L’illusion de la paresse
- Julie BOUCHONVILLE
Parfois, nous voyons quelqu’un qui semble ne rien vouloir faire pour se sortir d’une situation problématique. C’est peut-être un étudiant qui néglige ses devoirs, une personne qui n’entreprend aucune démarche pour obtenir une aide à laquelle elle aurait droit ou quelqu’un qui ne cherche pas de nouvel emploi. Parfois, cette personne, c’est nous-même.
Il est tentant de se dire que toutes ces actions – ou absences d’actions – ont une même cause : la paresse.
Mais est-ce réellement le cas ?
(Spoiler : non.)
La flemme : une définition
La flemme, la paresse, l’oisiveté : plusieurs termes pour décrire une forme d’inactivité passive et critiquable. Être paresseux ce n’est pas juste se reposer après un effort ou même méditer ou réfléchir, c’est volontairement ne rien faire. Et, dans une société capitaliste où travailler beaucoup est vu comme une source de fierté, c’est bien sûr terriblement mal perçu.
On ignore ce qu’on ignore
C’est un biais courant : Kiwi observe les actions de Pomme. Kiwi ne sait pas ce que Pomme pense, ce qu’elle vit au quotidien, il ne connaît ni son bagage culturel ou éducatif – mais rien de tout cela n’intéresse Kiwi, qui n’envisage pas une seconde d’estimer la masse des informations qui lui manquent. À la place, Kiwi observe Pomme et sur la base des quelques données qu’il a récupérées, décrète que c’est telle motivation qui la pousse à agir comme elle le fait.
Souvent, nous en arrivons à la conclusion que des personnes autour de nous réagissent et réfléchissent sans aucune forme de logique ou de rationalité. Les personnes autistes sont souvent doublement victimes de ce biais : il est courant qu’on nous accuse d’agir sans bonne raison, et il est tout aussi courant que nous déduisions d’une situation, mystifiés, que les neurotypiques ont pété les plombs pour de bon.
Parfois, quel que soit notre neurotype, nous pouvons même en arriver à porter ce jugement sur nous-mêmes, souvent lorsque nous tentons d’appliquer des standards qui ne sont pas forcément adaptés. Cela peut mener à une réflexion de type « Je n’ai aucune bonne raison de faire X, il est donc pertinent de penser que je suis une personne incohérente/irrationnelle/moralement déficiente ».
Tout le monde est rationnel
Par là j’entends que personne ne fait quoi que ce soit sans bonne raison. Les gens font toujours de leur mieux pour survivre et s’épanouir en fonction de leurs circonstances.
« Julie, je crois que as bu trop de thé », répondra peut-être mon lecteur qui connaît définitivement des gens qui manquent de rationalité ou qui semblent se délecter d’être malheureux.
Sûrement, cher lecteur, mais je pense quand même avoir raison. Nos réactions ne sont pas toujours très logiques, surtout quand elles se font suite à des émotions[1], et parfois nos comportements sont issus d’instinct plutôt que de réflexions construites, mais ils sont toujours issus de quelque chose. Ce qui veut dire que quand nous ne comprenons pas pourquoi une personne agit d’une certaine façon, cela signifie qu’il nous manque tout simplement des informations.
La paresse, cette volonté de ne rien faire pour ne rien faire, est une forme d’irrationalité. C’est un comportement qui n’apporte rien et qui est motivé par la volonté de rien. Cela me pousse à conclure que la paresse est une illusion, un mythe, qui est beaucoup plus facile à manipuler et à coller sur les gens comme une étiquette que la longue réflexion qui le remplacerait : pourquoi cette personne agit-elle de la sorte ? Que se passe-t-il dans sa vie pour que cette manière d’aborder le monde lui semble, si pas la meilleure, au moins la moins pire ? De quel genre d’aide a-t-elle besoin ? Qui peut la lui fournir ? Dois-je remettre en question tout mon système s’il finit par enfermer les gens dans des bulles de passivité ? Etc.
Si pas la paresse… alors quoi ?
Mais alors concrètement, pourquoi sommes-nous parfois paresseux, faute d’un meilleur mot ?
Les causes sont multiples, mais que ce soit par manque d’informations ou parce que nous avons internalisé un certain capacitisme que nous appliquons à nous-même, nous ne les voyons pas toujours – ou plutôt nous les voyons, mais refusons de les reconnaître pour ce qu’elles sont.
