Autisme et préjugés
- Julie BOUCHONVILLE
Un sujet complexe mais qui mérite, je pense, la peine d’être abordé. Souvent, les autistes sont des gens très cool : dans la mesure où les normes sociales nous passent un peu au-dessus et où nous avons un sens aigu de la justice, nous avons tendance à moins entretenir de préjugés que les neurotypiques. Néanmoins, rencontrer une personne autiste et raciste, misogyne ou homophobe est possible. Parfois, cette personne est notre propre enfant, ou un proche dont nous sommes censés participer à l’éducation.
Que faire ?
Le passe gratuit de l’autisme
On le voit souvent dans la fiction : un personnage autiste a une opinion abjecte des femmes, ou sa mauvaise compréhension des dynamiques sociales le rend raciste, mais personne ne le recadre parce que bon, il est autiste, on ne va pas l’ennuyer avec ça. Il faut bien que l’autisme serve à quelque chose de temps en temps : des fois, surtout quand on est un homme, ça sert de passe pour dire des trucs horribles.
Soyons clairs : je pense effectivement que lorsque quelqu’une personne autiste ne comprend pas tous les enjeux d’une situation, il ne faut pas lui tenir rigueur de son ignorance. Peut-être que son opinion s’est formée sur base de données incomplètes, peut-être qu’elle a été convaincue par une personne malveillante, peut-être qu’elle répète une opinion entendue dont elle pense qu’elle l’aidera à s’intégrer.
En revanche, à partir du moment où une personne a les capacités cognitives d’avoir une conversation abordant ce genre de sujets, elle a aussi les capacités de comprendre que les opinions qu’elle véhicule sont au mieux blessantes, au pire illégales[1].
Le cas particulier de la misogynie
La majorité des autistes diagnostiqués sont des hommes, et beaucoup de ces hommes autistes peuvent avoir des difficultés à nouer des relations sociales et plus précisément des relations amoureuses. Hélas, il existe de nombreuses communautés en ligne où des hommes se sentant isolés socialement peuvent se retrouver et où la misogynie est au coeur des discours : car de qui est-ce la faute si tous ces hommes parfaitement aimables sont célibataires et mal-aimés, sinon des femmes qui ne veulent pas d’eux ?
On voit comment des personnes peu adroites socialement peuvent embrasser ce genre de discours et l’explication du monde qui va avec : voilà une communauté accueillante qui en plus offre l’opinion agréable que ses membres n’ont rien à se reprocher et que tous les maux sont la faute d’un autre groupe.
Bien sûr, ce genre de dynamique peut exister avec d’autres idéologies.
Éduquer les personnes autistes de notre entourage
Que mon lecteur soit le parent d’une personne autiste, une sœur, un oncle ou une amie, il est important qu’il ne laisse pas plus son proche déclamer des propos discriminants que s’il était neurotypique. D’être autiste ne nous immunise pas contre les biais, nous aussi pouvons tomber dans le travers de penser que certaines portions de l’humanité valent mieux que d’autres. Ce genre d’opinion ne peut que nous nuire. Aidez-nous à nous en débarrasser.
Comment éduquer une personne ? D’abord, par l’exemple. Un enfant ne va sans doute pas se mettre en tête que les Noirs sont incapables d’être ponctuels[2] si personne ne le lui affirme jamais, ou ne pensera pas qu’il est acceptable de claquer les fesses des femmes s’il ne voit jamais personne le faire.
Ensuite, simplement, en lui parlant. Pas besoin d’un discours d’une demi-heure, on peut commencer avec quelque chose comme « Il ne faut pas que tu dises ça sur les personnes trans, parce que c’est méchant en plus d’être faux », et ensuite discuter avec la personne de pourquoi elle pense que telle chose est vraie.
L’autisme n’est ni une excuse ni une explication pour la tenue de propos discriminants. Parfois, dans des circonstances très spécifiques, on voit des individus cherchant à arguer le contraire : je pense par exemple aux auteurs de certains massacres à l’arme à feu dont les familles, cherchant à dédouaner leurs proches dans un mécanisme que nous pouvons tous comprendre, mettent en avant les troubles du spectre autistique. Plus lié à l’actualité, nous avons aussi l’un des individus ayant attaqué le Capitole américain en début d’année et dont l’avocat insiste que son client n’est pas si responsable de ses actes que cela, étant autiste.
