Les animaux autistes
- Julie BOUCHONVILLE
Certaines expériences se font sur des "souris autistes". L'humain derrière le compte Instagram d'un chat célèbre témoigne que ledit chat semble "un peu autiste". Et si de nombreuses personnes autistes témoignent préférer la compagnie animale à celle des humains - ne serait-ce pas parce que les animaux de leur entourage partagent en fait leur neurotype ?
Est-il seulement possible qu'un animal soit autiste ?
Enquêtons sur la question.
Rappel et définition
L'autisme, c'est une manière qu'a un cerveau de fonctionner et de traiter l'information. Être autiste implique le plus souvent :
- Un traitement des stimulus sensoriels différent de la majorité, avec des hyper- et des hyposensibilités et une régulation que la personne doit faire "à la main" en s'auto-stimulant ou en se coupant de certains stimulus.
- Un rapport aux centres d'intérêt différent de la majorité, avec une intensité très élevée, une capacité de concentration impressionnante et des sujets parfois bizarres[1].
- Des rapports sociaux compliqués au moins avec les neurotypiques, comprenant entre autres des difficultés pour entrer en relation.
- Des comorbidités diverses et variées allant des difficultés à digérer tout un tas de trucs aux perturbations du cycle du sommeil en passant par les troubles de l'attention.
On ne connaît pas les causes exactes de l'autisme, mais on sait que cela implique la génétique et certains facteurs environnementaux lors de la grossesse.
Le contexte, le contexte, le contexte
Un élément dont on parle toujours trop peu lorsqu'on mentionne l'autisme et l'impact que ce neurotype a sur ceux qui le possèdent est à quel point le contexte compte.
Une personne autiste qu'on laisse se réguler correctement et qui peut se consacrer à l'un de ses intérêts spécifiques dans un environnement qui lui convient est, concrètement, à peine impactée par son neurotype. Bien sûr elle est toujours autiste, mais pour un observateur extérieur, c'est beaucoup moins évident à déterminer parce que tant que tout se passe bien, la plupart des marqueurs de l'autisme sont internes : un processus de pensée, une manière de percevoir le monde.
Et c'est là que cela devient délicat de diagnostiquer un animal : comment connaître les états internes d'un être qui ne parle pas et a un esprit non-humain ?
Le manque de connaissances
À l'heure actuelle on sait que l'autisme est sous-diagnostiqué[2], ce qui veut dire que nos outils diagnostiques ne sont tout simplement pas assez fins, et que comprendre nos collègues humains est déjà en soi assez difficile.
Encore de nos jours des experts assurent qu'une personne autiste est incapable de tomber amoureuse, d'avoir des amis ou de réellement comprendre ce qui se passe autour d'elle.
Encore de nos jours de gros pourcentages de la population sont convaincus que les animaux n'ont pas ou peu d'émotions, et l'intelligence strictement nécessaire à leur survie.
Même les recherches pointues sur la cognition animale en sont encore à démontrer que l'eau mouille[3], et si on a parfois un coup d'œil sur la psyché animale, cela concerne en général une espèce précise et on est encore à accumuler les petites touches.
En un mot comme en cent : on ne connaît pas encore assez de trucs sur l'autisme, ni sur comment les animaux pensent.
Et les comportements observables ?
Les animaux ont néanmoins des comportements qu'un observateur externe peut noter et étudier. Si un écureuil aligne soigneusement des graines pendant vingt minutes et n'aime pas jouer avec les autres écureuils, par exemple, peut-on dire qu'il est autiste ?
Là encore, c'est difficile, parce que les animaux ne peuvent pas nous expliquer ce qu'ils pensent ou ce qui les motive, et qu'ils ont de base un esprit très différent du nôtre. Un animal qui ne se mêle pas à ses congénères peut ressentir une forme de désintérêt pour la sociabilisation, mais le même comportement peut être expliqué par de l'anxiété sociale, ou de la dépression, ou un mal-être physique[4], ou un problème dans l'interprétation des stimulus olfactifs qui donne l'impression à cet individu que ses congénères ont une odeur bizarre, ou d'autres éléments.
Et même si l'animal exprime un ensemble de comportements qui vont tous dans la direction de l'autisme : cela reste trop délicat de supposer qu'on comprend son monde intérieur. On ne peut pas être sûr. Même s'il expérimente quelque chose de similaire à l'autisme, on ne peut même pas affirmer qu'il vit son autisme d'une manière ne serait-ce que vaguement comparable à un humain.
Pour illustrer cette notion, on peut examiner le cas de l'autisme chez le chien. Certains chiens naissent avec un ensemble de traits qui évoquent l'autisme : une tendance aux comportements répétitifs, des difficultés à lier des liens sociaux et à exprimer leurs émotions avec leur corps, de l'anxiété dans les situations nouvelles, des réactions intenses aux stimulus légers, troubles du sommeil, … bref, ils ont l'air autistes.[5]
Néanmoins, on parle en général de "comportement dysfonctionnel", et on aide le chien dans sa gestion de ses symptômes au cas par cas (ils ont même droit à des petites vestes lestées), simplement parce que ça n'a pas beaucoup de sens de parler d'autisme.
Est-ce que c'est important de savoir si les animaux sont autistes ou pas, en fait ?
Si on compare avec l'immensité de l'univers en constante expansion, non.
Mais ce n'est pas futile non plus. Pas mal de recherches concernant des traitements pour certains symptômes de l'autisme sont effectuées sur des animaux lors des premières phases de tests : on est en droit de se demander la pertinence de cette démarche quand lesdits animaux ne sont peut-être pas autistes et ne sont de toute façon pas autistes comme des humains[6].
On peut aussi s'intéresser à la question de personnes, peu scrupuleuses ou informées, cherchant à vendre des interventions visant à guérir l'autisme d'animaux de compagnie.
J'encourage mon lecteur, s'il pense que l'un de ses animaux souffre d'anxiété, gère mal les stimulus ou ressent de l'inconfort dans son quotidien, à en parler avec son vétérinaire ou son expert en comportement animal (les refuges en ont en général toujours un bon sous la main). Des interventions sont possibles et peuvent améliorer le quotidien de nos amis non-humains.
Bref, les animaux peuvent-ils être autistes ?
On ne sait pas. En continuant à étudier l’autisme et la cognition animale, peut-être qu’un jour on saura, aussi j’encourage mon lecteur à orienter sa carrière dans ces directions histoire qu’on soit enfin fixés.
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[1]Ou jugés comme tels.
[2]Non, Linda, il n’y a toujours pas d’épidémie d’autisme.
[3] Comme cette étude (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8463679/), qui s’est employée à prouver que les chiens qui sont punis avec des “méthodes aversives” (impliquant entre autre des punitions physiques) se sentent moins bien que ceux qui sont éduqués avec du renforcement positif. Les chiens n’aiment pas qu’on les frappe. Qui l’eût cru ?
[4]Beaucoup d’animaux s’isolent quand ils sont malades ou blessés.
[5]L’histoire ne dit pas s’ils ont des intérêts spécifiques.
[6]Puisqu’ils ne sont pas humains.