Une personne qui semble paresseuse peut être paralysée par l’anxiété. Elle peut être découragée par la dépression ou les échecs répétés (c’est ce que l’on appelle l’impuissance apprise). Peut-être qu’elle a du mal à passer à l’action, si elle souffre de dysfonction exécutive. Peut-être qu’elle ne parvient pas à rester concentrée suffisamment longtemps pour effectuer la tâche à accomplir. Il se peut qu’elle ne comprenne pas ce qui est attendu d’elle et qu’elle ait trop peur des conséquences pour demander une explication. Il se peut qu’elle déteste cette tâche, et ait du mal à se motiver à la faire.
Peut-être que son problème n’a rien à voir avec la situation à décoincer, mais plutôt avec le restant de ses circonstances : peut-être cette personne a-t-elle des problèmes beaucoup plus gros à résoudre qui occupent toute ses capacités mentales et émotionnelles, ou peut-être qu’elle se remet d’un épisode intense comme une maladie, une agression ou un accident. Il se peut aussi que ses besoins primaires ne soient pas satisfaits : quelqu’un qui a faim ou dort trop peu, quelqu’un qui ne se sent pas en sécurité, a beaucoup de mal à accomplir des tâches qui ne sont pas directement liées à la satisfaction de ces besoins de bases.
De l’intérêt de la compassion
Si tout le monde a une très bonne raison d’agir comme il le fait, la conclusion logique est que face à un comportement s’apparentant à de la paresse, la seule solution est la compassion. Qu’on veuille soulager la personne ou résoudre le problème, il n’y a qu’en résolvant le blocage en amont qu’on obtiendra des résultats. On voit tout de suite qu’essayer de menacer la personne, qu’il s’agisse d’un tiers ou de soi-même, n’aura que peu d’impact.
Le cas est particulièrement délicat lorsqu’on est une personne neurodivergente tentant de fonctionner selon des standards neurotypiques. Il est courant, par exemple, pour les personnes atteintes de troubles de l’attention, de ne pas comprendre comment les neurotypiques parviennent à accomplir autant de choses en si peu de temps, et de s’en vouloir de ne pas avoir la même productivité. Ces personnes finissent par se dire qu’elles sont stupides ou incapables, puisqu’elles n’atteignent pas ces mêmes standards.
Il est compliqué de faire toute la démarche mentale consistant à reconnaître nos propres difficultés, à admettre que ce qui est aisé pour d’autres peut-être difficile pour nous sans que cela fasse de nous de moins bonnes personnes, et à chercher à corriger d’abord les problèmes en amont – dans notre exemple, consulter un psychiatre pour le trouble de l’attention – avant seulement de se pencher sur les tâches à accomplir.
Cependant, et j’insiste, cette compréhension et cette compassion sont les seules pistes qui pourront réellement donner des résultats. Se faire violence, ou le faire à quelqu’un d’autre, ne fonctionnera pas sur du long terme. Les gens ne fonctionnent pas mieux quand ils sont plus malheureux.
J’invite donc mon lecteur à faire preuve de bienveillance envers lui-même, et à identifier les personnes dans sa vie qui préféreraient accuser les gens de paresse plutôt que d’en faire de même. La dernière chose dont on ait besoin en ce moment, c’est de négativité.
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[1]Qui parmi nous peut prétendre gérer ses émotions de manière 100 % saine et prévisible ? Certainement pas moi.
Bonjour,
Vous écrivez :«Les gens font toujours de leur mieux pour survivre et s’épanouir en fonction de leurs circonstances.» Mon expérience et mon savoir me font douter de cette affirmation. La partie «en fonction de leurs circonstances» pose particulièrement problème, car la «circonstance» devient l’excuse pour ne pas faire les efforts, les sacrifices. Par exemple, à la guerre, des soldats doivent sortir de leur tranchée et foncer vers l’ennemi en dépit de la peur, qui est une circonstance pour chacun des soldats présents. Celui qui reste caché dans la tranchée ne peut être excusé même si sa circonstance est la peur. Dans mon travail, je vois chaque jour des collègues qui ne font pas toujours de leur mieux, de même pour des clients (patients). Afin d’éviter les efforts, des gens choisissent régulièrement la voie de la facilité. L’indulgence excessive ne constitue pas de la bienveillance. À trop facilement excuser l’inaction, l’oisiveté, la nonchalance, on nuit à tout le monde. L’erreur honnête est toujours permise, mais il faut se mobiliser.
Est ce que le neuro divergent a au fond de lui l’envie le désir profond de mettre son attention sur sa main qui va ramasser des miettes avec une éponge , sur un chiffon qu’il faut passer avec du produit vitres en remuant son bras sur une fenêtre?
Daigne t il vraiment s’intéresser à ce geste et au résultat d’être dans un environnement propre ou préfère t il rester dans le "confort " de ses tracasseries intérieures?