Un espace privé : une question de survie ?
- MARIADNE GUINARD
La personne autiste doit pouvoir se réfugier dans un lieu réconfortant. Comment faire pour trouver son lieu ressource où que l’on soit ?
La fonction du lieu privé
Le lieu ressource est un endroit où personne ne peut venir nous déranger, ni déplacer les objets ou changer quoi que ce soit du lieu personnel. Le lieu privé est un endroit où la personne autiste peut se reposer et ne pas avoir d’imprévus, c’est un lieu dans lequel elle saura à quoi s’attendre, où tout sera familier et rassurant pour elle.
Ce lieu lui permet de ressentir son corps, ses émotions et de comprendre ce qu’elle a pu vivre durant les heures précédentes. Il permet également de se préparer à des événements à venir. En effet, il est compliqué de savoir ce qu’on ressent lorsqu’on est en permanence bombardé par des informations. La neutralité du lieu privé permet alors de sentir enfin ce qu’il se passe à l’intérieur et aide à trouver en soi un refuge. Sans ces moments, les sensations corporelles et émotionnelles peuvent devenir très oppressantes et angoissantes, car tous les signaux sont confondus, et il ne sera plus possible de faire le tri. L’amygdale, qui permet instinctivement de ressentir un danger, s’activera en cas de trop-plein, ce qui déclenche des crises d’angoisses et des sensations d’oppression très fortes.
Ainsi, il est essentiel pour une personne autiste de pouvoir se retrouver seule et c’est seulement dans de rares lieux qu’il est possible de vraiment se régénérer, de regagner de l’énergie afin d’être capable de retourner plus tard auprès d’autres personnes ou dans un lieu public.
Le lieu privé permet à quelqu’un de se sentir serein et en sécurité, il permet de se reposer des conventions sociales, de trouver du calme, de la sérénité et pour les personnes autistes, il est le lieu privilégié pour s’adonner à leurs intérêts spécifiques qu’elles apprécient de réaliser seules loin de regards ou des sollicitations externes.
Le lieu ressource est un lieu intime, car c’est également un endroit où personne ne pourra nous voir ni nous entendre, sinon l’expression des besoins, de la créativité ou des émotions ne pourra pas avoir lieu. Pour la personne autiste, chaque objet, chaque mot, chaque geste peut avoir sa signification personnalisée, qui ne sera donc pas comprise par un regard extérieur. Le risque n’est pas seulement de ressentir un jugement de la part d’un éventuel observateur, mais d’entraver le besoin, d’étouffer l’inspiration, la potentielle création en germe ou encore de réduire au silence la personne autiste qui se sentira littéralement paralysée par la présence étrangère à son monde.
Le lieu privé est un endroit où quelqu’un qui se trouve sur le spectre de l’autisme va pouvoir se construire, développer sa personnalité, nourrir ses passions et ainsi renforcer ses atouts qui lui seront utiles toute sa vie. On peut s’étonner de voir les talents des personnes TSA et bien souvent c’est en silence, à l’ombre du tumulte qu’elles vont apprendre, s’exercer et répéter des gestes. Souvent autodidactes, elles préfèreront apprendre seules qu’avec un professeur. Ainsi le travail à la maison n’est pas difficile pour quelqu’un qui aime son univers, du moment que cela ne le prive pas de toute relation sociale et que ces moments le régénèrent pour ensuite retourner voir ce qu’il se passe dans le reste du monde et également partager ses centres d’intérêt avec d’autres personnes.
La personne TSA peut avoir des difficultés à se mettre au travail, à démarrer une tâche, et à réellement pouvoir être efficace, souvent c’est parce qu’elle a peur d’être dérangée, dans la plupart des lieux de vie, il est fréquent que quelqu’un frappe à la porte ou d’entendre du bruit, d’avoir un lieu en désordre. Toutes ces perturbations empêchent la personne autiste de se concentrer et de tout simplement se mettre au travail. Tout cela parce qu’elle doit être très bien installée, car une fois lancée, elle peut réaliser une tâche durant des heures alors rien ne doit la perturber et c’est là qu’elle trouve le plus grand plaisir à faire les choses, lorsque plus rien ne peut l’arrêter.
