Je suis autiste : ask me anything
- Julie BOUCHONVILLE
Pour fêter la journée de sensibilisation à l’autisme qui a lieu le 2 avril, j’ai courageusement décidé de me rendre sur la place publique qu’est Reddit et de proposer aux gens de me poser toutes les questions relatives à l’autisme qu’ils pouvaient avoir, en échange de mon exploitation de leurs doutes dans cet article. Cent-soixante commentaires plus tard, me voilà.
Plusieurs questions étant redondantes ou similaires, je les ai agrégées et retravaillées, ce qui participe aussi à leur anonymisation.
Partant du principe que si quelqu’un s’est demandé quelque chose, quelqu’un d’autre se le demandera tout autant, j’encourage mon lecteur à partager cette page avec le plus grand nombre.
Un rappel : qu’est-ce que l’autisme ?
L’autisme est un trouble du développement qui impacte plusieurs aspects de la vie d’une personne. C’est une neurodivergence, c’est à dire une variation par rapport à l’individu « normal ». Il existe d’autres neurodivergence : le trouble de l’attention, le trouble anxieux, la schizophrénie, etc. Une personne n’ayant aucune neurodivergence connue est dite « neurotypique »[1].
L’autisme impacte principalement quatre secteurs de la vie des personnes : le sensoriel, le social, la communication/le langage, et les centres d’intérêts.
Chaque personne peut être différemment touchée sur chacun de ces secteurs d’aptitudes, et avoir besoin de plus ou moins d’aide au quotidien.
Les questions administratives
« Comment se faire diagnostiquer en tant qu’adulte ? Je soupçonne que je suis autiste et je ne sais pas comment faire. J’ai peur des tracasseries administratives et médicales, mais surtout, j’ai peur qu’on me rie au nez. »
Se faire diagnostiquer en tant qu’adulte est notoirement difficile, surtout pour une personne qui dévie de la caricature de l’autiste classique (une femme, une personne qui a un job et/ou qui parle aisément avec sa bouche, etc). J’ai personnellement recueilli des témoignages de personnes à qui des spécialistes avaient affirmé qu’elles ne pouvaient pas être autistes parce qu’elles avaient des amis, qu’elles avaient ri à une plaisanterie ou manifesté du chagrin à l’évocation d’un souvenir triste.
Je l’ai déjà dit, je le rappelle ici : ces comportements, cette condescendance et ce manque d’écoute, sont simplement inadmissibles de la part des professionnels, qui ont de toute évidence une vision de l’autisme datant d’il y a un demi-siècle. Quand bien même un patient se planterait dans les grandes lignes lors d’un auto-diagnostic, il est inacceptable de rejeter son ressenti de la sorte.
Que faire, dès lors, pour obtenir un diagnostic sans passer par des expériences humiliantes similaires ? Je suggère une solution en quatre étapes :
1) Passer quelques tests de dépistage et noter ses scores et ses réponses.[2]
2) Armé de cela, aller voir son médecin traitant et lui exposer la situation, avant de lui demander de recommander un psychiatre spécialisé dans le diagnostic des adultes. Il se peut qu’il n’en connaisse pas. Demandez-lui de chercher.
3) Au pire, n’ayez pas peur de contacter plusieurs psychiatres qui travaillent dans le privé en demandant au secrétariat : est-ce que le Dr Bidule travaille avec des autistes adultes ?
Si non, passez au suivant.
4) Allez voir le psy avec vos tests sous le bras, et expliquez vos ressentis. Prenez des notes au quotidien pour pouvoir donner des exemples précis.
Ce ne sera pas parfait, mais ce sera toujours plus vivable que d’attendre deux ans qu’un CRA ait de la place ou que de devoir supporter plusieurs variations de « Mais vous ne pouvez pas être autiste, vous vous êtes coiffés ce matin ! ».
« Est-ce utile pour un adulte n’ayant pas besoin d’allocation ou d’aide de se faire diagnostiquer, s’il soupçonne être autiste ? »
Ce n’est que mon avis, mais non. C’est beaucoup de temps et d’énergie investis dans ce qui au final n’ouvrira aucune porte et ne donnera accès à aucune forme de coup de main. J’encourage mon lecteur qui se pense autiste à se présenter comme tel s’il trouve que c’est pertinent.
