
Les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes autistes
- MARIADNE GUINARD

Les violences sexistes et sexuelles touchent toutes les femmes, mais leur impact est particulièrement marqué chez les femmes autistes. La spécificité de leur fonctionnement cognitif, sensoriel et social les rend souvent plus vulnérables face aux agressions. Comprendre ces enjeux est essentiel pour mieux les protéger, les accompagner et reconnaître leurs expériences, trop souvent invisibilisées.
L’incompréhension des implicites : un atout et une malédiction
L’autisme se caractérise, entre autres, par une difficulté à décrypter les implicites sociaux, les sous-entendus et les jeux de séduction qui jalonnent les interactions quotidiennes. Cette particularité peut parfois représenter un avantage, mais elle se transforme aussi en facteur de vulnérabilité lorsqu’il est question de violences sexistes et sexuelles.
D’un côté, l’incapacité à décoder les signaux subtils peut protéger. De nombreuses femmes autistes expliquent ne pas se rendre compte qu’une personne flirte avec elles. Là où d’autres femmes peuvent être plongées dans un malaise ou ressentir une pression sociale pour répondre à des avances, elles passent à côté des insinuations. L’absence de compréhension de ces dynamiques leur évite certains inconforts et peut même leur permettre d’échapper à la spirale des attentes genrées.
Cependant, cette même difficulté se révèle problématique quand il s’agit de repérer des intentions malveillantes. Ne pas percevoir qu’une personne dépasse les bornes, insiste, ou adopte une attitude de prédation, empêche souvent la mise en place de mécanismes de défense. Par exemple, une femme autiste peut ne pas reconnaître immédiatement les signes avant-coureurs d’un harcèlement ou d’une manipulation. Elle peut rester plus longtemps dans une situation dangereuse, faute d’avoir interprété correctement les comportements en face d’elle.
À cela s’ajoute une tendance à la littéralité : croire ce qui est dit sans soupçonner de double intention. Si quelqu’un affirme « je plaisantais », même après un geste déplacé, une femme autiste est susceptible de prendre cette phrase au pied de la lettre et de minimiser la gravité de ce qu’elle a vécu. Les agresseurs peuvent exploiter cette confiance et ce rapport très direct au langage.
Il faut également souligner que, dans une société où l’on attend des femmes qu’elles saisissent les sous-entendus et « jouent le jeu » de la séduction, ne pas comprendre ces codes peut isoler. Certaines femmes autistes racontent avoir été perçues comme « naïves », « froides » ou « bizarres », ce qui les place en marge. Cette marginalisation fragilise leur réseau social et réduit le nombre de personnes susceptibles de les soutenir en cas d’agression.
Ainsi, l’incompréhension des implicites se situe à la croisée des chemins : une protection contre certains malaises, mais aussi une malédiction qui rend plus difficile la reconnaissance et la gestion des violences sexistes et sexuelles.
Les violences liées aux difficultés sensorielles et de verbalisation des limites
L’autisme s’accompagne fréquemment d’hypersensibilités sensorielles (sons, odeurs, textures, lumières) ou, au contraire, d’hyposensibilités qui atténuent la perception de certains signaux corporels. Ces particularités sensorielles sont rarement comprises par l’entourage, et elles deviennent un terrain propice aux violences.
Pour une femme hypersensible au toucher, une caresse ou un contact imposé peut être vécu comme une agression particulièrement violente. Le simple fait d’être forcée à supporter des stimulations sensorielles insupportables est déjà en soi une forme de maltraitance. Les agresseurs peuvent profiter de cette spécificité en banalisant la souffrance de la victime : « ce n’est rien », « tu exagères », « arrête de faire des histoires ». À l’inverse, une femme avec une hyposensibilité corporelle peut avoir du mal à ressentir immédiatement certains gestes intrusifs. Elle peut ne pas réagir ou ne pas comprendre sur le moment qu’une limite fondamentale a été franchie, ce qui la prive de la possibilité de dire « stop » au bon moment.
La question de la verbalisation est également cruciale. Beaucoup de femmes autistes éprouvent des difficultés à exprimer clairement leurs émotions et leurs limites. Dans une culture où le consentement est encore souvent supposé implicite plutôt qu’explicite, cette difficulté à dire non devient une faille que les agresseurs exploitent. Le silence, la sidération ou la gêne sont alors interprétés – à tort – comme une forme de consentement.
Certaines femmes autistes utilisent des scripts sociaux appris par cœur pour gérer les situations sociales. Mais face à un contexte inattendu, comme une agression, ces scripts s’effondrent et laissent place à la panique ou à l’incapacité d’agir. L’agresseur profite de ce blocage. La sidération, bien connue dans les violences sexuelles, est ainsi encore renforcée par le fonctionnement autistique.