Quel peut être un lieu ressource ?
Une chambre peut être un endroit tout à fait sûr à condition que personne ne puisse y entrer sans en avoir l’autorisation. Une maison ou un appartement, dans lequel on vit seul, peut se révéler un lieu parfait pour se ressourcer surtout si ce lieu est à la campagne ou loin du bruit environnant. Un jardin dans lequel personne ne va ou qui aurait un espace privilégié peut être ce lieu.
Pour les personnes qui aiment partir ou voyager, il est possible d’avoir un van aménagé ou une cabane qui fera office de lieu privilégié pour se ressourcer. Ainsi une promenade en forêt ou une expédition en montagne peuvent s’avérer avoir les mêmes vertus que le cadre apaisant d’une chambre, si la nature est un lieu qui sécurise la personne du fait de son calme et de l’absence de sollicitations sociales.
Certaines personnes autistes auront besoin que ce lieu soit sacré et il sera rare qu’elles acceptent qu’une autre personne y pénètre. Le lieu en lui-même peut être très calme, l’ambiance et la décoration, le choix de la lumière seront adaptés aux besoins et aux goûts de la personne. Le lieu ressource idéal est un endroit où il est possible de se dégager de toute obligation, ne plus rien faire, ne rien penser et ne rien avoir à dire ou à justifier de ses actes ou de ses besoins. C’est en cela que l’endroit est sacré et ne peut pas être envahi. Les personnes de l’entourage doivent pouvoir essayer de comprendre pourquoi la personne autiste ne veut pas les inviter dans ce lieu ou bien dans de rares cas. Seules des personnes calmes et respectueuses pourront parfois venir dans ce lieu et ce sera un partage de qualité qui sera attendu, si la personne autiste vous y invite c’est le signe d’une grande confiance, d’une amitié ou d’une relation intime qui permet de dépasser le stade du ressenti d’intrusion.
Ceci dit, même les personnes les plus proches telles que les enfants ou les conjoints peuvent se voir interdire ou refuser l’accès à ce lieu, ce n’est pas de la méchanceté, c’est uniquement parce que ce lieu est le seul endroit où la personne autiste n’est plus obligée de devoir masquer sa condition autistique et peut vraiment penser à elle.
Comment remédier au manque d’intimité, au manque de moments seul ?
Il est possible de ne pas pouvoir avoir un lieu où être vraiment seul ou qui soit uniquement pour soi, si on vit en couple ou si on a des enfants par exemple. Il existe de nombreux cas de figure où il est difficile de pouvoir se retrouver totalement seul et c’est difficile à vivre pour une personne autiste qui a besoin de sa zone à elle, d’un endroit préservé sans bruit et sans sources de stimulations sensorielles extérieures.
Afin de réussir à préserver un lieu qui soit potentiellement un lieu ressource par intermittence ou le temps nécessaire au repli de la personne autiste, il est possible :
- D’apposer un visuel sur une porte informant que vous êtes en train de vous reposer ou que vous lisez et ne souhaitez pas être dérangé. Il est possible de se créer un petit espace bien à soi, dans un endroit calme un peu à l’écart du reste de la maison et éventuellement de rajouter un loquet pour fermer et obliger les autres personnes à frapper.
- La tente sensorielle, les tentes châteaux ainsi que le paravent de lit sont des outils adéquats pour créer un lieu privilégié.
- D’avoir sur soi des objets qui aident à s’isoler ou à se sentir partout en lieu sûr, tels que les casques anti-bruits, les stim toys, les écouteurs pour entendre de la musique ou un bruit blanc.
- D'aménager ce lieu afin de s'y sentir le mieux possible grâce à des objets sensoriels.
