Alexithymie : une prise en charge Partie 4

Ayant fait le tour des questions relatives à la définition de l'alexithymie, et de ce qui peut orienter vers une démarche de dépistage et/ou de diagnostic, il nous reste à nous demander dans quelle mesure on peut résoudre le problème.

Peut-on changer un trait de personnalité ?

L'alexithymie est un trouble de la gestion des émotions, qu'on peut qualifier de trait. Ce n'est pas un trouble de la personnalité à elle toute seule, ou un trouble du développement comme le TSA, et c'est plutôt une bonne nouvelle, parce que l'on peut modifier les traits de personnalité — ou plus précisément, la manière dont ils sont vécus et dont ils s'expriment.

La personnalité de la personne autiste

Ne sommes-nous pas connus pour notre résistance au changement ? Pouvons-nous seulement changer ?

Il pourrait être tentant de baisser les bras et de se dire que les autistes sont mauvais en émotions, c'est bien connu, et ce n'est pas un lieu commun pour rien. Après des décennies passées à vivre déconnecté de ses émotions, la perspective de devoir tout (ré)apprendre à de quoi effrayer.

Pour le dire simplement, c'est OK d'avoir peur, et c'est OK de ne pas avoir envie de changer, mais si d'aventure mon lecteur se disait qu'il aimerait entreprendre un travail sur son alexithymie, qu'il soit autiste ou non, la bonne nouvelle est que c'est possible. On peut être autiste et apprendre de nouvelles façons de fonctionner. J'irais jusqu'à dire que notre neurotype nous rend moins susceptibles de tomber dans des biais de perception, et parmi eux, l'idée qu'on puisse un jour être trop vieux pour apprendre de nouvelles choses.

Traitement de l'alexithymie

Thérapie cognitive et comportementale (TCC)

Cette forme de thérapie peut prendre plusieurs aspects selon ce pour quoi l'on s'en sert. Elle sera généralement déployée en deux temps, une phase d'observation des mécanismes en cours, et une phase de modification de ces mécanismes pour qu'ils produisent non plus les réponses habituelles, mais bien de nouvelles, jugées plus souhaitables par la personne.

Les personnes alexithymiques, et a fortiori les personnes autistes, ne sont pas très douées pour identifier leurs mécanismes internes, et cette partie de la thérapie est souvent celle qui est la plus compliquée, comme on s'en doute. C'est là que l'aide d'un professionnel prend tout son sens.

En modifiant les habitudes de fonctionnement et en contournant certains écueils, ou en recadrant la manière dont ils sont perçus, on peut obtenir des changements durables dans une temporalité courte — quelques semaines à quelques mois, soit un laps de temps bien plus raisonnable qu'une thérapie analytique, par exemple.

Facteurs environnementaux en cours

Certains facteurs environnementaux et culturels dans l'enfance et l'adolescence peuvent avoir participé à la mise en place du problème. En effet, tout ce qui encourageait la personne à ne pas se préoccuper de ses émotions et à s'en détourner, ainsi que les comportements la poussant à ignorer les émotions des autres, a pu apprendre à son cerveau à « être aveugle » au monde émotionnel, et ces leçons peuvent avoir un impact à long terme.

Ces situations peuvent être abordées au cours d'une thérapie, même si rechercher dans des événements anciens pour y trouver les causes de problématiques contemporaines est une pratique plus typique de la psychanalyse. Souvent, une prise en charge, surtout orientée TCC, va se concentrer en priorité sur des facteurs aggravants dans le présent . Ils peuvent être divers et multiples (liste non exhaustive) :

– Les situations d'abus ou de violence et, au sens large, d'insécurité matérielle ou psychique, qui risquent d'encourager la dissociation

– Un cercle social qui pénalise l'exploration émotionnelle ou récompense le stoïcisme

– Lié au point précédent, mais pas toujours : le fait d'être un homme et d'avoir assimilé que l'une des spécificités des hommes est leur vie émotionnelle pauvre [1]

– Une pauvreté dans les rapports sociaux (peu fréquents, peu diversifiés)

Le professionnel qui mène la TCC va, avec son patient, identifier ces facteurs et réfléchir à des stratégies permettant de limiter leur impact.

D'autres approches pour l'alexithymie ?

Un professionnel compétent peut effectivement proposer d'autres approches à son patient, et ce dernier déterminant si oui ou non il désire les tenter. La TCC semble actuellement être la méthode la plus utilisée, mais cela ne veut pas dire qu'elle est la seule.

Je profite de cet aparté pour rappeler à mon lecteur qu'il a toujours le dernier mot dans les thérapies qui lui sont proposées, et qu'un bon thérapeute est toujours capable de lui expliquer non seulement ce qu'ils sont en train de faire, mais aussi pourquoi.

Par où commencer ?

Si mon lecteur a déjà une équipe thérapeutique, ou collabore avec son Centre Ressource Autisme local, il peut les contacter directement. Si ce n'est pas le cas, plusieurs options sont possibles :

– Démarrer un parcours de soin en passant par son médecin traitant, qui pourra orienter vers des professionnels de sa connaissance

– Contacter directement le Centre MédicoPsychologique dont il dépend [2] . Ces centres ont des délais parfois un peu longs, mais sont accessibles sans référence/ordonnance, et gratuitement.

– Trouver un psychologue/neuropsychologue pratiquant la TCC et travaillant dans le secteur privé. Les prix sont plus élevés que dans la santé publique, bien sûr, mais les délais sont aussi plus courts.

Dans tous les cas, il est tout à fait acceptable de se rendre auprès d'un professionnel en conséquence d'avoir rencontré la notion d'alexithymie, avec une liste de symptômes/comportements qui font penser à ce problème, et que l'on désire creuser la question parce que l'on souffre desdits comportements et de leurs conséquences.

Conclusion

J'espère avoir, via cette série, aidé mon lecteur à mieux appréhender la notion d'alexithymie, un terme encore peu généralisé et qui pourtant correspond à une liste de comportements fortement associés à l'autisme — au point qu'une personne autiste n'y correspondant pas peut être perçue comme atypique, un comble.