« Les personnes autistes ont-elles droit à l’AAH ? J’ai entendu que non. »
Oui. L’allocation en question est donnée aux personnes en situation de handicap. L’autisme est reconnu comme une forme de handicap – pour peu qu’il handicape la personne, s’entend. Pour faire une demande d’AAH, il faut contacter la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de sa région. La procédure est expliquée en détails sur le site Autisme Info Service[3].
« Mon proche autiste n’aime pas les études qu’il a entreprises. Il ne sait pas vers quoi se ré-orienter. Que faire ? »
Aller voir un conseiller d’orientation et briefer ledit conseiller : pas question qu’il s’adresse à la personne autiste comme à un enfant ou qu’il ne lui suggère que des jobs dans l’informatique. L’idéal serait d’identifier ce que la personne autiste aime au quotidien : travailler avec ses mains ? Être en mouvement ? Rester assise longtemps en se concentrant ? Manipuler des données ? Raffiner un système jusqu’à ce qu’il fonctionne mieux ? Aider des gens ? Transmettre des connaissances ? Travailler en équipe ?
Il n’y a pas que le développement dans la vie.
« Si une société désire engager des travailleurs autistes, vers quel organisme se tourner ? »
L’AGEFIPH sert à aider les entreprises et les travailleurs handicapés à collaborer, et l’association « Vivre et travailler autrement » se spécialise dans l’accompagnement d’entreprises qui cherchent à engager des personnes autistes en situation de handicap.
Les questions familiales
« Mon proche, que je soupçonne d’être autiste, est souvent impoli. Il n’aime pas se rendre aux rassemblements familiaux, et quand il vient, il semble s’ennuyer, ne parle à personne, et ne reste pas longtemps. Que faire ? »
Arrêter d’inviter quelqu’un qui n’a clairement aucune envie d’être là. Si on donne deux choix à une personne (venir ou rester chez elle), il faut pouvoir être satisfait avec l’un des deux. La personne qui a posé cette question semblait vouloir que non seulement son proche vienne aux rassemblements mais qu’en plus il y agisse d’une certaine manière. Je comprends que cela soit déplaisant d’avoir un invité qui ne cache pas qu’il s’ennuie royalement, mais dans ce cas, il ne faut pas râler quand il ne vient pas.
« Mon jeune proche est autiste, et j’aimerais être un bon parrain/oncle/cousin/proche pour lui, mais je ne sais pas trop si des activités « classiques » lui plairaient et j’ai peur de mal faire. Les activités que j’ai essayé d’organiser ne se sont pas passées comme je les imaginais et je me suis senti déçu. Comment passer de bons moments avec cette personne ? »
Commencer par lui demander serait pas mal, si la jeune personne sait parler. Sinon, pas de panique : dans un premier temps, il est toujours possible de pratiquer le bon vieux jeu parallèle. Ce type de jeu est l’un des premiers stades de développement des enfants. C’est ainsi qu’on appelle le comportement durant lequel plusieurs enfants sont chacun absorbés par leur propre activité alors qu’ils se côtoient. Ils sont conscients de ce qui se passe autour, ils peuvent même se piquer des idées entre eux s’ils jouent à des jeux similaires[4], mais ils ne sont pas dans l’interaction. Il est généralement considéré que c’est un comportement qui s’estompe au fur et à mesure que l’enfant mature et se met à préférer la coopération active avec ses pairs.
Les personnes autistes adorent ce type d’interactions peu intenses, aussi s’y adonner avec un enfant dont on ne sait pas trop ce qui lui plairait est un bon point de départ. On peut lui lire un bouquin à voix haute si on veut vraiment interagir, ou construire quelque chose à côté de lui, ou se faire une petite séance d’étirements sur le tapis près de lui. C’est une manière très efficace et peu intrusive à la fois de montrer à une jeune personne autiste qu’on ne représente pas de danger, que notre comportement est prévisible, et en même temps, on pourra observer ce qu’elle fait, afin de réfléchir à des activités à faire en duo.
Attention à ces activités : il est important de laisser derrière soi toute idée préconçue de ce à quoi cela pourrait ressembler. Bien sûr que nous aimerions tous emmener des enfants au musée où ils seraient fascinés par nos explications, dessineraient des dinosaures dans leurs petits carnets de croquis, poseraient des questions pertinentes, marcheraient calmement dans les couloirs, puis iraient manger leur lunch sain dans un parc garanti sans fourmi avant de s’endormir sur le trajet du retour, le sourire aux lèvres.