Les difficultés de communication entraînent aussi des obstacles après coup. Quand une victime autiste veut raconter ce qui s’est passé, elle peut avoir du mal à hiérarchiser les faits, à exprimer ses émotions ou à éviter des détails perçus comme « hors sujet ». Ses récits sont parfois jugés « confus » par les forces de l’ordre, les professionnels de santé ou les proches. Cela peut conduire à une minimisation de la gravité des faits, voire à un refus de prise en charge.
Enfin, le besoin de routine et de prévisibilité caractéristique de l’autisme rend toute situation violente encore plus traumatisante. Les violences viennent rompre brutalement l’ordre fragile que la personne tente de maintenir dans sa vie quotidienne. Le sentiment de perte de contrôle est exacerbé et peut avoir des répercussions durables : troubles anxieux, isolement social, dépression.
Quelques ouvrages à lire au sujet des violences sexistes et sexuelles dont les femmes autistes sont sujettes
La littérature consacrée aux femmes autistes et aux violences qu’elles subissent reste encore limitée, mais elle tend à se développer grâce aux témoignages et aux recherches récentes. Ces lectures permettent de mieux comprendre les enjeux, d’entendre la parole des premières concernées et d’outiller la réflexion des proches, des professionnels et du grand public.
- Julie Dachez, La différence invisible (2016) : sous forme de bande dessinée autobiographique, l’autrice décrit le quotidien d’une jeune femme autiste. Si le livre ne se centre pas exclusivement sur les violences, il illustre la difficulté à être comprise et respectée dans un monde normatif.
- Temple Grandin, Ma vie d’autiste (1986, rééd. 2012) : pionnière dans la mise en lumière de l’expérience féminine de l’autisme, Grandin évoque sa trajectoire et les incompréhensions qu’elle a affrontées. Bien que le sujet des violences y soit abordé de manière indirecte, ce témoignage permet de saisir la vulnérabilité spécifique des femmes autistes.
- Muriel Salle et Catherine Vidal, Sexe, genre et santé (2017) : ce livre n’est pas centré sur l’autisme, mais il éclaire les mécanismes par lesquels les femmes, en général, sont exposées à des violences et à une prise en charge médicale souvent inadéquate. Ces mécanismes s’appliquent avec une intensité accrue aux femmes autistes.
- Témoignages et blogs de militantes autistes francophones : sur internet, de nombreuses femmes autistes prennent la parole pour raconter leurs expériences. Leurs écrits, parfois publiés sous forme de recueils ou d’articles, sont une source essentielle pour comprendre la réalité des violences sexistes et sexuelles.
- Rapports associatifs et institutionnels : en France, des associations comme Aspie-Friendly, Autisme France ou encore des collectifs féministes (ex. Nous Toutes) commencent à intégrer dans leurs analyses la question de l’autisme. À l’international, des recherches universitaires, notamment au Royaume-Uni et au Canada, explorent les liens entre autisme, genre et violence.
Ces ressources ne se limitent pas à un savoir théorique : elles offrent des repères concrets, des pistes de réflexion et une validation des vécus. Lire ces ouvrages peut aider les femmes autistes à se reconnaître, à mettre des mots sur ce qu’elles ont subi, mais aussi à trouver des pistes pour se protéger et obtenir du soutien.
Comment se protéger, les voies de recours et les ressources utiles pour obtenir de l’aide
Face aux violences sexistes et sexuelles, la question de la protection et des recours est centrale. Pour les femmes autistes, il s’agit non seulement de connaître leurs droits, mais aussi d’adapter les stratégies aux spécificités de leur fonctionnement.
Identifier les situations à risque
Une première étape consiste à acquérir des repères clairs pour distinguer les comportements appropriés de ceux qui ne le sont pas. Des ateliers de sensibilisation, des supports visuels ou des jeux de rôle peuvent aider les femmes autistes à apprendre à reconnaître les signaux de manipulation, de harcèlement ou d’agression. Certaines associations proposent déjà ce type de formation, qui doit être développée et rendue plus accessible.
Poser ses limites
La verbalisation peut être difficile, mais il est essentiel de trouver des stratégies adaptées : phrases simples à mémoriser (« je ne veux pas », « arrête »), gestes codés, recours à une personne de confiance. Le but est de rendre explicite le refus, même si cela demande de sortir des habitudes de communication. L’entourage doit aussi apprendre à respecter ces limites, sans chercher à les minimiser.
Chercher du soutien
Les femmes autistes ont souvent un réseau social plus restreint, mais identifier au moins une ou deux personnes de confiance peut faire une grande différence. Ces personnes peuvent jouer un rôle de relais en cas de problème : accompagner dans les démarches, témoigner, soutenir émotionnellement.
Recours institutionnels et juridiques
En cas d’agression, il est possible de déposer plainte. Toutefois, les obstacles sont nombreux : incompréhension des policiers face au témoignage, manque de formation aux spécificités de l’autisme, procédures longues et éprouvantes. Certaines associations proposent des accompagnements spécialisés pour franchir ces étapes. En France, le 3919 (Violences Femmes Info) est une ligne d’écoute gratuite et anonyme. Elle peut orienter vers des structures locales adaptées.
