Autisme et intéroception : l’astuce ultime
- Julie BOUCHONVILLE
Les autistes sont plutôt mauvais, en général, lorsqu’il s’agit d’intéroception. Étant moi-même concernée, j’ai mis au point l’astuce ultime, la checklist finale, le raccourci de tous les raccourcis pour me faciliter la vie et, dans un article soutenu par une absence totale de sources, le propose à mon lecteur.
Qu’est-ce que l’intéroception ?
C’est la capacité à savoir ce qui se passe, au niveau physique, dans son corps. Cela implique d’être capable d’identifier d’éventuels besoins (avoir soif, être fatigué…), mais pas seulement : une bonne intéroception permet de reconnaître une gêne avant qu’elle ne devienne une douleur, par exemple, est dans une certaine mesure liée à la reconnaissance des émotions ou, du moins, de leurs manifestations physiques[1], permet de déterminer si une position est plaisante, d’aider à la régulation de la température, etc.
Les autistes et la mauvaise conscience du corps
Assez paradoxalement, les personnes autistes ont presque trop conscience de certains phénomènes dans leur corps — certains stimulus sensoriels, par exemple — et assez peu d’autres aspects. Les causes sont mal connues : un mélange de génétique et de comportemental semble être l’explication la plus probable. Si l’on peut apprendre à écouter ses signaux physiques, on peut aussi apprendre à les ignorer, et il est probable que de nombreuses personnes autistes passent par là en apprenant à vivre dans un monde sensoriellement chaotique.
Les conséquences d’une mauvaise intéroception
Il peut être tentant de séparer le corps de l’esprit, mais ce serait illusoire : nos états mentaux sont profondément influencés par ce qui se passe dans ces costumes de viande que nous appelons nos corps, aussi il est important de comprendre ce que ces derniers nous veulent quand ils se manifestent via des sensations. Bien sûr, l’exercice est ardu : un corps est continuellement en train de ressentir, et on ne peut pas passer tout son temps à examiner les flux d’informations[2]. Mais ne pas le faire du tout, ou pas assez, réduit notre bien-être et peut mener à de vrais problèmes de santé.
Améliorer son intéroception
À quoi ressemble une mauvaise perception des états internes ?
Ma spécialité personnelle est la suivante :
Je prévois d’accomplir la tâche X. Néanmoins, quelque chose me bloque un peu avant de m’y mettre. Je ne sais pas quoi au juste, et suppose que j’aimerais juste quelques minutes de répit, aussi je commence par un rapide scroll d’Instagram, qui me fait perdre 11 minutes. La sensation de blocage se poursuit.
Me sentant brillante, je déduis que j’aimerais faire quelque chose de plus nourrissant pour mon esprit, aussi je dessine pendant 10 à 15 minutes en écoutant un livre audio. Ce temps se transforme en une demi-heure sans que je sois consultée, et à ce stade je ne suis toujours pas décoincée. Un très bref et superficiel coup d’œil interne m’assure qu’il me manque toujours un élusif quelque chose pour démarrer ma tâche, comme une condition à remplir que j’aurais oubliée mais dont je me souviens qu’elle doit être remplie.
Je pars brosser le chat, dans une vague volonté de productivité, mais la sensation de décalage me poursuit. Cela fait désormais pas loin d’une heure que j’aimerais démarrer une tâche, sans succès ni sans comprendre ce qui ne va pas. Je pourrais lire quarante minutes en dissociant, ignorant ainsi le problème, ou me forcer à aller me promener, ce qui ne manque jamais de redémarrer mon train de pensées, mais à la perspective de devoir m’habiller pour sortir, prélude qui à ce stade me paraît être une infinité d’étapes empilées les unes sur les autres, je préfère encore la dissociation.
Je peux jouer à ce petit jeu pendant des journées entières, et l’ai déjà fait. Ou alors… je peux me saisir de la checklist.
Checklist intéroceptive
Face à un état un peu flou, un malaise mal défini, une sensation physique, émotionnelle ou psychique que quelque chose ne va pas, voici les questions que je me pose :
– Est-ce que j’ai bu de l’eau au cours des deux dernières heures ou à peu près 100 ml par heure de la journée écoulée ? Si non, je bois de l’eau.
