Accepter l’imperfection
- Julie BOUCHONVILLE
En ce début d’année, il est courant de prendre de bonnes résolutions, dont tout le monde sait très bien qu’on ne les suit jamais complètement. Au terme de 2021, plus encore que les autres années sauf peut-être l’annus horribilis 2020, nous avons tous besoin d’un nouveau départ. Mais lequel ?
Monts et merveilles
Il est tentant de se dire que cette année, on mettra toutes les mauvaises habitudes derrière nous, que tout ce qui a pu nous déplaire dans le monde ou nous-mêmes appartiendra désormais au passé, que 2022 sera réussie parce qu’on ne lui en laissera pas le choix.
En 2022, on retrouvera son poids d’avant la pandémie, on sera à jour sur les lessives, on dépensera son argent intelligemment, on polluera moins, on mangera mieux et en faisant souffrir moins d’animaux, on ne financera que des entreprises qui emploient des gens dans des conditions décentes, on passera moins de temps sur les réseaux sociaux, on prendra soin de sa peau et on ira faire du bénévolat au refuge du coin en plus d’enfin lancer l’entreprise dont on rêve depuis des années et de faire du sport un jour sur deux.
Cette fois, ça y est.
Conflits et priorités
D’abord, réaliser tout cela impliquerait plus ou moins de changer de personnalité et de cerveau et, soyons honnête, c’est peu probable.
Ensuite, il est courant que nos désirs soient contradictoires dans leur exécution. Par exemple, dépenser moins d’argent est incompatible avec le fait d’éviter les produits fabriqués par des enfants à l’autre bout du monde. Lancer une entreprise ou un projet lié au public est incompatible avec une détox digitale. Au-delà des oppositions pures et dures, nos objectifs peuvent être en conflit simplement parce que nos ressources sont limitées : si l’on a une heure de temps libre par jour et qu’on aimerait apprendre le tricot, se mettre à la méditation et au sport et se faire un masque hydratant, il va bien falloir faire des choix.
Comment choisir, dès lors, entre notre empreinte écologique, nos finances, notre santé physique et mentale, et le bien-être de ceux qui sont impactés par nos actions ?
Pour les personnes autistes, particulièrement douées pour imaginer les répercussions de leurs actes, ce genre de dilemme peut être paralysant. A fortiori parce que nous avons besoin de routine : nous pouvons implémenter certains changements dans notre comportement, mais nous fonctionnons en général mieux quand notre quotidien est prévisible. Difficile, donc, de tester tout un tas de stratégies pendant plusieurs semaines jusqu’à trouver celle qui nous conviendra le mieux.
Ma proposition n’a rien de révolutionnaire mais je pense qu’elle est satisfaisante : il est primordial d’établir une liste de priorités.
Quelles sont mes priorités ?
Tout en haut de cette liste se trouvent les santés, mentale et physique, de celui qui la rédige. Cela peut paraître contre-intuitif, surtout pour des individus doués de beaucoup d’empathie comme nous, mais c’est l’une des plus vieilles consignes qui soient : on ne peut pas sauver les autres si on n’est pas soi-même en bon état. Dans un avion en train de dépressuriser, on met son propre masque à oxygène avant d’aider quiconque à enfiler le sien.
Tout en haut de cette liste se trouvent donc les mesures qui vont bénéficier à notre santé mentale et notre santé physique. Ces mesures ne seront pas les mêmes pour tout le monde : pour certains cela peut être faire plus de sport. Pour d’autres, plus de repos. Peut-être passer moins de temps sur les réseaux sociaux, ou se pousser pour enfin aller voir le dentiste, ou manger un peu plus de trucs verts[1].
