La personne autiste… et le dentiste
- Julie BOUCHONVILLE
Ah, le cabinet du dentiste. Cet endroit qui sent bizarre, où on est mal assis, et où on nous braque des lumières vives dans les yeux pendant qu’un inconnu nous enfonce des trucs dans les gencives. La vie, la vraie.[1]
Comment survivre à l’épreuve du dentiste, sachant qu’il est recommandé de s’y rendre au moins un an sur deux même quand tout va bien ? Si la question reste épineuse, certaines stratégies peuvent améliorer l’expérience.
Le préventif
On ne le dira jamais assez : le meilleur moyen d’éviter le dentiste, c’est de prendre bien soin de ses dents au quotidien. Je partage donc ici avec mon lecteur la routine généralement acceptée :
— Sélectionner une brosse à dents douce et la changer toutes les six à huit semaines.
— Se brosser chaque face de chaque dent avec juste de l’eau. L’opération totale prend environ cinq minutes.
— Se passer du fil dentaire entre les dents.
— Rincer.
— Se re-brosser les dents plus rapidement, cette fois avec une dose de dentifrice équivalente à un grain de riz (environ une minute).
Après chaque repas, se rincer la bouche avec de l’eau est aussi une bonne pratique.
Le choix du spécimen
Tous les dentistes ne se valent pas. Déjà parce qu’on n’attend pas tous la même chose de son dentiste, mais aussi parce qu’ils n’ont pas tous la même patience, le même degré de pédagogie, la même sensibilité, etc. Si on ne s’entend pas bien avec un professionnel de santé, quel qu’il soit, il est important de savoir le reconnaître et de se préserver en arrêtant là la relation.
De nos jours, il est aisé d’examiner la fiche Google d’un praticien et de lire les évaluations qu’il a reçues. J’encourage mon lecteur a toujours commencer par là lorsqu’il cherche un professionnel avec qui collaborer, afin de réaliser un premier tri. Idéalement, il faut commencer ce processus de sélection avant d’être dans une situation d’urgence : quand on a un abcès dentaire et tellement mal qu’on ne peut plus penser, on n’est pas en mesure de choisir judicieusement.
Une fois cette première sélection effectuée, il s’agit de contacter le professionnel et de lui expliquer la situation, mais pas forcément de parler d’autisme si on pense pouvoir l’éviter. Beaucoup de gens associent encore le concept de l’autisme à des notions dépassées et validistes, et pourraient préférer refuser un patient sous prétexte qu’elles manquent d’expertise, alors qu’ils seraient plus susceptibles d’accepter quelqu’un qui se décrirait comme « très anxieux et vite mal à l’aise face aux bruits ou aux lumières vives ». Je laisse mon lecteur seul juge de ce qu’il est pertinent de révéler ou pas, et du nom qu’il convient de donner aux choses.
Je suggère de prendre un premier rendez-vous pour un acte médical aussi simple que possible : un détartrage mais juste d’une mâchoire, par exemple, ou même un bilan mais sans poser d’acte. Les dentistes sont, au fond, des humains comme les autres, et tant qu’on les paye pour leur temps, n’ont rien contre le fait de travailler moins que prévu. On pourra profiter de ce moment relativement calme pour poser toutes les questions possibles, et expliquer au praticien ce qui est important pour nous et peut nous rassurer. C’est aussi le moment d’aborder nos spécificités sur le plan du soin : on refuse tout forme d’anesthésique, ou au contraire on est peu sensible aux produits anesthésiants et il est souvent nécessaire d’administrer une dose importante, on a un réflexe de vomissement hyperactif, etc.
Si l’on a un doute, si le professionnel nous donne des raisons de penser qu’il n’est pas top, je le le dirai jamais assez : c’est OK non seulement de ne pas revenir, mais aussi de partir en plein rendez-vous en disant simplement « Je n’ai plus envie de rester, merci pour votre temps et au revoir ».
Avant une intervention
Mon lecteur s’est choisi un dentiste, il l’a testé sur le détartrage de deux dents, il le trouve efficace, très bien. A ce stade, on peut sans doute passer aux choses sérieuses : des actes un peu plus complexes comme le traitement de caries, un détartrage complet, l’extraction d’une dent, la pose d’une couronne, etc.
Avant de se rendre au rendez-vous, plusieurs actions sont importantes. D’abord, demander des informations. Cela se fera sans doute en amont, lors d’un coup de fil de prise de rendez-vous, mais cela peut être répété au début de la séance avec le praticien. On prend deux minutes juste pour se faire expliquer tout ce qui va se passer.
Ensuite, et même remarque pour ce qui est de la temporalité, il s’agit de communiquer avec son praticien sur les spécificités qui nous sont propres. Même si vous l’avez déjà fait lors du rendez-vous de test, il est important que le dentiste sache précisément ce qu’il ne doit pas faire avec son patient autiste, et un rappel n’a jamais fait de mal à personne. Souvent j’utilise un document que je remets à mes praticiens lorsque je le juge pertinent, et qui reprend les points les plus importants.