Ressources utiles
- Numéros d’urgence et d’écoute : 3919 (violences sexistes), 17 (police), 114 (SMS pour personnes sourdes ou ayant des difficultés d’élocution).
- Associations spécialisées : Femmes Autistes, Aspie-Friendly, Autisme France, Nous Toutes.
- Professionnels sensibilisés : psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux ayant une formation spécifique sur l’autisme.
- Groupes de parole : en ligne ou en présentiel, permettant de partager des expériences et de rompre l’isolement.
-
3919 – Violences Femmes Info
Numéro national, gratuit et anonyme, accessible 24h/24 et 7j/7. Il permet d’obtenir une écoute, un soutien psychologique et une orientation vers des structures locales adaptées. -
114 par SMS
Service d’urgence national accessible par SMS pour les personnes sourdes, malentendantes, ayant des troubles du langage ou de la parole. Il peut aussi être utilisé par des femmes autistes qui ont des difficultés à téléphoner dans des situations de danger. -
Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF)
solidaritefemmes.org
· Nous Toutes
noustoutes.org
Se reconstruire
Après des violences, le traumatisme peut être particulièrement lourd. Les approches thérapeutiques doivent prendre en compte l’autisme : thérapies cognitives et comportementales adaptées, accompagnement sensoriel, travail sur l’estime de soi. La reconstruction passe aussi par la possibilité de transformer son vécu en force, par l’écriture, le militantisme ou le soutien à d’autres femmes.
Sur le site Bien Être Autiste, le répertoire des adresses joue un rôle essentiel : il centralise en un seul espace des ressources fiables et variées à destination des personnes autistes, de leurs proches et des professionnels. Cet annuaire des spécialistes de l’autisme a pour objectif de faciliter l’accès à des informations pratiques souvent difficiles à trouver de manière dispersée.
On y retrouve par exemple les coordonnées d’associations locales ou nationales, de centres spécialisés, de professionnels de santé sensibilisés à l’autisme, mais aussi d’espaces culturels, sportifs ou de loisirs inclusifs. Chaque adresse est sélectionnée avec soin afin de répondre à des besoins concrets : accompagnement éducatif, suivi médical, soutien psychologique, aide administrative ou encore activités favorisant le bien-être et l’inclusion.
La fonction de cet annuaire est double. D’une part, il permet aux familles et aux personnes concernées de gagner du temps en ayant sous la main des contacts vérifiés et pertinents. D’autre part, il contribue à la mise en réseau des acteurs engagés dans l’accompagnement des personnes autistes, en valorisant les initiatives positives et accessibles.
Ainsi, le répertoire Bien Être Autiste n’est pas seulement une liste d’adresses : c’est un outil de mise en lien, d’entraide et de diffusion de bonnes pratiques au service d’une meilleure qualité de vie.
Conclusion
Les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes autistes constituent une réalité encore trop méconnue. L’incompréhension des implicites, les particularités sensorielles, les difficultés de communication et l’isolement social contribuent à accroître leur vulnérabilité. Mais en reconnaissant ces spécificités, en diffusant des ressources adaptées et en renforçant les réseaux de soutien, il est possible de réduire les risques et de mieux accompagner les victimes.
La lutte contre ces violences ne peut se faire sans écouter directement les premières concernées. Leur parole, longtemps invisibilisée, est aujourd’hui essentielle pour repenser les politiques publiques, la formation des professionnels et la solidarité collective.
Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com
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Comme pour Anne-Claude ci-dessus, j’ai vécu toutes sortes d’abus et de violences. C’est ce qui a mis la puce à l’oreille de la psychologue du CIDFF et m’a fait faire les tests diagnostiques. Positifs, les tests. “Sans surprise”, m’a dit la psychologue du CIDFF.
Moi aussi je me retrouve dans les témoignages d’autres femmes donc je pense que le mien est également important.
Ceci dit, je me rends compte que bien que plus attentive aux signaux non verbaux, je suis toujours en difficulté pour les comprendre.
Et j’ai réalisé la semaine dernière que ce que je faisais dans le but de paraître adaptée au monde dit normal, était en fait totalement inadapté et faisait fuir les gens ou les vexait (je ne comprends toujours pas comment un cadeau bienveillant peut vexer quelqu’un mais j’en subis les conséquences donc ça existe vraiment !)
Bonjour, merci pour cet article où je me retrouve à 100%.
Je suis une femme autiste ayant vécu des violences sexuelles. Depuis que j’en ai pris conscience il y a quelques années, je sensibilise comme je peux sur mon site, sur les réseaux sociaux, dans mes textes littéraires, lors de journées dédiées à l’autisme et autres. C’est energivore mais vital. C’est une façon de briser le silence, d’aider d’autres femmes invisibilisées. C’est grâce à des témoignages d’autres femmes autistes si j’ai pu avancer dans ma vie.