C’est normal d’avoir cette image dans un coin de la tête, mais il faut réaliser qu’il est très peu probable qu’elle devienne jamais réalité. Dans la pratique un enfant, a fortiori un enfant autiste, peut ne pas savoir gérer le bruit ou les lumières d’un endroit, avoir trop chaud ou trop froid toutes les huit secondes, avoir faim cinq minutes après être parti, ne pas s’intéresser aux expositions très longtemps, vouloir courir dans les grands espaces vides, ne pas réussir à moduler sa voix pour parler doucement, etc, etc.
A tout moment, c’est le bien-être de la personne autiste qui doit primer sur le reste. Peut-être qu’elle n’aimera pas cette sortie qu’on a dépensé beaucoup de temps et d’argent à préparer pour elle. C’est dommage, mais de la forcer à rester et à interagir comme on l’a décidé n’aura aucun sens, et lui fera passer un très mauvais moment. Je doute que ce soit le but de quiconque.
« L’autisme a-t-il une composante génétique ? »
Oui. Si mon lecteur partage du matériel génétique avec une personne autiste, je l’encourage à se poser des questions.
Les questions professionnelles
« Comment engager plus de personnes autistes ? Comment encourager les entreprises dans cette voie ? »
Je pense sincèrement qu’on fera des miracles pour l’embauche du point de vue des personnes neurodivergentes et handicapées au sens large le jour où on lâchera certaines conventions en entretien d’embauche. Notamment :
- Juger les gens sur leur apparence
- Juger les gens sur leur capacité à maintenir du contact visuel
C’est humain d’avoir ces tendances, mais les personnes autistes sont notoirement mauvaises pour les contacts visuels, ont tendance à s’habiller pour le confort plutôt que pour l’élégance[5], et peuvent avoir du mal à aller chez le coiffeur régulièrement ou à se maquiller.
Ce sont deux obstacles très simples à faire disparaître. Dans l’absolu, si les entretiens d’embauche n’étaient pas de tels étalages ritualisés de compétences sociales, ça ne ferait pas de mal non plus.
Pour encourager les entreprises dans cette voie, j’éviterais en revanche de tomber dans la tendance qu’ont certaines associations qui consiste à essayer de nous décrire comme des chiens d’assistance : « Les autistes sont loyaux ! Ils détestent le changement alors ils n’iront pas chercher d’autre job ! Leur sens du détail est inouï ! Ils adorent les tâches répétitives ! Leur mémoire visuelle vous impressionnera ! »
Non. Certains autistes sont plus doués que les non-autistes dans des domaines précis. Ce n’est pas une généralité, et suggérer que c’est le cas pour compenser, d’une manière ou d’une autre, nos « inconvénients d’autistes » est dégradant. A diplômes et expérience égaux, une personne autiste prise au hasard vaut la même chose qu’une personne non-autiste prise au hasard. C’est pour cela qu’il faut nous engager, pas parce qu’on est très ponctuel ou qu’on a une bonne mémoire visuelle.
« Comment faciliter la vie de mon collègue/mon employé autiste ? »
En demandant au collègue/employé autiste comment on peut lui faciliter la vie. Il y a des grandes lignes (pas trop de stimulus sensoriels, donner des consignes claires, ne pas se fâcher si la personne parle un peu trop franchement, ne pas avoir peur de poser beaucoup de questions), mais au bout du compte, c’est la personne qui sait ce dont elle a besoin, pas moi. J’encourage surtout les gens à être prêts à s’adapter.
Les questions politiques
« Les autistes sont-ils bien encadrés en France ? »
Non. La pathologisation de l’autisme, le manque de moyens du système de santé en général, un retard sérieux dans la prise en charge de cette neurodivergence en particulier issu de notre flirt avec la psychanalyse, un manque de formation des professionnels et d’éducation du grand public, … tout cela s’accumule et fait que la France pourrait faire de gros progrès dans la gestion de sa population autiste.
« Y a-t-il une tendance au sur-diagnostic en ce moment ? »
Non.
« Non mais, vraiment, y a-t-il trop de diagnostics d’autisme en ce moment ? »
Toujours non.