Il est important ici de distinguer le confort de la santé. Un aménagement de confort est une mesure qui nous facilite la vie mais sans laquelle il est possible de fonctionner. Par exemple, quand je demande à ma tendre moitié d’allumer la bouilloire pour moi, c’est du confort : je pourrais tout aussi bien me lever et appuyer sur le bouton moi-même. Un aménagement de santé est en revanche une mesure sans laquelle l’action n’est juste pas effectuée. De nombreuses personnes ayant des problèmes de dysfonction exécutive ont par exemple du mal à prévoir leurs repas à l’avance et à cuisiner à peu près sainement. Si une personne était incapable de manger des légumes sauf lorsqu’elle les achète en petits sachets déjà tout épluchés, ce n’est certes pas top pour l’écologie, mais l’impact sur sa santé est très net. La santé avant tout. Et rien ne dit qu’une fois qu’elle aura pris l’habitude de cuisiner, aidée dans sa tâche par le fait que ses légumes soient faciles à intégrer, elle ne pourra pas petit à petit se tourner vers des ingrédients un peu moins transformés.
Ne culpabilisons pas d’avoir besoin, pour notre santé, de ce qui est un confort pour d’autres.
Une fois les mesures liées à la santé mises en place, il s’agira de voir ce qui est le plus pressant pour chaque personne, et ce qu’elle juge plus important – tout en gardant à l’esprit que notre charge mentale influe, au bout du compte, notre santé.
Accepter l’imperfection
Au-delà de cette liste de priorités et des questions qu’elle génère - « Est-ce que le surplus de charge mentale qui vient de faire mes courses à quatre endroits différents plutôt qu’un seul est compensé par le bénéfice que je retire de faire ces courses à pieds additionné de l’économie d’environ six euros par semaine ? » - se trouve enfin la notion de perfection. Sûrement, réfléchit la personne autiste, il existe un algorithme avec lequel je pourrais déterminer la voie à suivre la plus optimale. Sûrement, en réfléchissant suffisamment, je trouverais une solution parfaite qui conjuguerait tous mes besoins.
À mon lecteur j’offre cette vérité déplaisante : non, la configuration optimale n’existe pas. Non seulement la perfection n’est pas une option mais même le « très acceptable » n’est qu’une illusion. Parce que nous ne sommes qu’humains, parce que le monde est imprévisible, parce qu’il y aura toujours quelque chose qui contrariera notre organisation, qui fera que nous serons trop fatigués ou occupés, parce qu’au plus une machine est précise, au plus il est facile de la faire dérailler.
Et ce n’est pas grave.
Ce n’est pas grave parce que nous ne sommes de toute façon pas censés atteindre la perfection. La survie du monde entier ne repose pas sur nos épaules, peu importe à quel point nous avons tendance à croire le contraire.
J’encourage mon lecteur, plutôt que de s’épuiser à trouver la configuration optimale, à voir ses tentatives d’améliorer son quotidien comme une volonté, une tendance vers. Plutôt que « du sport un jour sur deux sinon je suis un être abject », envisager « tous les jours, me demander si je suis prêt à faire du sport, et accepter ma réponse sincère ». Tendre vers un but, c’est chercher à l’implémenter de plusieurs manières, et en même temps, c’est accepter qu’on ne l’atteindra pas aujourd’hui. Ce n’est même pas se pardonner de ne pas l’avoir atteint : avoir fait le maximum est tout ce qu’on pouvait décemment attendre.
Cette idée implique aussi une notion de plasticité : notre meilleur effort n’est pas le même d’un jour à l’autre. Parfois nous n’aurons pas les cuillères nécessaires pour suivre nos nouvelles habitudes. Faire de son mieux, de temps en temps, c’est ne rien faire du tout, parce que notre mieux est au niveau zéro. C’est normal, et là encore il n’y a rien à pardonner.
Il ne me reste qu’à souhaiter à mon lecteur le plus grand succès dans ses tentatives de changement. Et s’il fait partie de ceux qui ne ressentent aucun besoin de changer, grand bien lui fasse. Je crois qu’à ce stade nous aimerions tous connaître son secret, aussi qu’il n’hésite pas à nous le laisser en commentaire.
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[1]Lesdits trucs verts existent réduits à l’état de poudre, et honnêtement, dans un smoothie, ça ne passe pas trop mal.