Hyperlexie
- Julie BOUCHONVILLE
L’hyperlexie, ce n’est pas quand on a les ligaments trop souples, ni un enthousiasme débordant à l’idée d’un nouveau dictionnaire très fourni. C’est une condition – on ne peut pas parler de pathologie ou même de problème, comme mon lecteur le verra – qui touche principalement les autistes et qui se caractérise par un intérêt intense pour le mot écrit.
Comment détecter si une personne est hyperlexique ? Cela a-t-il un quelconque intérêt ? Faut-il au contraire tenter de l’aider ? Est-ce courant ? Faisons le point.
Définition
L’hyperlexie, on l’a dit, se définit comme une passion intense pour le mot écrit, le texte et les lettres. On note également que les jeunes enfants hyperlexiques ont un niveau de décodage des mots supérieur à celui de leurs pairs[1], acquis seuls ou pratiquement seuls (et donc en-dehors d’un environnement scolaire), et un niveau de compréhension inférieur à leur niveau de décodage.
On remarquera que certaines définitions de l’hyperlexie incluent des symptômes d’autisme (retard dans l’acquisition de certaines aptitudes comme le langage, difficulté à maintenir des contacts visuels, difficulté à aller vers les autres enfants pour jouer avec eux), mais ceci n’est pas forcément pertinent dans la mesure où autisme et hyperlexie sont liés[2].
Il est intéressant de noter que la littérature aborde presque toujours l’hyperlexie du point de vue du décodage précoce, ce qui implique de la considérer comme une condition de l’enfant en âge pré-scolaire. Sous cet angle, cela n’a pas de sens de parler d’un adulte hyperlexique. Si on adopte en revanche le point de vue que l’hyperlexie est une affinité particulière pour le mot écrit, éventuellement une approche de la lecture typique des hyperlexiques, alors on admet qu’une personne puisse rester hyperlexique tout au long de sa vie, y compris lorsque ce n’est plus aussi marquant qu’à deux ans.
Notons enfin que certains théoriciens de l’hyperlexie la considèrent comme incluant les enfants dont les capacités de lecture sont précoces, et que d’autres font une nette distinction entre le lecteur précoce et la personne hyperlexique[3].
Je pencherai plutôt du côté de la distinction, parce que la notion d’intérêt marqué pour le mot écrit me semble fondamentale, mais aussi parce qu’un lecteur précoce cesse de l’être une fois que ses pairs l’ont rattrapé, là où la personne hyperlexique peut le rester tout au long de sa vie comme dit plus haut.
En pratique, ça donne quoi ?
Une personne passionnée par les lettres, les mots, les aimants en forme de lettres ou de chiffres, les livres, … Ce genre de choses. Il se peut qu’elle ait ce talent souvent associé à l’autisme[4] qui consiste à être capable de retenir des plaques d’immatriculations, dates de naissance ou numéros de téléphone par cœur et avec aisance.
Enfant, elle a appris à décoder les mots sans aide ou presque mais ne comprenait pas forcément ce qu’elle lisait, et son niveau d’expression orale peut être en complet décalage avec son niveau de lecture.
Même une fois que son vocabulaire s’est plus étendu et que le décodage s’est transformé en véritable lecture, c’est à dire décodage plus compréhension, la personne continue de lire avec aisance et rapidité[5] [6] et d’être, faute d’une meilleure manière de le dire, intéressée par les mots. Cela n’implique pas forcément de devenir un auteur à succès ou même de lire beaucoup, mais une affinité pour le mot écrit existe.
Est-ce que cela sert à quelque chose ?
Non. Disons que la personne hyperlexique serait sans doute contente de pouvoir pratiquer un hobby en rapport avec le mot écrit, voire de travailler dans ce domaine, mais aimer les mots ne garantit pas une orthographe hors pair, une créativité majeure ou un sens de la structure narrative inné. Pire, j’ai vu plusieurs personnes hyperlexiques témoigner qu’elles étaient de très piètres relectrices ou correctrices, lisant trop vite pour repérer toutes les fautes.
On peut exploiter l’intérêt d’une jeune personne pour les mots pour tenter de lui faire lire des bouquins utiles pour son Bac, par exemple, mais l’hyperlexie est ce qu’on qualifie de « splinter skill » : une compétence qui ne mène automatiquement à aucune autre compétence.
Puis-je faciliter la vie de mon proche hyperlexique ?
