De la co-occurrence de l’autisme et des TOCs - Partie 1
- Julie BOUCHONVILLE
Les autistes aiment les rituels, je pense que la notion n’est plus à présenter, et nous pouvons être très perturbés lorsque ces rituels sont bousculés. S’il existe une bonne manière d’arranger des peluches, de se brosser les dents ou de préparer une tasse de thé, par conséquent toutes les autres approches se résument à la mauvaise manière, et nous ne pouvons les accepter.
Toutefois, le rituel et les intérêts spécifiques peuvent, de l’extérieur, se confondre avec le Trouble Obsessionnel Compulsif. Alors, qu’en est-il ? Retrouve-t-on un lien entre autisme et TOCs ? Peut-être une causalité ? Penchons-nous sur ce que nous apprend la recherche.
Qu’est-ce qu’un TOC ? Définition brève
Un TOC est une maladie psychique qui correspond au registre du trouble anxieux. On peut le comprendre en examinant les deux termes clefs qu’il contient : d’un côté l’obsession, c’est-à-dire la difficulté extrême à se détacher de certaines pensées, à se concentrer sur autre chose, et d’un autre côté, la compulsion, c’est-à-dire la pulsion irrépressible de réaliser certaines actions. Avoir un, ou plusieurs, TOCs, c’est vivre avec un ensemble de pensées intrusives qui vont apparaître dans des situations données et refuser de partir, ainsi qu’avec des pulsions très intenses d’effectuer certains actes.
Souvent, les TOCs ont une valeur de protection : ils vont concerner certains dangers, réels ou perçus, et comment s’en prémunir. Cela peut être très vague (« je touche cette brique en particulier pour me porter chance » ou « j’évite la treizième marche de l’escalier pour ne pas me porter malheur »), ou au contraire très précis (« je vérifie cinq fois que j’ai bien éteint la plaque de cuisson parce que j’ai peur des incendies »).
Les registres les plus concernés par les TOCs sont :
- La maladie et les accidents
- La saleté
- La sexualité (vérification d’attirance ou de non-attirance, pensées intrusives liées à des sujets sexuels…)
- La perte d’objets précieux (téléphone, clefs, cartes bancaires…)
- L’oubli d’actions importantes (verrouiller la porte d’entrée, fermer le frigo, débrancher le fer à lisser…)
- Les catastrophes au sens large
S’il est possible pour n’importe qui de se retrouver face à une pensée intrusive de temps à autre ou de se sentir obligé de revenir chez soi le matin afin de déterminer qu’on a bien refermé les fenêtres avant de partir, le TOC existe lorsque ces pensées et comportements sont envahissants, réguliers, et difficiles à vivre. Ils vont également être maintenus quand bien même ils seraient objectivement délétères pour la personne, par exemple quelqu’un qui ressentirait le besoin de se frotter le nez à six reprises chaque fois qu’il se mouche et, ce faisant, abîme son épiderme.
Expliquer à une personne souffrant de TOCs que ses obsessions ou ses compulsions sont irrationnelles n’amène pas grand-chose. Elle en est consciente et ne demanderait pas mieux que d’être capable d’arrêter.
Différence entre TOC et comportement autistique
Il peut être tentant, pour un observateur extérieur, d’aviser un rituel autistique et de conclure au comportement compulsif.
Un rituel, si rigide soit-il, ne correspond pour autant pas à un trouble compulsif. Même s’il semble irrationnel, il est en général basé sur une approche très cohérente du monde. Par exemple : une personne autiste a pris l’habitude de porter toujours la même tenue pour sortir en hiver, disons son manteau le plus chaud et une écharpe[1]. Pourquoi a-t-elle adopté cette pratique ? Sans doute parce qu’il est plus simple de décider de sélectionner cette tenue une fois pour toutes, de novembre à mars, que de se poser la question tous les matins après avoir inspecté la météo quotidienne. L'information est connue à l’avance, c’est rassurant, il n’est pas nécessaire de dépenser des cuillères à réfléchir à des vêtements.
Imaginons maintenant qu’avec le réchauffement climatique, une journée de début mars soit déjà très chaude. Porter un manteau d’hiver et une écharpe épaisse n’a dès lors aucun intérêt, pire, c’est contre-productif. La personne autiste ne change néanmoins rien à son habitude et se balade habillée comme quand il gèle, souffrant de la chaleur, mais insistant pour garder son écharpe.
Est-ce irrationnel ? Oui. Mais le prix à payer (avoir trop chaud et l’air bête juste un jour) est moins grand que l’alternative (se demander tous les matins ce que l’on va porter pour sortir).
Cette réflexion est valable pour tous les rituels autistiques, qu’il s’agisse de chanter une petite chanson en se lavant les mains[2], d’une séquence d’actions précise pour aller se coucher, de la bonne manière de préparer un chocolat chaud, etc. Ces rituels assurent le minimum de perturbations sensorielles, de charge mentale, ou d’imprévus, et quand on demande à une personne autiste — capable de parler — si elle peut expliquer pourquoi les choses doivent être menées ainsi, elle peut le faire, au moins dans une certaine mesure.
Il en va de même pour les intérêts spécifiques, que l’on qualifie parfois « d’obsessions » par abus de langage. Le terme « obsessionnel » dans le TOC fait référence à des pensées cycliques, qui reviennent sans cesse au même sujet, improductives, et sources de détresse. Personne n’aime penser en boucle « je vais tomber du pont et me fracasser le crâne » ou « est-ce que le four est éteint ? » ; si les personnes souffrant de TOCs pouvaient les chasser d’un claquement de doigts, elles le feraient. L’intérêt spécifique d’une personne autiste, en revanche, est pour elle une source de joie et de satisfaction. S’y pencher, même si ce n’est que pour parcourir des choses déjà connues, lui apporte du réconfort. Et oui, il se peut que dans certaines circonstances précises, son intérêt spécifique soit vécu comme intrusif : par exemple, si la personne doit absolument avancer dans une tâche déplaisante et que son propre cerveau lui propose régulièrement de penser à son intérêt spécifique à la place, parce que ce serait quand même beaucoup plus agréable. Il y a néanmoins ici un clair phénomène d’homéostasie émotionnelle et psychologique en jeu, qui n’est pas du tout présent dans les obsessions du TOC. Les pensées du TOC sont disruptives et déplaisantes. Les pensées liées à l’intérêt spécifique sont agréables et stimulantes.
La semaine prochaine, nous aborderons la notion de comorbidité, ainsi que les pistes à explorer lorsque l’on vit avec à la fois un TSA et un TOC.
[1]Pas n’importe laquelle, attention. Une écharpe précise, testée et approuvée.
[2]Le refrain de « hit me baby one more time » fait pile la bonne longueur, tout comme le speech d’intro de la série originale Stark Trek (« Space, the final frontier. Those are the voyages of the starship Enterprise. […] »)