Le modèle animal
- Julie BOUCHONVILLE
Souvent, dans le cadre des études menées sur l’autisme, on teste des interventions (médicamenteuses, chirurgicales, comportementales, etc) sur des souris. Il y a plusieurs raisons à cela, entre autres que c’est moins cher, plus facile, il y a moins de paperasse, et si on en tue une ou deux dans le processus, ce n’est pas bien méchant.
Pourtant, il y a un argument majeur à opposer au modèle animal : les souris ne sont, à notre connaissance, jamais autistes.
Alors qu’est-ce que ces armées de scientifiques étudient, au juste ?
Créer une souris autiste
Les souris autistes sont manufacturées. Le principe est le suivant : on sait que certains gènes interviennent dans l’autisme. Si on bricole le génome de souris pour qu’elles aient la bonne version de ces gènes, elles se mettent à avoir des comportements qui ressemblent à de l’autisme : elles ont des comportements répétitifs, elles vont moins volontiers au contact des autres souris, elles vocalisent moins, etc. Elles ne peuvent pas vraiment nous parler de leur monde intérieur alors on suppose qu’elles ont aussi des difficultés sensorielles, une tendance à penser par association d’idées et un sens de la justice très affûté, mais honnêtement, on n’en sait rien.
Premier problème : on sait que chez l’humain, la cause de l’autisme est multi-factorielle et, en majorité, inconnue et floue. Donc considérer que « leur autisme » est le même que celui obtenu par simple mutation génétique, sous prétexte que de l’extérieur ça y fait penser, n’est pas très rigoureux.
Second problème : est-ce que ces souris autistes ont vraiment les comportements promis ?
Il faut savoir que les animaux de laboratoire, surtout ceux ayant un comportement et un génome répondant à un ensemble de spécificités, sont créés par des sociétés dont c’est le seul job et ensuite vendus aux labos ayant besoin de faire des recherches. Ces sociétés peuvent ainsi mettre au point des animaux ayant des pathologies précises, des traits de caractères, des mutations spécifiques, etc, que ce soit par sélection de lignées prometteuses ou manipulation génétique.
Or, la plupart des souris autistes fournies par les sociétés de production de ces animaux ne sont pas aussi autistes qu’annoncé sur catalogue, et lorsque leurs comportements sont testés par des labos indépendants, elles s’avèrent être au mieux pas très sociables, et au final, une assez faible approximation de ce qu’un humain autiste pourrait être.
À la surprise générale, les humains et les souris sont des espèces différentes
Les humains et les souris partagent environ 85 % de leur ADN, c’est à dire que nous avons pas mal de gènes en commun. Ca n’a rien de particulièrement significatif : en tant que mammifères, nous avons des tas de trucs similaires dans nos corps, alors 15 % est déjà un assez bel écart. Par exemple, l’aspirine est mortelle pour les rongeurs, mais le thalidomide n’a pas d’effet tératogène[1] sur eux.
Au niveau comportemental, les souris ne sont pas si proches des humains non plus. Elles sont certes raisonnablement sociables, mais ce sont aussi des animaux très territoriaux qui, lorsque l’espace le permet, préfèrent vivre seules plutôt qu’en groupes.
J’ai conscience d’être en train d’annoncer à mon lecteur que l’eau mouille, mais oui, les humains et les souris sont très différents. Sans doute au point où à part les bases de la biologie et de l’anatomie, on ne peut pas apprendre grand-chose de l’un en observant l’autre.
Les modèles animaux sont connus pour avoir une utilité limitée dans l’ensemble, essentiellement basée sur l’éthique : il serait incorrect de tester quoi que ce soit sur des humains avant de l’avoir fait sur des animaux. J’arguerais que dans le cadre de l’autisme, les « souris autistes » sont si éloignées de leur équivalent humain que tester quoi que ce soit sur elles ne sert pas à grand-chose. Autant tester directement sur des humains volontaires, et si le protocole de l’expérience est trop dangereux ou peu éthique, on peut aussi bien ne pas tester du tout : un résultat qui ne s’appliquerait qu’aux rongeurs n’aurait que peu de valeur.
On ne comprend toujours pas l’autisme chez l’humain
Est-il besoin de le rappeler ? La vision que le monde médical a de l’autisme est toujours, à l’heure actuelle, pétrie de biais, incomplète et très médicalisée. Pour mieux comprendre ce neurotype, on peut arguer qu’il serait plus simple et plus efficace à la fois de collaborer avec des humains autistes, qui peuvent décrire leur expérience et leur processus de pensée, plutôt que d’observer des rongeurs dont on a décidé assez arbitrairement que s’ils vocalisaient moins souvent, par exemple, c’était à coup sûr l’expression du même trait qui fait que les autistes maîtrisent parfois moins bien le langage parlé.
Accessoirement, ce serait plus sympa pour les souris.
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[1]Une substance est tératogène lorsqu’elle provoque des malformation du fœtus. Le thalidomide est connu pour avoir été prescrit comme anti-nauséeux à de nombreuses personnes dans les 50 et 60, dont un grand nombre était enceintes, générant entre 15000 et 20000 naissances de bébés aux malformations sévères.