Enfin, et je crois que personne ne communique suffisamment à ce sujet : c’est OK de prendre une substance légale luttant contre l’anxiété avant un évènement anxiogène. Pas besoin de le cacher au dentiste, au contraire : le praticien veut, lui aussi, que tout se passe pour le mieux, et si son patient est un peu trop détendu, ça vaut toujours mieux que quelqu’un qui laisse la trace de ses ongles dans le revêtement du fauteuil.
Mon lecteur peut demander un anxiolytique à son médecin traitant ou, si pour une raison ou une autre cela ne lui est pas possible, acheter directement en pharmacie un complément alimentaire à base de valériane et/ou de passiflore[2]. Attention : si la personne à qui l’anxiolytique est destiné est un enfant ou a un poids très bas, il est important de vérifier auprès d’un médecin ou d’un pharmacien qu’elle peut bien consommer cette substance, et en quelles quantités.
Il est également possible, dans la même veine, de se procurer une substance anti-émétique afin d’atténuer un réflexe de vomissement un peu susceptible.
Pendant l’intervention
Ecouter de la musique ou un livre audio peut aider à se concentrer sur autre chose, de même que la manipulation d’un stimtoy pour peu qu’on sache le faire sans trop remuer. Il est également utile de convenir avec le dentiste de prendre des pauses à une fréquence pré-établie. Enfin, j’encourage mon lecteur à demander à son praticien de s’arrêter s’il sent qu’il n’en peut plus. Un soin peut être étalé sur plusieurs séances si cela est nécessaire[3], et le professionnel de santé qui est incapable de le comprendre n’est tout simplement pas un bon soignant.
Si rien de tout cela ne fonctionne tout à fait, deux options sont encore envisageables : la première est ce que l’on appelle la sédation consciente, qui implique l’usage d’un gaz euphorisant (mélange d’oxygène et d’azote) qu’on inhale par un masque. L’effet de détente est intense et permet aux patients de bien mieux vivre l’épisode du dentiste. Cette solution a toutefois été pensée pour des neurotypiques qui ont « juste peur »[4], et qui ne souffrent pas des spécificités sensorielles que pourrait connaître une personne autiste. Je recommande donc de ne pas la considérer comme la solution magique à tous les problèmes, mais plutôt comme une option intéressante.
Enfin, en dernier recours, il est possible de demander à subir une opération dentaire sous anesthésie générale. Ce n’est pas anodin, l’anesthésie générale est en soi une procédure comportant des risques et des effets secondaires, tous les dentistes ne sont pas équipés pour la réaliser[5], et il faut être prêt à débattre de cette option avec son praticien qui ne verra pas forcément du premier coup d’oeil la balance risques-bénéfices. Mais cette option existe, et on peut l’exploiter.
Après l’intervention
J’encourage mon lecteur à se traiter comme s’il était en état de choc. Un rendez-vous chez le dentiste est, sur le plan de l’anxiété comme sur le plan sensoriel, un évènement très perturbant. Il est important de se laisser l’espace physique, mental et sensoriel pour décompresser, décompenser peut-être, et digérer tout ce qui vient de se passer.
Conclusion
Les dentistes, c’est bien naze[6]. Nous avons néanmoins besoin d’eux, au moins de temps en temps, et si je ne connais personne qui aime se rendre chez le dentiste, il est possible de rendre l’évènement tolérable.
Je terminerai en m’adressant en particulier à mon lecteur qui n’aurait pas été chez le dentiste depuis longtemps, et en aurait conçu une forme de honte. Les dentistes savent qu’ils sont le pire cauchemar d’une certaine part de la population. Ils savent que parfois, quelqu’un préférera avoir mal pendant des semaines ou des mois plutôt que de pousser la porte d’un cabinet. Je l’affirme ici : que mon lecteur se rassure. Quel que soit l’état de sa bouche, son dentiste a déjà vu pire. Quel que soit l’état de sa bouche, il mérite qu’on le soigne, qu’on l’aide à aller mieux, et qu’on le traite avec respect et considération.
J’ai foi en toi, lecteur.
[1]Cet article n’est pas sponsorisé par Auchan.
[2]Que mon lecteur évite les compléments contenant du millepertuis s’il prend une contraception hormonale : l’interaction a tendance à diminuer l’effet de cette contraception.
[3]Si plusieurs caries nécessitent d’être soignées, par exemple, il est possible de n’en traiter qu’une ou deux à la fois pour raccourcir les séances au maximum.
[4]Je trace ici avec un trait très large : la phobie du dentiste est un problème sérieux et le but n’est pas de le minimiser.
[5]La plupart ne le sont pas, si on doit être précis.
[6]Toutes mes excuses à mes lecteurs dentistes.