains là où elles n’amélioreraient que le confort d’autres.

 

Cet article étant déjà long, je propose de retrouver mon lecteur pour la seconde partie d’ici 15 jours.

 

[1]En France du moins. Si on regarde à l’échelle mondiale, c’est l’ethnie Han qui est le plus grand peuple, avec plus de 1,3 milliards de personnes. Tous les autres sont techniquement des minorités par comparaison.

[2]Nous le sommes tous.

[3]Qui sont, quoi qu’on en dise, une source massive de représentation.

[4]Ceci est bien sûr vrai pour toutes les minorités et pas juste les personnes autistes.

[5]Personnelle, nationale, familiale, religieuse, etc. : la culture de chacun est plus complexe que juste l’endroit où il vit.

[6]Un outil intéressant que j’ai identifié pour déterminer dans quelle direction on tend est la notion de crime de mœurs. Si une personne, une religion, un système pénal etc. admet la notion d’un crime de mœurs, c’est à dire un crime sans victime et qui implique un comportement considéré comme « déviant » ou « contraire aux bonnes moeurs », alors cette entité a plus de mal à faire preuve d’indifférence.

[7]Je ne sais pas d’où vient la foi inébranlable de tous les membres du gouvernement que jamais ils ne se retrouveront en fauteuil roulant même pour une brève période, mais elle est solide.

[8]Je comprends qu’une parfumerie soit plus ou moins obligée de sentir le parfum, mais l’éclairage d’un grand magasin ne devrait pas donner à quiconque envie de pleurer.

[9]Honnêtement le modèle « si je ne te force pas à acheter ma nourriture tu n’en achèteras pas » suggère un manque de confiance en soi terrible de la part des dirigeants de ces établissements.

[10]Et mettre des amendes effroyables à quiconque vient embêter les usagers des alcôves.

[11]Par exemple, l’interdiction de fumer sur les quais de gare ou l’importance de ne pas faire trop de bruit dans les transports en commun.


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