La communauté autistique au sens large condamne ce genre de pratique et le message qui en découle. Les autistes qui sont capables de tenir des propos discriminants sont aussi capables de comprendre que les discriminations font du tort. Un diagnostic n’est pas une excuse pour se comporter de manière horrible, et d’ailleurs l’écrasante majorité d’entre nous est plutôt à l’autre bout du spectre : les injustices nous mettent hors de nous et nous soutenons ceux qui se battent pour plus d’autonomie et de droits sociaux.
Je ne suis pas convaincu que mon proche comprenne vraiment la portée de ce qu’il dit. Que faire ?
Une personne peut adorer un média au racisme abject parce que c’est un cartoon très amusant, par exemple, et ne pas comprendre du tout qu’on lui dise qu’elle ne peut pas aborder de t-shirt illustré sur ce thème. Elle-même n’est pas raciste, après tout, et ne perçoit peut-être même pas le problème.
Ou quelqu’un peut être un fan absolu de James Bond et partir du principe qu’une scène de séduction qui inclut de la violence physique est un bon exemple à suivre. Pas par misogynie : par intérêt spécifique.
Dans des cas comme celui-là, on peut parler avec la personne à un moment où elle est réceptive, et lui explique en des termes qu’elle comprendra que bien qu’elle a le droit d’adorer un cartoon raciste ou un espion sexiste, il y a certaines choses qu’elle ne peut pas faire en public : porter un t-shirt orné d’un dessin raciste, par exemple, ou parler aux femmes comme à des James Bond Girls.
Une personne peut aussi faire sien un discours et donner l’impression qu’elle le comprend, mais sans que ses proches soient tout à fait convaincus. Une adulte autiste insistant que les polonais travaillent tous au noir, par exemple, a-t-elle vraiment réfléchi à la réalité de ce qu’elle avance, ou est-ce une opinion qu’elle a entendue et qui lui semblait superficiellement acceptable ?
Je me répète mais tant pis : si quelqu’un est capable de tenir un discours de ce type, il est capable de comprendre l’explication qui devrait s’ensuivre et qui impliquera une déconstruction de ses stéréotypes. Même si la personne ne comprend pas à 100 % les nuances de ce qu’elle dit, elle le dit.
Conclusion
Être autiste n’est pas toujours facile : parfois, c’est même dur à vivre. Tout ce que le spectre autistique implique peut être la source d’un mal-être plus ou moins intense, surtout à des périodes de la vie d’une personne où elle est particulièrement fragile : l’adolescence, par exemple.
Dans ces circonstances, une personne peut être tentée d’intégrer une communauté qui l’accepte volontiers et qui lui propose le discours apaisant que tous ses problèmes sont la faute d’un groupe distinct.
Dans une mesure plus courante, il est facile de répéter les opinions des neurotypiques autour de soi, surtout si cela mène à de la camaraderie, ou de ne juste pas percevoir le sous-texte d’un média.
J’encourage les proches de personnes autistes à être vigilants et aimants pour prévenir que ces phénomènes se produisent : cela implique d’une part de fournir à la personne autiste une bonne qualité de vie, et aussi de s’assurer qu’elle a une bonne compréhension, adaptée à son niveau, des discriminations que certains groupes de personnes peuvent subir, et de pourquoi ces discriminations sont des problèmes que nous devons tous travailler à résoudre et non pas la suite logique d’un monde juste.
Collègues autistes, qui que soient vos proches et vos connaissances, quelles que soient les opinions des groupes que vous fréquentez, la haine n’est jamais la solution. Si vous avez l’impression d’être coincés dans une idéologie qui ne vous convient pas totalement, si des gens tiennent des propos qui vous mettent mal à l’aise ou que vous ne comprenez simplement pas, parlez-en. A vos proches, à des moins proches, à Bien-Être Autiste, peu importe. Mais parlez-en.
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[1]En France, il est illégal de tenir un discours de haine, que ce soit par écrit ou à l’oral, discriminant les personnes sur base de leur genre, de leur religion, de leur orientation sexuelle ou de leur ethnicité. Concrètement, on a le droit d’être homophobe, par exemple, mais tenir en public des propos homophobes est un délit.
[2]Histoire vraie : c’est ce qu’un de mes profs de psychologie a un jour affirmé à notre classe.