La vérité sur le lien entre autisme et écran - Partie 3
- Julie BOUCHONVILLE
Après avoir parlé des problèmes spécifiques liés à trop de temps d’écran, et avoir déterminé que le TDAH n’était pas la faute des smartphones (dans la partie 1 et la partie 2), demandons-nous si les autistes peuvent bénéficier d’une réduction de leur temps d’écran.
Les autistes et les écrans
Nous avons établi que les écrans ne rendent pas autistes, et que bien qu’une personne présentant des retards de développement causés par un environnement négligent puisse ressembler à une personne autiste, elle ne l’est pas pour autant.
Néanmoins, si l’on sait que beaucoup de temps d’écran peut conduire à des problèmes évoquant l’autisme, peut-on en conclure qu’il vaudrait mieux limiter le temps d’écran chez l’enfant autiste, afin de ne pas renforcer ses difficultés déjà présentes ?
La question est plus complexe qu’il n’y paraît. La réponse instinctive serait d’encourager les gens à carrément supprimer le temps d’écran, et pourquoi pas jusqu’aux dix ans de l’enfant, juste histoire d’être sûrs. Ce serait néanmoins mettre la tête dans le sable par rapport au fait que 1) certains enfants peuvent avoir développé un intérêt spécifique pour un jeu vidéo, un dessin animé ou similaire et 2) les parents d’enfants autistes apprécient la pause que leur procure une situation où leur enfant ne court pas partout et ne crie pas.
Abordons d’abord l’aspect le plus simple : ce que veulent les parents, que leurs enfants soient autistes ou non, c’est de temps en temps avoir la paix, sans devoir surveiller l’enfant comme du lait sur le feu, sans cris, sans craindre une hypothétique fracture du crâne. Que ce calme relatif soit atteint via un dessin animé, un jeu vidéo ou une autre méthode leur est, au fond, assez égal. L’idée est donc de trouver quelque chose d’également prenant pour l’enfant.
Ensuite, il y a la question de l’intérêt spécifique. Comme mon lecteur le sait sans doute, je suis partisane de laisser une personne autiste passer autant de temps qu’elle le désire avec son intérêt spécifique, dans la mesure où ces moments lui procurent de la joie et de l’apaisement. Je ne connais que trop d’autistes qu’on a forcés, ou qui se sont sentis forcés par un environnement hostile, à cacher leur intérêt spécifique et ne pas y consacrer autant de temps qu’ils l’auraient voulu, et tous en parlent avec un chagrin sincère.
Que faire, néanmoins, si cet intérêt est dirigé vers un jeu vidéo, un film ou une série ? Faut-il laisser l’enfant consommer des heures et des heures de temps d’écran parce que le priver de son intérêt spécifique serait cruel ?
Je pense qu’il nous faut garder à l’esprit une notion de « plus grand bien » pour déterminer la voie à suivre. L’OMS est sans doute la carte la plus forte du paquet : ses recommandations ont la priorité absolue, aussi même si un enfant autiste a développé une passion sans limite pour Minecraft[1], ce n’est pas un prétexte pour y jouer six heures par jour.
La bonne nouvelle, c’est que nous vivons dans une société vachement consumériste, et qu’il est très possible de passer du temps dans son intérêt spécifique sous la forme d’activités dérivées : beaucoup de franchises de jeux ou de séries publient des romans[2], en général adaptés à l’âge de l’utilisateur cible ; il est possible de se procurer des jouets, des livres de coloriage, des puzzles à assembler, etc.
Il est également possible d’être créatif : mettre au point des recettes pour créer des plats issus de la franchise, se mettre au pixel art avec des perles à repasser ou du point de croix, inventer (et écrire) ses propres histoires avec les personnages de la franchise, danser sur des musiques issues de la franchise, dessiner des scènes clefs, créer un cosplay[3] d’un personnage préféré…
En désespoir de cause, on peut aussi, si l’enfant en est capable et aime cela, simplement lui poser des questions précises sur son intérêt spécifique pour l’encourager à en parler. Je déconseille à mon lecteur de tenter cette approche s’il n’est pas prêt à écouter sincèrement et pendant longtemps son proche autiste, mais c’est finalement un bon compromis : interaction humaine et pratique de la conversation, mais autour d’un sujet intéressant[4].
Tout n’est pas possible à mettre en place, bien sûr, un jeune ado se moquera sans doute de l’adulte qui lui propose des coloriages, de même qu’il ne sera pas très reposant pour le parent de cuisiner le plat préféré de la reine des neiges[5] avec son enfant de six ans, mais dans mon expérience il est possible de trouver quelque chose qui fonctionne et qui permette de détourner l’attention de la source première.
