Sauter le pas de la parentalité - Partie 2
- Julie BOUCHONVILLE
La semaine dernière, nous avons mentionné que les parents autistes sont plus répandus qu’on ne le croit, et mis les pieds dans le plat vis-à-vis de l’éducation des enfants, à savoir que personne ne sait quoi faire au juste.
Cette semaine, abordons quelques points plus précis vis-à-vis de ce qui pourrait, ou non, faire d’une personne autiste un bon parent.
Ne pas nuire
Ne pas être un parent atroce est très bien, mon lecteur me répond à la suite de mon précédent article, mais il ambitionne d’être un peu mieux que ça ! Est-il possible d’être un bon parent ? En particulier quand on est autiste ?
Honnêtement, je ne sais pas, parce que la définition du « bon parent » varie d’une personne à l’autre. Ananas, par exemple, peut être convaincu d’avoir été un parent un peu naze, parce qu’il a vécu plusieurs épisodes dépressifs quand ses enfants étaient jeunes et qu’il pense que cela les a impactés. Fraise et Myrtille, ses enfants, peuvent au contraire avoir gardé en mémoire ces épisodes comme des situations où, certes, Ananas était un peu à plat, mais il était à la maison quand elles rentraient de l’école et prenait un goûter avec elles, moment qu’elles aimaient tout particulièrement. Cela peut même varier d’un enfant à l’autre, selon la manière et les circonstances dont chacun a vécu un événement donné. À l’inverse, bien sûr, on peut être convaincu d’avoir été un parent correct, voire très bon, et s’entendre dire par un enfant qui sort de quinze ans de thérapie que, franchement, on a fait n’importe quoi.
De manière plus générale, j’encourage mon lecteur à se sortir de l’esprit qu’être un bon parent soit un état binaire, définitif, et qui se décide à un instant T. On choisit tous les jours, à chaque interaction, quel genre de parent on a envie d’être, et la possibilité d’être, pour son enfant. Ledit enfant, de toute façon, aimera son parent[1], et une fois adulte, il gardera sans doute un souvenir complexe de toute la période qu’on appelle l’enfance, souvenir qui ne sera pas tout bon ou tout mauvais, mais constitué de bons et de moins bons moments. Je ne suggère pas qu’il faille viser la médiocrité parce que s’il est impossible d’être parfait autant traiter les enfants comme des plantes, mais plutôt, que comme « un bon parent » n’est de toute façon pas un concept clair, la seule voie raisonnable à suivre est de toujours faire notre possible pour être des adultes bienveillants, et espérer que ça suffise.
Autisme vs parentalité
Les autistes vivent avec des particularités sensorielles et émotionnelles qui peuvent leur faire craindre de ne pas s’entendre avec leurs enfants. Une difficulté à entrer en contact pourrait mener à un attachement émotionnel instable, et certains comportements typiquement autistes pourraient être vécus comme de l’indisponibilité émotionnelle par l’enfant. Voici quelques craintes que j’ai pu retrouver en examinant les témoignages disponibles :
– Je suis facilement dégoûté. J’ai peur de trouver mon enfant répugnant si son nez coule, s’il bave ou mange salement, ou d’avoir du mal à manipuler les couches sales.
– Je n’aime pas les contacts physiques, j’ai peur de ne pas pouvoir tenir mon enfant contre moi pendant de longues périodes.
– Je suis sensible au bruit, j’ai peur de ne pas réussir à gérer un enfant qui n’arrête pas de crier.
– Certains sujets me mettent facilement en colère, j’ai peur de ne pas être assez patient avec mon enfant, voire de lui faire du mal si je m’emporte.
– Je n’aime pas les contacts visuels, j’ai peur que mon enfant et moi ne parvenions pas à nous connecter si je ne le regarde pas dans les yeux.
– Je suis facilement anxieux, j’ai peur d’étouffer mon enfant en le privant de libertés, et d’avoir un mal fou à le laisser à des inconnus (baby-sitters, nounous, personnel de crèche…). Je ne sais pas comment je réussirais à gérer si mon enfant développait une maladie grave ou se blessait.
– Je n’aime pas jouer, j’ai peur que mon enfant s’ennuie avec moi ou pense que je ne l’aime pas si je ne joue pas avec lui.
– J’ai besoin que mon domicile soit bien rangé, ou je possède une grande quantité d’objets fragiles, et j’ai peur qu’un enfant génère du bazar ou abîme mes objets.
– J’ai besoin d’un sommeil d’excellente qualité et ininterrompu pour être en bonne santé, et j’ai peur que les réveils nocturnes des jeunes enfants entrent en conflit avec cela.
– J’ai besoin de passer beaucoup de temps immergé dans mes loisirs/sans attention soutenue pour mon environnement, j’ai peur de ne pas pouvoir m’occuper assez de mon enfant.
– Je n’ai pas eu une enfance très heureuse, et j’ai peur de reproduire des comportements qui m’ont nui lorsque j’étais jeune.
Bref, en un mot comme en cent, les parents potentiels redoutent d’être de mauvais parents, ou pas assez bons, et de manquer à leurs devoirs. Ceci est, fondamentalement, une bonne chose : les gens qui ont le souci de bien faire s’en sortent en général mieux que ceux qui ne sont même pas au courant qu’on peut se planter. Et ces questions méritent qu’on les aborde : on peut avoir un désir d’enfant, mais conclure, au terme d’une longue réflexion, qu’il est peut-être plus sain pour tout le monde si ce désir n’est pas concrétisé. Il n’y a aucune honte à réaliser qu’on n’est peut-être pas capable de faire quelque chose, surtout quand la chose en question change toute notre vie et implique le bien-être d’un autre individu. Au contraire : c’est là, à mon sens, la preuve d’une grande maturité.
