L’autiste attentif
- Julie BOUCHONVILLE
L’autiste attentif
« Elle n’écoute pas en classe », « Tu fais attention à ce que je dis ? », « Tu parviens à suivre quand tu fais ça ? », « Est-ce que vous avez entendu ? », « On t’embête ? » : une liste vraiment pas exhaustive du tout de ce qu’une personne autiste peut entendre quand elle prête attention à son environnement de la manière qui lui vient le plus naturellement.
L’attention autiste et l’attention neurotypique
Que mon lecteur imagine un étudiant concentré sur son professeur. Quelle est sa posture ? Que fait-il ? Que regarde-t-il ? Il est probable qu’on ait imaginé une personne assise sans bouger, peut-être en train de prendre des notes, hochant la tête à mesure qu’elle suit une explication, le regard braqué sur l’enseignant. Ce qui est très logique : la majorité des gens ressemblent effectivement à cela quand ils sont concentrés.
C’est pourtant une image de l’attention telle qu’exprimée par une personne neurotypique, et le problème est que si l’on considère que c’est la seule attitude acceptable pour une personne attentive, on va très vite accuser les personnes autistes d’être dissipées, inattentives, voire insolentes.
Multi-tâche ?
Souvent, une personne autiste écoutant ce qu’on lui raconte va regarder ailleurs que directement dans le visage de la personne qui parle. Pour beaucoup d’entre nous, les yeux et le visage sont une distraction : nous suivons moins bien ce qui nous est expliqué lorsque nous les fixons.
Notre besoin d’auto-régulation va en outre nous pousser à utiliser nos mains ou notre corps entier à une tâche simple qui n’a rien à voir avec l’explication en cours : utiliser un stim toy, griffonner, remuer les pieds, se balancer sur une chaise, jouer à un jeu simple sur notre portable, … Les autistes sont en général notoirement assez mauvais lorsqu’il s’agit d’accomplir plusieurs choses à la fois[1], mais les activités ne nécessitant « que nos mains » ne comptent pas réellement dans cette équation. Au contraire, comme elles nous apportent de la régulation, elles nous permettent de mieux nous concentrer sur ce qui est dit.
Une personne autiste en train de suivre une explication peut donc être en train de regarder par la fenêtre, de dessiner, de tourner sur elle-même ou de jouer à Fruit Ninja, tout cela sans contact visuel avec la personne qui lui parle. Cela peut être déconcertant pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de ce type de comportement, mais la personne est néanmoins vraiment en train de l’écouter, et si elle parle, elle sera en mesure de lui répondre.
Une personne autiste a parfois l’air « traditionnellement concentrée », pourtant !
Bien sûr, il nous arrive aussi d’être complètement pris par une activité ou un sujet. Un jeu vidéo qui nécessite les deux mains sur la manette et les yeux fermement rivés à l’écran obtiendra ce genre de résultats. Il en ira de même pour les activités manuelles qui requièrent en outre de la concentration (pas les choses qui n’occupent que les mains, donc). Et parfois, nous sommes bien régulés, avons tout pile le bon niveau de stimulation, et ne ressentons pas le besoin de remuer/occuper nos mains/regarder ailleurs en même temps que nous suivons une conversation ou une explication. Ça paraît fou, mais ça peut arriver !
Cela ne remet pas en cause, en revanche, que très souvent, nous n’aurons pas l’air concentrés. Mais promis, on le sera.
Mon proche autiste ne fait pas attention, pour de vrai !
Il est aussi toujours possible que, quand une personne autiste semble ne pas écouter un traître mot de ce qu’on lui dit, ce soit précisément ce qu’il se passe.
Que faire ? Lui parler serait un bon début. Il se peut que le sujet ne l’intéresse pas. Il se peut qu’elle ait essayé de parler mais que, remarquant qu’elle n’était pas la bienvenue dans la conversation, ait décidé de faire autre chose. Il se peut qu’elle ait un trouble de l’attention. Ou qu’elle soit un ado qui trouve relou de parler avec sa famille. Ou tout ça à la fois. Ou autre chose. La meilleure solution reste d’en discuter avec cette personne – pas de lui retirer ses distractions. Une personne autiste frustrée et mal régulée ne sera pas magiquement plus attentive.
Que faire face à ceux qui refusent de comprendre que l’attention autiste ne se présente pas comme l’attention neurotypique ?
Je prêche pour ma paroisse, mais leur montrer cet article est toujours une méthode valable, bien que peut-être un peu passive-agressive.
Au cas par cas on peut essayer le « Si-si, j’écoute, tu viens de dire que la fille de Pastèque avait loupé son concours à deux points près », suivi d’un moment pédagogique expliquant le besoin de faire une activité en plus afin, justement, de pouvoir se concentrer.
Il est important, surtout dans l’environnement scolaire, de faire comprendre aux enseignants non-autistes à quel point leur ressenti peut être erroné – il en va, après tout, de la capacité à se concentrer des étudiants autistes. Finir distrait par le fait de devoir faire semblant d’être concentré n’a que peu d’intérêt, et c’est hélas encore quelque chose qui se produit trop souvent. Et c’est quelqu’un qui réfléchit à ses articles en tournant en rond qui l’affirme.
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[1]Je suis personnellement incapable d’avoir une conversation tout en me préparant à sortir, par exemple, parce que les deux nécessitent de l’attention active.
Merci à vous Maeva !
Merci pour cet article parfaitement détaillé de la vie vue à travers l’autisme et d’ailleurs je ne pense pas forcément que cela concerne les personnes autistes. Je trouve les normes imposées trop étriquées ce qui est tellement dommage. C est tellement passionnant d’observer et d’apprendre des autres et leurs préférences pour être à l’aise dans cette société.
Merci ! Cet article m’aide à poser des mots sur ce que j’observe et ressens des autres afin de pouvoir sensibiliser petits et grands à l’autisme et ses particularités ui peuvent s’adapter à tous.