La diversité des activités
Quel que soit le rapport de la personne autiste à son temps d’écran, un élément qui me semble important à garder à l’esprit est la notion de diversité. Sans diaboliser les écrans en eux-mêmes, il est important pour la santé mentale et physique de tous les humains d’avoir des activités variées, incluant des environnements différents, de l’air frais, un type de mouvement que l’on trouve agréable, etc. Plutôt que de faire une recommandation dogmatique et inutilisable pour la moitié de mes lecteurs[6], je suggère de plutôt garder cette notion générale à l’esprit. Essayer de varier. Pas forcément de manière spectaculaire, ni avec une politique « de gré ou de force », mais plutôt en trouvant de petites modifications qui passent bien, apportent de la qualité de vie, et offrent de petites pauses de temps d’écran.
À noter que si l’enfant de mon lecteur devait avoir pris l’habitude de longs temps d’écran, il est déconseillé de couper trop drastiquement. Si, par exemple, on a un enfant de six ans qui regarde au quotidien des dessins animés pendant une heure et joue pendant deux autres, on peut envisager de passer à 45 minutes de dessins animés et une heure et demie de jeu la première semaine, et de réduire progressivement de semaine en semaine. À partir du moment où le problème a été identifié et où on a déterminé qu’on allait le résoudre, peu importe s’il faut un moment pour arriver à un rythme sain.
Conclusion
Les écrans ne rendent pas autistes, pas plus qu’ils ne sont l’incarnation du mal absolu, et une personne autiste ne va pas guérir par miracle si elle cesse de faire ses courses en ligne ou d’échanger sur Discord avec d’autres fans de son jeu préféré.
Un excès d’écran, en particulier chez les très jeunes enfants, peut en revanche amener divers troubles du développement et, de manière plus générale, empêcher la personne d’avoir des expériences intéressantes par pur manque de temps. Pour éviter les risques, il est recommandé de suivre les directives mises en place par les instances compétentes, par exemple l’OMS.
Il est très humain, lorsqu’on est confronté à une solution simple censée résoudre un problème complexe, d’apprécier l’élégance de la situation plutôt que de relever que tout cela a l’air un peu trop facile. C’est d’autant plus vrai quand cette solution fait porter la responsabilité du problème à un élément décrié, controversé, ou envers lequel on peut émettre un jugement négatif, qu’il soit sanitaire, moral, ou autre — et ne nions pas que nous avons tous et toutes assimilé au fil des années une certaine quantité du discours négatif envers les écrans, souvent accusés de tout et n’importe quoi, du réchauffement climatique au harcèlement scolaire en passant par les troubles de l’attention et le déclin des boîtes de nuit.
Il serait confortable de vivre dans un monde où arrêter la console permettrait de guérir l’autisme. Il serait tout aussi confortable, parce que compréhensible, de pouvoir se dire quelque chose comme « pas étonnant que le fils d’Untel soit autiste, ils le laissaient toujours regarder la Pat’Patrouille pendant des heures ! »[7]. Il est toujours tentant de se dire que lorsque quelqu’un rencontre une difficulté (ou ce que l’on perçoit comme tel), c’est forcément sa faute ou en tout cas de son fait, parce que l’inverse est terrifiant.
L’autisme reste néanmoins une différence, pas une maladie grave, causée par un tas de facteurs travaillant en conjonction, et non un simple dysfonctionnement environnemental. Si certains comportements ou facteurs peuvent nous amener à nous sentir mal, et qu’une longue exposition à un écran peut rentrer dans cette catégorie, je tiens à terminer en rassurant mon lecteur : nous ne sommes pas le fruit d’une erreur. Nous n’aurions pas pu être neurotypiques, si seulement nos parents avaient pensé à éteindre la télé. Nous ne sommes pas ratés.
[1]Comme à peu près tous les enfants autistes.
[2]Attention que quand on lit, on est sédentaire. Alors certes cela varie les stimulus pour le cerveau, mais on n’est toujours pas en train de jouer dehors non plus. Une alternative peut être un livre audio, si l’on en trouve.
[3]Un cosplay est un costume, en général de haute qualité, d’un personnage de fiction. Le ou la cosplayer essaye en général de’adopter l’attitude qui va avec son costume, et prendra toujours très mal qu’on lui suggère qu’elle n’est que déguisée.
[4]J’ai personnellement réussi à transformer cette approche en une stratégie commerciale, où j’encourage les gens à me donner de l’argent pour que je leur parle de structure narrative. Et ça marche.
[5]La crème glacée, je suppose ? Ou des biscuits « boule de neige » couverts de sucre glace ? N’hésitez pas à partager des suggestions.
[6]« Allez vous promener en forêt ! » « Merci mais je n’ai pas de voiture, la forêt la plus proche est à 150km, et je ne me déplace pas sans béquille. »
[7]Une affirmation rassurante parce qu’on peut y ajouter : « je suis un bien meilleur parent qu’Untel, moi qui n’ai pas laissé mon enfant regarder la Pat’Patrouille de manière déraisonnable, et suis récompensé par sa neurotypie ».