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La séduction et l’autisme - Partie 1

- Julie BOUCHONVILLE

La séduction et l’autisme - Partie 1

Nous autres, autistes, sommes d’extraordinaires partis, et je ne dis pas ça pour nous jeter des fleurs. Nous sommes hilarants, loyaux, enthousiastes à l’idée de partager nos centres d’intérêt, peu sensibles aux biais sociétaux, très attachés à l’équité, passionnés, et en toute objectivité, souvent très beaux. Dans ces conditions, il me semble logique que tout le monde ait terriblement envie de nous séduire. Mais comment faire ?

 

Les personnes autistes désirent-elles une relation amoureuse ? Ont-elles des relations sexuelles ?

Cela dépend de la personne. Il y a autant de nuances parmi les autistes que parmi les non-autistes. Être autiste n’influence pas forcément notre rapport au sexe, à l’amour, à l’intimité, etc., aussi je ne peux parler au nom de quiconque, et la meilleure approche reste comme toujours d’éviter les suppositions et de demander directement.

 

Du manque de représentations des personnes autistes dans les situations romantiques

Nous avons tous et toutes assimilé, de par notre immersion dans la culture contemporaine, une certaine notion de ce à quoi le début d’une relation romantique est censé ressembler. Si, dans les grandes lignes, ce schéma[1] est sûrement valide pour la plupart des autistes autant que pour les autres, les subtilités sont, en revanche, culturellement très neurotypiques. Je pense, à titre personnel, que cela vient d’un manque de représentation des personnes autistes ou, même, des personnes qui ne sont pas « hétéros cis valides neurotypiques », qui fait que nous ne remettons même pas en question ce qui est optionnel et ce qui ne l’est pas dans les schémas comportementaux d’un début de relation.[2] Ainsi, dans la série Love on the spectrum diffusée sur Netflix en 2019, une docu-fiction suivant des personnes autistes se rendant à des rendez-vous amoureux, les participants étaient coachés par une neurotypique pour tenter d’avoir l’air le moins autistes possible lors de leurs rendez-vous, quand bien même lesdits rendez-vous avaient lieu avec d’autres autistes.

Je mentionne cet élément pour pouvoir affirmer que, à mon sens, peu de gens ont une idée nette de ce à quoi ressemble un rendez-vous avec une personne autiste ou le comportement à adopter face à un potentiel partenaire autiste, et ce peu importe leur neurotype.

 

Proposer un rendez-vous à une personne autiste

Ne tournons pas autour du pot. Mon lecteur connaît une personne autiste, l’apprécie, et l’envisage comme partenaire romantique et/ou sexuel. Que faire ? Comment lui proposer un rendez-vous, en sachant qu’elle a sûrement du mal à saisir les sous-entendus ? Faut-il lui envoyer une invitation écrite ? Est-ce que se montrer trop explicite risque de l’inquiéter ?

 

Éviter les sous-entendus

Pas besoin d’en faire des tonnes pour être clair, mais si mon lecteur a d’ordinaire une approche un peu oblique, par exemple dire « J’ai reçu deux places pour ce spectacle et je me demandais si tu aimerais y aller », il lui faut éviter cela. Dans cet exemple, moi-même ne suis pas sûre de si la personne aimerait m’offrir sa place en trop, mais que nous nous rendions au spectacle chacune de notre côté, ou si elle me propose de racheter sa place en trop, ou si elle m’invite pour passer un moment avec elle. Au mieux, je vais lui demander des clarifications, au pire, je vais supposer que c’est l’une de ces trois options et ignorer les deux autres.

De plus, une formulation qui implique, comme ici, que tout le rendez-vous n’est pas un choix délibéré, mais plutôt un arrangement dû aux circonstances[3], n’est jamais flatteuse et introduit une sorte de doute. La personne autiste peut se demander si on l’a invitée pour elle, ou pour des raisons pratiques, par exemple parce qu’elle était la seule disponible à cette date.

Tendre une perche et espérer que la personne autiste fera le premier pas peut fonctionner, mais c’est loin d’être sûr, et surtout, cela rentre en conflit avec la manière de penser directe des autistes. Si Ananas, autiste, se rend compte que Tomate, neurotypique, lui lance des remarques pouvant suggérer qu’elle aimerait peut-être explorer une relation romantique ou sexuelle, il risque de ne pas comprendre, voire d’être agacé, par ce comportement flou et, de son point de vue, contradictoire. Il est très possible qu’il conclue sa réflexion en disant que Tomate est un peu bizarre, ou fait quelque chose qu’il ne comprend pas, mais qu’elle n’est sans doute pas intéressée par lui, parce que si c’était le cas, elle le lui dirait.

 

Privilégier la communication claire

Pas besoin d’en faire des tonnes, mais il est pertinent d’être lisible : nous ne sommes plus, après tout, des collégiens. La conversation peut avoir lieu à l’oral ou à l’écrit, selon la méthode de communication préférée de la personne autiste, et peut ressembler à ceci : « Je t’apprécie beaucoup et je passe de bons moments avec toi ! Est-ce que tu aimerais qu’on fasse quelque chose juste à deux ? Je pensais à telle activité, mais ça peut être autre chose. Ce serait un rendez-vous/date/rencard[4]. »

 

La communication claire, volontairement très lisible, est d’ailleurs pertinente dans toutes les relations avec les personnes autistes, et tout au long de ces relations. Une personne autiste préférera toujours s’entendre dire « je voudrais que tu amènes cette liste de chose pour la fête », « j’aimerais que tu lises ces documents, mais tu n’es pas obligée parce qu’officiellement c’est le boulot de Pomme » et « je me sens mal quand tu me parles de baleines pendant plus de quinze minutes à la fois parce que ça ne m’intéresse pas tant que ça, mais je ne veux pas être impoli et te dire d’arrêter » que de devoir lire ces nuances entre les lignes.

 

Nous continuerons d’explorer ce sujet la semaine prochaine.

 

[1]Affection partagée → rendez-vous multiples afin de mieux se connaître → établissement plus ou moins explicite d’un statut de partenaire romantique et/ou sexuel et des règles comportementales que cela implique

[2]Exemple d’un élément optionnel : s’habiller d’une manière spécifique. Exemple d’un élément obligatoire : chercher à mieux connaître la personne que l’on envisage comme partenaire.

[3]« J’ai reçu deux places pour ceci, tu veux venir ? » a une intentionnalité bien moins marquée que « J’aimerais passer du temps avec toi, aimerais-tu qu’on aille voir ceci ? ».

[4]J’ai l’impression qu’il n’y ait pas de formulation pour désigner un rendez-vous de ce type que la moitié de la population humaine ne trouve totalement ridicule, donc j’encourage mon lecteur à choisir sa préférée.


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