– Est-ce que j’ai mangé un fruit ou un légume aujourd’hui ? Si non, je mange une pomme.
– Est-ce que j’ai mangé des protéines aujourd’hui ? Assez ? Si non, je bois un verre de lait de soja.
– Est-ce que j’ai froid ? Dans le doute, je teste de me draper dans une couverture.
– Est-ce que j’ai chaud ? Dans le doute, je teste de m’asseoir sur le carrelage.
– Est-ce que le silence m’oppresse ? Dans le doute, j’essaye d’écouter une musique.
– Est-ce que cette chanson me déplaît ? Dans le doute, j’essaye d’écouter autre chose.
– Est-ce que cela fait plus de 30 minutes que je suis assise ? Si oui, je fais quelques pas.
– Est-ce que mon estomac fait le truc bizarre de l’anxiété ? Si oui, je me demande ce qui me tracasse.
– Est-ce que je dois me rendre aux toilettes ? Si oui, j’y vais.
– Est-ce que j’ai des pensées cycliques ? Si oui, je les écris.
– Est-ce que j’ai bien dormi ces deux dernières nuits ? Si non, il se peut que j’aie besoin d’une sieste.
– Est-ce que mes épaules sont crispées à hauteur de mes oreilles ? Si oui, je les relâche et les étire.
– Est-ce que j’ai mal quelque part ? Si oui, j’investigue.
Est-ce presque simpliste ? Oui.
Mais est-ce que cela débloque les situations ? Aussi oui.
Dans l’écrasante majorité des cas, je renâcle à travailler, jardiner ou accomplir une tâche ménagère non pas à cause d’une mystérieuse force qui m’en empêche ou par paresse, mais simplement parce que j’ai froid, ou soif, ou une culpabilité née la veille de ne pas avoir répondu à tel email que je n’ai toujours pas reconnue comme telle et qui continue de me tracasser. Mais tant que je ne me suis pas posé la question, voire que je n’ai pas essayé d’appliquer la solution pour voir comment mon corps réagissait, je n’ai pas conscience de ce qui ne va pas au juste.
Peut-on améliorer son intéroception ?
Ma checklist se veut un raccourci : pas besoin d’une bonne intéroception naturelle, si l’on veut l’appeler ainsi, si l’on parcourt régulièrement la liste. Ceci étant dit, prendre l’habitude de regarder ce qui se passe dans le corps et comment des actions comme manger un fruit ou s’étirer peuvent modifier des sensations permet de créer des connexions et des habitudes et, à terme, d’améliorer l’intéroception.
Ma méthode n’a été testée que sur moi, aussi je ne peux pas promettre un quelconque impact sur le long terme, mais à titre personnel, je trouve cette astuce pratique et elle me permet de me sortir de pas mal de blocages. On peut améliorer son intéroception avec des exercices, et c’est une bonne idée, mais c’est un travail de plus longue haleine que mon humble liste.
[1]Les troubles de l’intéroception et l’alexithymie vont souvent de paire, comme le suggère cette étude : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC10136046/
[2]C’est d’ailleurs très difficile à faire : avoir parfaitement conscience de tout ce qui se passe dans un corps et autour de lui, sans être distrait par quoi que ce soit, est un exercice de méditation vertigineux.
Super article pour se mettre dans le peau d’une personne TSA.
J’ai la même technique… ai-je assez mangé, assez dormi, etc…
C’est très fastidieux, mais indispensable pour aller au bout de sa journée, au bout de sa semaine, sans exploser en vol ou se crasher lamentablement 🫠. Que d’énergie dépensée de façon insoupçonnable
Merci pour ces précisions.
Votre article éclaire totalement mon interrogation sur ce déficit. Faim, satiété, soif, besoins naturels, froid, chaud, douleur… je me disais bien qu’il y avait un truc qui clochait. Cela ne répondant pas à la proprioception, je comprends que cet aspect n’a pas encore été analysé en France. Merci.
Bonjour,
Votre article a capté mon attention.
Je retiens sa pertinence et une ouverture pour tous.
Merci.
Isabelle
Je trouve cet article très intéressant et dans l’explication, et dans les astuces. Merci!