
Syndrome du nouvel autiste : « je coche toutes les cases »
- Julie BOUCHONVILLE

Nous connaissons ce proche autiste : son diagnostic est tout récent, voire en cours ou autoadministré, et sa légitimité paraît instable. Le proche, dans une tentative plus ou moins consciente de s’assurer qu’il est bien ce qu’il pense être — ou ce qu’un tiers lui a affirmé être — va alors s’emparer non seulement d’une liste de symptômes, mais aussi de traits, manies, références culturelles ou même goûts personnels, et se les approprier.
Examinons cet archétype.
Faire semblant d’être autiste ?
J’aimerais directement pousser cet écueil hors de notre chemin : les gens dont je parle ne font pas semblant. Ils sont réellement autistes, et s’ils sont autodiagnostiqués[1], cette autodétermination est posée de bonne foi et après des recherches approfondies. Il ne s’agit donc pas d’une démarche de pantomime réfléchie de l’autisme, ou d’une autoassimilation forcée à une étiquette choisie un peu au hasard.
Camouflage social en action
On pourrait comparer le processus à une forme de pression sociale : certains comportements ont permis à la personne de s’identifier à un groupe, ici celui des personnes ayant un TSA. Des années de camouflage social[2] ayant la vie dure, la personne est susceptible d’examiner ses pairs, tant dans un contexte de relations sociales que parasociales[3], et de promptement abandonner les traits qui ne leur correspondent pas, voire d’en adopter de nouveaux.
Cela implique à la fois une capacité à masquer et à observer son environnement — et les personnes le peuplant — qui est cohérente avec un diagnostic tardif, mais aussi la conviction, consciente ou non, qu’au moins dans une certaine mesure, la survie[4] passe par la conformité à une attente, à une norme, à un set de caractéristiques.
On voit que seuls certains profils seront influencés par cette tendance : justement ceux qui pourraient douter de leur légitimité en tant que personnes autistes et/ou qui ont une image d’eux-mêmes plutôt malléable.
Uniformité et jugement externe
Est-ce un problème ? Pas forcément ! Mais cela peut être une contrainte ou une source de pénibilité. Plus important, peut-être, que l’échelle individuelle : cela entretient le mythe de l’uniformité. Si même les personnes autistes essayent de maintenir cette dernière, comment peut-on espérer que le grand public finisse par comprendre que tous les autistes ne sont pas identiques ? Si l’on veut que les femmes, les personnes racisées, et au sens large, tous celles et ceux qui ne correspondent pas à la caricature des années 60 de notre neurotype aient accès à du soutien, de la reconnaissance et de l’aide, cela passe aussi par ne pas policer nos propres déviations de la norme[5].
Regard extérieur vs ressenti intérieur
Tenter de se fondre dans la masse amène aussi, hélas, une emphase sur l’apparence externe de l’autisme, sur le TSA tel que perçu par un tiers neurotypique. Mon lecteur s’en rappelle peut-être, l’un de mes chevaux de bataille préférés est la reconnaissance de l’autisme tel que perçu de l’intérieur, et donc une liste de critères et de manières de concevoir le neurotype qui résonnent avec l’expérience de la personne directement concernée.
Les changements qui peuvent être mis en place par une personne en quête de légitimité telle que décrite dans cet article vont parfois concerner des traits ou des perceptions strictement internes, là n’est pas la question, mais toujours pour le bénéfice de l’observateur extérieur, qu’il soit d’ailleurs réel et tangible, hypothétique ou internalisé.
De la même manière que Margaret Atwood parlait de l’expérience de la féminité — dans un contexte de relation d’oppression avec la masculinité — comme du fait pour les femmes d’être « [leur] propre voyeur », les minorités se définissent entre autres par leur rapport au fait d’être perçues, vues et ne pouvant échapper à la perception, au regard de la majorité dominante. Vouloir cocher toutes les cases de l’autisme, même chez soi, même en secret, c’est céder aux caprices du groupe dominant, c’est valider qu’il est là, qu’il regarde, et que son opinion compte.
Je laisse ici mon lecteur, le temps de digérer cette première partie, et le retrouve la semaine prochaine pour la suite et fin de cet article.
[1]J’ai conscience que l’autodiagnostic ne fasse pas consensus. Ma position personnelle, qui n’engage que moi, est que dans un contexte où le diagnostic est un privilège, blâmer celles et ceux qui doivent se débrouiller sans revient à se tromper de cible.
[2]Voir notre article sur le masking : https://bienetreautiste.com/blogs/infos/le-camouflage-social-partie-1
[3]Une relation parasociale, telle que définie par Donald Horton et Richard Wohl, est une relation à sens unique entretenue avec une personne fictive, célèbre ou un influenceur.
[4]Physique ou mentale.
[5]Déviations de la norme au sein d’une déviation de norme, rappelons-le.
Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com
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Bonjour,
Je ne sais pas si je correspond à cette catégorie de personnes, mais depuis mon diagnostic j’ai changé certains comportements.
Je ne saurais pas dire s’il s’agit d’avoir enlever des trucs que je manquais (en faisant plus souvent des trucs que je me retenais de faire), ou si j’en ai rajouté.
J’ai l’impression que certains actions me coûtent moins et que je vais donc moins m’énerver mais de ne plus trop savoir gérer mon anxiété depuis qu’on m’a globalement dit que j’en avais.