Pour le jeune enfant, chercher à améliorer son vocabulaire peut être utile, pour que son décodage se transforme en vraie lecture plus rapidement. Cela devrait idéalement se faire dans une ambiance sans pression et pour ainsi dire « en passant » : le but n’est pas de punir la personne qui décode parce qu’elle ne comprend pas.
On peut aussi lui fournir des lectures adaptées à son âge, avec un vocabulaire simple et des thèmes susceptibles de l’intéresser, pour maximiser son plaisir de lecture.
Pour les adultes, le plus simple reste de leur demander. Beaucoup d’adultes hyperlexiques ressentent peu ou prou que l’écrit est leur langue maternelle, et que l’oral est une seconde langue qu’ils ne maîtriseront jamais parfaitement. Pour cette raison, ils peuvent préférer la communication par écrit – mais là encore, faire des généralités n’a que peu de sens. Poser la question aux personnes concernées est le seul moyen d’avoir une information pertinente.
Je pense être hyperlexique, mais je ne lis plus depuis des années – c’est grave ?
Si mon lecteur se retrouve dans ce profil, qu’il se rassure : l’archétype de l’ancien enfant « doué » qui avait en permanence le nez dans un bouquin mais a fini sans le diplôme rutilant qu’on lui avait toujours promis, ne parvient plus à se plonger dans un livre et a l’impression d’avoir perdu tout un pan de son identité… Eh bien, cet archétype existe pour une raison.
Non, ce n’est pas grave d’avoir du mal à lire. Ce n’est pas le nombre de bouquins lus par an[7] qui fait qu’on considère un adulte comme hyperlexique, c’est son attrait pour les mots.
Les difficultés à se concentrer sur un livre peuvent venir de nombreuses sources : un problème de vue qui ne serait pas corrigé, un environnement stressant, un livre trop ambitieux ou simplement pas adapté, etc. De nombreuses astuces existent pour contourner ces blocages, et j’encourage mon lecteur à se manifester s’il aimerait que son serviteur en compile une liste.
Dans tous les cas, qu’il ne désespère pas : on peut aimer les mots et avoir du mal à lire. Avoir aimé un hobby en tant qu’enfant ne veut pas dire qu’on le pratiquera toute sa vie, et il n’y a aucun mal à cela. Et bien sûr, les livres ne sont pas la seule chose qui vaille la peine d’être lue. J’en veux pour preuve, cher lecteur, le temps passé devant cet article.
[1]En France, on considère qu’un enfant « normal » arrive au CP en sachant reconnaître quelques mots ou écrire des syllabes simples, mais c’est plus de la mémorisation que du décodage, qui lui s’apprend courant de CP.
[2]Selon cette étude, 84 % des personnes hyperlexiques auraient un TSA : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S014976341630639X et 6 à 14 % des autistes sont hyperlexiques (https://www.webmd.com/children/what-is-hyperlexia#:~:text=Ages%203%2D5-,Is%20Hyperlexia%20Common%3F,people%20with%20hyperlexia%20have%20autism).
[3]https://en.wikipedia.org/wiki/Hyperlexia
[4]Que je désire ardemment mais ne possède hélas pas.
[5]On définit comme un lecteur rapide quelqu’un qui lit plus que la moyenne admise de 300 mots par minute. Notons qu’être capable de lire vite n’est pas très utile à part quand on veut lire, et ce n’est pas un signe d’intelligence particulier contrairement à ce qui peut parfois être avancé. Si mon lecteur veut se tester, voici un site qui propose un test gratuit : https://lecturerapideblog.com/outils/test-vitesse-lecture/
[6]Notons que la moyenne de 300 mots/minute est parfois remise en cause : https://actualitte.com/article/12721/insolite/vous-lisez-probablement-moins-vite-que-ce-que-vous-croyez#:~:text=La%20vitesse%20de%20lecture%20moyenne,une%20%C3%A9tude%20sur%20le%20sujet.
[7]Et notons qu’en France, dès 20 bouquins par an on est classé par le CNL (Centre National du Livre chargé entre autres d’étudier les habitudes de lecture des français) comme un « gros lecteur ». (https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/les-francais-et-la-lecture-en-2019) Dix livres par an suffisent à faire de quelqu’un un « lecteur moyen », un fait que je trouve personnellement assez rassurant.
Merci Julie !