- De procéder à la visualisation d’un lieu ressource grâce à l’autohypnose, cette technique comporte l’inconvénient de ne pas être facile à pratiquer par les personnes qui ne parviennent pas à visualiser des images. L’autohypnose et l’hypnose seront des moyens très appréciés des personnes qui arrivent à visualiser beaucoup de détails, car elles favorisent l’évasion et la détente du corps. La visualisation d’un lieu ressource est également un bon moyen de surmonter l’agoraphobie, ou la peur de quitter son domicile. En effet, le cocon d’une maison peut devenir si sécurisant et réconfortant que la personne autiste ne s’imaginera pas pouvoir en faire autant ailleurs. Elle peut imaginer son lieu idéal, l’endroit qui l’apaiserait quelle que soit la situation et apprendre à le voir en fermant les yeux où qu’elle se trouve. Par exemple, si elle aime les chats, elle peut imaginer une maison avec plein de coussins et des chats ronronnants dans tous les coins, alors une fois dans le métro, elle pourra se brancher sur sa « radio mentale ronron » et avoir l’impression de se retrouver dans un lieu réconfortant. Ces outils de visualisations peuvent être très utiles pour surmonter l’anxiété afin de se sentir plus unifié et plus en phase avec son corps.
- De s’équiper d’un casque de réalité virtuelle qui a l’avantage de procurer des sensations et un environnement apaisant où que l’on soit, il est d’ailleurs possible de se constituer un salon, ou une chambre virtuelle à laquelle on peut accéder où que l’on soit. La grande qualité d’immersion va offrir un moment apaisant et réconfortant à la personne, un peu comme si elle était chez elle, même lorsqu’elle sera en voyage.
Respecter et choyer le lieu privé
Un lieu privé relève du domaine de l’intime, c’est une zone à laquelle on n’a pas le droit de toucher. Si la personne autiste a besoin de temps pour ranger, pour réfléchir à la disposition et au classement d’un endroit ou de ses affaires, il est important de la laisser faire. Toute l’harmonie et la composition du lieu peuvent prendre plusieurs années, son lieu est un peu comme une œuvre en perpétuelle création, et bien qu’il puisse paraître jonché d’objets disparates ou au contraire constitué uniquement de tapis et de coussins sans âme, quel que soit son apparence, chaque millimètre est connu et pensé par la personne autiste. Son lieu est alors comme une extension d’elle-même. Ce lieu est certainement l’une des rares possibilités d’extériorisation de soi, de rencontre avec elle-même et il va l’aider à se structurer, se rassembler ou encore à se comprendre dans les phases de transitions difficiles.
Pour les personnes de l’entourage, il est crucial de veiller à ne pas juger, à ne pas faire de remarques, à aider ou accompagner la personne autiste pour qu’elle puisse s’y retrouver, mais ne jamais décider à sa place de ce qu’elle devrait faire de ses affaires, ou de la façon dont elle doit gérer l’accès ou la disposition de son lieu ressource. Si une personne autiste semble avoir une réaction excessive, c’est sans doute parce que quelqu’un a rompu une forme d’équilibre ou de sécurité, ou bien que quelque chose a été décidé sans elle, sans qu’elle ne puisse avoir eu le temps d’analyser ou de choisir si c’était bien ce qu’elle voulait. Ainsi une réaction peut paraître disproportionnée, mais elle aura certainement un sens profond. Il est utile de demander à une personne autiste pourquoi elle garde un objet ou pourquoi elle se sent contrariée parce que sa plante n’est plus au même endroit. Pour la rassurer, il suffira souvent de lui expliquer les raisons logiques du déplacement ou du changement, raisons qu’elle acceptera certainement.
En conclusion
Le lieu privé est indispensable pour tout le monde afin de garantir des moments de repos de qualité, et il devient un endroit qui aide la personne autiste à se ressourcer. Un lieu imaginaire peut tout à fait devenir un lieu ressource, il a l’avantage d’être intouchable et préservé totalement du monde extérieur. La compréhension de la relation d’une personne autiste à son environnement peut permettre d’appréhender sa façon de se rassurer et comment elle peut se reposer en ayant accès à davantage d’intimité. Pour les personnes qui n’ont pas eu accès à une zone intime, elles ont certainement pu créer un imaginaire, ou une forme d’art qui les aura aidées à trouver une zone où elles n’ont plus besoin de dissimuler leur autisme.
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Je suis entourée d’autistes qui ne le savent pas… votre site est un support intéressant pour aborder ce thème… délicat 😶🌫️