Mais que mon lecteur se rassure : des solutions existent avant d’en arriver là, et les inquiétudes que peut ressentir une personne autiste sont peut-être exagérées.
De l’importance du partage
La plupart du temps, on est plusieurs adultes pour un seul enfant[2], disons au moins deux. La personne autiste peut donc déjà partir du principe qu’elle ne va pas être seule avec son enfant en permanence : elle aura un co-parent qui œuvre à ses côtés, et ils peuvent alterner leurs moments d’interaction avec l’enfant afin de s’assurer que chacun ait l’opportunité de recharger ses batteries, mais aussi ne soit pas forcé de gérer une situation dont il sait l’avance qu’elle va le démonter. Certains éléments seront inévitables : il faudra toujours gérer un repas de temps en temps, un enfant enrhumé ou déterminé à chanter très fort, mais personne n’est obligé de tout faire, tout seul.
Au-delà du duo des parents, j’encourage toute personne envisageant la reproduction à mettre au point un réseau d’adultes responsables susceptibles d’aider à leur tour. Pendant des millions d’années, les humains, en bons mammifères sociaux, ont élevé leurs enfants en groupes, et l’idée qu’une unité familiale n’inclut que deux adultes est une invention aussi récente que bancale. Deux adultes, c’est très limite : dès que l’un est malade ou absent, l’autre doit désormais prendre en charge 100 % du travail, pour peu que deux personnes soient un peu à plat, nul n’est plus disponible pour les enfants, et que faire quand ces deux adultes aimeraient passer un moment calme en tête à tête ? On ne s’en sort pas.
Il est donc vital d’avoir tout un réseau susceptible de prendre le relai au moindre souci, et pas juste un ou deux grands-parents vite faits : par « réseau », j’entends des professionnels de la petite enfance, des baby-sitters, des oncles et tantes, des parrains et marraines, des potes, des voisins, des cousins et cousines, etc. Une véritable meute de personnes sur qui l’on peut compter, qui doivent pouvoir débarquer rapidement quand quelque chose ne va pas.[3] Deux adultes, c’est beaucoup trop peu. Et bien sûr, il faut, en tant que personne autiste, être capable de demander de l’aide, de reconnaître qu’on est dépassé ou qu’on pourrait le devenir dans un futur proche, et qu’il est temps de passer la main à quelqu’un.
On peut le percevoir comme une dépendance à l’entourage, et bien sûr je n’encourage pas mon lecteur à forcer des gens à prendre soin de sa progéniture. Mais les humains sont, en règle générale, dépendants de leur entourage : c’est un peu le principe de la société. Il me semble que l’admettre, et décider d’en tirer parti pour le plus grand bien, est préférable à l’option qui consiste à essayer de tout faire tout seul puis ne pas comprendre pourquoi on est en burn-out parental. (Et j’insiste : il ne s’agit pas d’imposer ses enfants à quiconque. Les membres du réseau doivent être volontaires.)
Je laisse ici mon lecteur pour aujourd’hui, et le retrouverai la semaine prochaine pour la dernière partie de ce sujet.
[1]Sous réserve de circonstances normales, bien sûr.
[2]Prenons le temps de saluer les parents célibataires, souvent des mères, qui font un taf héroïque dans l’indifférence générale et une société qui ne les aide pas assez. On vous voit.
[3]Par souci d’honnêteté, ces relations sont à double sens : si l’on demande à Unetelle de nous rendre service, on doit être prêt à l’aider à notre tour.
Je voulais un enfant. J’avais du mal à vivre constamment avec un adulte. J’ai eu un enfant. Je n’ai pas pu rester avec le papa.
Pendant le temps ou mon enfant est resté chez moi avant de s’envoler hé bien tout c’est superbement bien passé. : la cohabitation, la patiente, les pleurs, le nez qui coule, les couches à changer, les câlins, etc.
J’ai accepté ses pleurs, ses jeux même si avant je n’aimais pas jouer, j’arrivais à faire abstraction de tous ce qui est sensorielle. Avoir mon enfant m’a aidé à vivre mieux avec mon autisme. (à l’époque je n’étais pas encore diagnostiquée). Je l’ai élevé avec ma façon d’être, avec bienveillance, patience, un peu de rigueur car cela faisait parti de moi, je me disais que ce qui n’était pas bon pour moi ne devait pas l’être pour elle et inversement, je dois dire que mon enfant était très cool.
Nous étions très fusionnelle, un peu trop même mais on a réussi à vivre par la suite chacun de son côté, enfin je crois…Elle n’habite pas loin de chez moi alors ça va . On est toujours présente l’une pour l’autre. Je suis maintenant Mamie et j’adore m’occuper de ses petits, mais à petite dose.
Finalement tous les enfants me conviennent bien, j’en ai fais mon métier, en m’occupant d’eux qu’ils soient en situation d’handicap ou non.
Conclusion : être autiste n’est pas incompatible avec être parent. Je suis fière d’être la maman de “ma fille que j’aime et que j’adore”, ce sont les mots que je lui dit tout le temps