« Comment faciliter la vie des autistes dans l’espace public ? (Transports, rues, établissements recevant du public, ...) »
La question est très vaste et je ne sais pas ce qui serait faisable concrètement. Mais dans les grandes lignes :
- Interdire les lampes fluorescentes une fois pour toutes[6]
- Limiter les musiques inutiles dans les lieux publics style supermarchés
- Intégrer dans les transports en commun le permettant des « wagons silencieux » comme cela existe entre autres aux Pays-Bas, où on ne parle pas et fait le moins de bruit possible.
- Durcir les limites concernant le bruit des véhicules en ville, pourquoi pas en allant jusqu’à interdire les poids lourds (ça pose la question de la logistique des derniers kilomètres, mais niveau environnement aussi ce serait bien)
- Créer des salles de pause dans les bâtiments recevant du public, qui seraient ussi neutres que possible d’un point de vue sensoriel. Au pire, des alcôves avec un endroit où s’asseoir et boire un verre d’eau seraient un bon début.
- Intégrer la Langue des Signes Française au cursus scolaire dès le primaire (utile dans plein de situations et pas que pour les autistes)
- Laisser les élèves des écoles publiques emporter une lunch box pour le déjeuner. Sérieusement, ça n’a aucun sens cette histoire de cantine obligatoire.
- Informer le grand public que nous existons. Pour que les parents d’un enfant bruyant ou turbullant ne soient pas jugés, pour qu’un adulte qui chantonne tout seul pour se rassurer à l’arrêt de bus ne soit pas traité comme un pestiféré, pour qu’on normalise les gens qui ont l’air un peu bizarres mais qui sont inoffensifs.
- Investir massivement dans la prise en charge du handicap et de l’autisme à tous les âges de la vie, avec des politiques d’aide, d’intégration, d’accompagnement vers l’emploi et des allocations dignes pour les personnes en ayant besoin. Le montant actuel de l’AAH est une blague qui ne fait rire personne.
Conclusion
La première étape pour aider les personnes autistes à s’intégrer dans la société est de savoir que nous existons. Nous sommes parfois un peu bizarres, nous sommes très doués pour certains trucs et franchement nuls pour d’autres, mais nous existons, nous n’allons faire de mal à personne, et exactement comme tous les autres, nous voulons juste nous épanouir.
J’encourage mon lecteur à partager cet article pour participer à cette sensibilisation, ainsi qu’à lire le question-réponse de l’année dernière[7].
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[1]L’une de mes collègues a récemment suggéré que les vrais neurotypiques n’existent pas, et j’admets que la question mérite qu’on la pause.
[2]https://bienetreautiste.com/blogs/infos/diagnostic-et-auto-diagnostic-de-l-autisme-partie-2?_pos=1&_sid=d8b6e54a7&_ss=r Une série de tests se trouve à la fin de cet article.
[3]https://www.autismeinfoservice.fr/informer/aides-droits/aah-allocation-adulte-handicape
[4]Un enfant qui se met à peindre des ronds après avoir observé qu’un autre enfant s’y applique, par exemple.
[5]Rappelons qu’une seule étiquette qui gratte peut nous envoyer en meltdown.
[6]Elles ont un effet stroboscopique et elles sont bruyantes.
[7]https://bienetreautiste.com/blogs/infos/il-n-y-a-pas-de-question-bete-l-autisme-pour-les-debutants
Je vous remercie pour vos éclaircissements.
@Juliette : Bonjour ! Pardon pour ce raccourci dont je vois qu’il est peu clair. La psychanalyse peut avoir son utilité si les partis impliqués y trouvent une aide, mais pendant longtemps l’approche française de l’autisme a été 100% psychanalytique. C’est à dire que plutôt que considérer l’aspect neurologique de l’autisme, voire de traiter ce neurotype comme une variation naturelle qui émerge chez les humains, l’autisme a été traité comme une pathologie liée à des expériences vécues au cours de l’enfance. Cette supposition initiale étant très à côté de la plaque, cela a mené à des prises en charges inefficaces, voire à des situations où les parents étaient blâmés pour le neurotype de leur enfant.
bonjour ! Je me permets de vous citer :
«Un retard sérieux dans la prise en charge de cette neurodivergence en particulier issu de notre flirt avec la psychanalyse». Ma question : pourquoi la psychanalyse serait incompatible avec l’autisme ? Merci beaucoup.