Parlez-vous autiste ?
- Julie BOUCHONVILLE
Ces derniers mois et années, j’ai importé dans la conversation neurotypique courante plusieurs paramètres conversationnels issus des échanges entre personnes autistes. Ces imports étaient d’abord involontaires, nés soit de ma fatigue face à l’alternance codique, soit d’une frustration quant à l’absence de formules équivalentes. J’ai néanmoins constaté que, loin d’être reçus avec incompréhension[1] ou rejet, ces imports fonctionnaient plutôt bien, voire étaient adoptés par les personnes avec qui je les avais utilisés.
Je les propose donc ici au bénéfice de mon lecteur qui ne les connaîtrait pas encore, afin d’améliorer ses propres conversations en y injectant un peu d’autisme.
Les questions autistes
- « Permission de te raconter plein d’infos ? » ou sa variante, « Tu veux la version avec détails ou la version courte ? »
→ Cela peut paraître bizarre si mon lecteur ne connaît que de très jeunes autistes qui parlent de leurs intérêts spécifiques pendant six heures d’affilée, parfois sans respirer, mais de nombreux autistes adultes ont appris, parfois à travers des expériences cruelles, que tout le monde n’aime pas connaître les détails subtils de leurs centres d’intérêt. Nous craignons souvent de lasser notre auditoire et d’être réprimandés, directement ou non, et nous préférons nous assurer que nos compagnons de conversation sont prêts à entendre une avalanche de faits avant de lancer la première boule de neige.
- « Tu veux que je t’écoute me parler du problème ou tu veux qu’on cherche une solution ? » ou sa variante « Tu veux mon avis sur ce qui s’est passé ou sur ce que tu devrais faire ? »
→ Qui n’a pas déjà attendu un moment de compassion et de complicité pour se retrouver face à un interrogatoire de type « mais qu’est-ce que tu lui avais dit avant ça ? Elle avait peut-être raison de te répondre ça à ce moment ! » et se sentir profondément incompris ? Cette question permet de confirmer les intentions de la personne qui relate une anecdote pénible.
- « Il m’est arrivé telle chose, permission de râler ? »
→ Recevoir des plaintes coûte de la ressource mentale, a fortiori si la personne qui se plaint est affectée émotionnellement et qu’un gros travail d’empathie est attendu. De nombreuses personnes autistes peuvent se sentir envahies lorsque quelqu’un décide de se décharger émotionnellement sur elles sans leur demander si elles sont prêtes à le recevoir, et ont pris l’habitude de demander une permission pour ne pas imposer aux autres ce qu’elles-mêmes n’aiment pas subir.
Les déclarations autistes
- « Je ne suis pas d’accord, mais je dois réfléchir à pourquoi »
→ Remettre une réplique ou une opinion détaillée à plus tard est souvent la meilleure voie à suivre, permettant de s’octroyer un délai de réflexion et de laisser l’esprit de l’escalier faire son œuvre.
- « Je vais faire [activité] et c’est OK de me parler »
→ Un encouragement au jeu parallèle d’une grande élégance, simple, aimé et utilisé partout où des gens ont encore envie de parler avec leurs amis, mais n’en peuvent plus de rester assis à ne rien faire.
- « Je veux clarifier, pas remettre en question + [question] » (Exemple : « Juste pour clarifier, tu veux que j’envoie l’email à juste la moitié du répertoire ? Je veux être sûr de bien comprendre, pas remettre en question ton instruction. »)
→ Quand on vit avec des gens qui utilisent les sous-entendus, par exemple les neurotypiques, et qu’on les comprend mal, on peut finir par se demander si tout n’a pas de sens caché, et souvent, les questions qui amènent de la clarification peuvent être des critiques déguisées. Je pense que nous avons tous et toutes déjà rencontré un « Ah, tu fais ça comme ça ? » qui voulait en fait dire « Oouuuh moi j’aurais pas fait comme ça ». Préciser qu’on cherche juste à mieux comprendre l’intention de l’interlocuteur permet d’éviter le parfum d’agressivité passive qui domine parfois ces questions.
Que comprendre ?
Les autistes adultes ont, pour en arriver là où ils sont, traversé de nombreuses conversations avec des neurotypiques, et appris tant ce qui agace ces derniers, qui n’ont pas manqué de le leur dire, que ce qui leur semble déplaisant, à eux. Ils sont, de ce fait, des communicants précautionneux et qui craignent de mal faire.
Il est, bien sûr, possible d’abuser des précautions oratoires, et en excès, ces dernières sont des obstacles aux communications productives. Néanmoins, en justes quantités, elles permettent d’accorder de la courtoisie et de faire ressentir à son interlocuteur qu’on se soucie de lui et qu’on ne désire pas l’amener là où il préférerait ne pas aller.
[1]Bien qu’une légère perplexité ait pu parfois se manifester.