Autisme, dopamine et probabilités Partie 2
- Julie BOUCHONVILLE
La semaine dernière, nous avons abordé la question de la dopamine, et plus précisément, de la pertinence qu’il y a à s’interroger sur le rapport qui pourrait exister entre les substances modifiant le fonctionnement de ce neurotransmetteur et le développement du cerveau autiste in utero. Si mon lecteur nous rejoint en cours de route, je lui suggère de lire mon dernier article afin de se rappeler ce qu’est la dopamine et comment elle fonctionne.
Enchaînons sur les éléments identifiés par l’étude.
Les gènes liés au fonctionnement de la dopamine et l’autisme
De nombreux gènes fournissent des instructions relatives au comportement de la dopamine : certains vont moduler sa synthèse, d’autres sa transformation en une autre substance[1], d’autres encore vont moduler le nombre de récepteurs qui y sont sensibles, son transport, etc. Chez les personnes autistes identifiées dans deux groupes utilisés comme point de référence[2], le fonctionnement de sept des neuf gènes examinés était altéré[3].
Tous les autistes ont-ils les mêmes variations génétiques ?
Non, et c’est la limite de cet aspect de la réflexion. Les échantillons sont minuscules, ce qui n’est que logique : ces bases de données qui séquencent des pans entiers du génome d’individus, si pas le génome au complet, sont massives et les constituer est très coûteux en ressources. Que plusieurs autistes en fassent partie est déjà bien, et permet d’identifier des pistes de recherche et des tendances, mais que sept gènes aient une mutation similaire chez 51 personnes n’est pas, d’un point de vue statistique, très significatif.
De plus, comme mon lecteur le sait, tous les autistes ne se ressemblent pas, et ce qui pourrait être vrai pour un sous-ensemble de la grande catégorie TSA ne le serait pas forcément pour d’autres. Même si 30 % des autistes étaient concernés par rigoureusement les mêmes facteurs génétiques, ce qui reste à prouver, ce serait absolument titanesque pour notre compréhension du trouble, et en même temps, cela ne concernerait même pas un autiste sur trois.
Perturbation du fonctionnement de la dopamine durant le développement
C’est le vif du sujet et l’élément le plus repris par la presse vulgarisatrice, peut-être parce qu’il est le plus concret : nous avons une personne enceinte exposée à une substance qui modifie le fonctionnement de la dopamine, par exemple le dompéridone ou la Ritaline[4]. Que se passe-t-il ?
Faire des tests sur les personnes enceintes n’étant pas défendable d’un point de vue éthique, l’équipe de l’étude s’est tournée vers un test sur Danio rerio, un poisson appelé poisson-zèbre pour ses motifs[5]. Après l’administration d’un antagoniste de l’un des récepteurs de la dopamine[6] a une dose non létale pendant le développement, l’équipe a pu faire les observations suivantes sur les larves[7] traitées par rapport aux larves contrôles :
– Elles manifestaient moins de comportements de locomotion
– Elles passaient plus de temps à se cacher, ce qui correspond à un comportement d’anxiété
– Elles semblaient moins sociables, c’est-à-dire qu’ayant le choix entre regarder un congénère et regarder une zone sans autre larve, elles préféraient cette seconde option
– Elles avaient moins de neurones matures au même âge
– Leurs cerveaux contenaient plus d’intégrines, des protéines qui, présentes en trop grande quantité, perturbent le développement cérébral
« La Ritaline rend autiste ! »
Eh bien… non. Il est important de garder en tête que la recherche scientifique avance, le plus souvent, à tout petits pas, et c’est le cas ici. Cette étude suggère qu’il y a un lien entre un certain fonctionnement de la dopamine, et le TSA. Mais ce lien est ténu, pour plusieurs raisons.
Les limites du modèle animal lorsqu’on étudie l’autisme
Mon lecteur se rappellera mon désamour profond pour la notion d’autisme chez l’animal. Les modèles animaux peuvent avoir leur utilité, mais lorsque l’on parle d’un trouble du développement comme l’autisme, je ne suis pas convaincue que ce soit le cas au-delà d’un niveau d’abstraction si massif qu’il obscurcit tout l’horizon.
On ne peut pas comprendre l’autisme sans parler à la personne autiste, et on ne peut pas parler à une larve de poisson. Concevoir le TSA comme une pathologie qui se caractérise via des observations externes de comportements dénués de tout contexte n’a qu’un intérêt très limité, or le modèle animal ne permet rien d’autre.
Les larves testées dans cette étude bougeaient moins et se cachaient plus, et leur cerveau se développait différemment. Tant mieux ou tant pis pour elles, mais si ces traits peuvent évoquer l’autisme, ce n’est pas un diagnostic pour autant, et rien ne garantit, en outre, que des humains auraient réagi de la même manière au même traitement[8].
Les limites des paramètres expérimentaux
La substance à laquelle les larves étaient exposées, un antagoniste de l’un des récepteurs de la dopamine, est utilisée pour ce genre de tests, son effet étant bien maîtrisé et aisément identifiable. Cela en fait une substance utile pour une approche globale, mais il reste pertinent de noter que les humains ne sont pas exposés à cette substance : elle ne sert que dans des contextes expérimentaux et n’a, à ma connaissance, jamais été utilisée que dans des modèles animaux. Cela ne veut pas dire qu’un autre antagoniste de la dopamine n’aurait pas les mêmes effets, c’est très possible ; mais il est tout aussi possible qu’une molécule différente, à laquelle les humains sont susceptibles d’être exposés, agirait différemment.
La semaine prochaine, nous examinerons les autres limites de cette étude, ainsi que la question plus étendue des prescriptions qui peuvent être faites sur cette base.
[1]La dopamine est, en effet, le précurseur de l’adrénaline.
[2]Des groupes hélas assez restreints, l’un contenait 16 personnes autistes et 16 contrôles, et le second, 47 autistes et 57 contrôles. Ces deux groupes sont le sous-groupe GSE28521 de la base de données Gene Expression Omnibus ainsi que le set de données de Arkinglab.
[3]Certains étaient plus actifs, d’autres moins.
[4]Méthylphénidate.
[5]J’ignore pourquoi au juste l’équipe n’a pas exploité une base de données qui indiquerait les expositions avec des substances diverses des parents de personnes autistes. Peut-être aucune ne contenait les données exactes qu’elle cherchait, peut-être les variables n’étaient-elles pas correctement isolées ? Expérimenter soi-même permet généralement d’obtenir des données plus propre, si cela est fait correctement, mais l’inconvénient majeur est qu’on se retrouve avec des résultats qui semblent cohérents pour des poissons.
[6]Une substance utilisée pour ce genre de tests appelée SCH23390 https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC6741643/
[7]Une larve étant, dans ce contexte, un bébé poisson.
[8]Les poissons-zèbres ne sont pas choisis au hasard : le développement de leur cerveau se prête plutôt bien à des expériences de ce genre parce qu’assez comparable avec celui des humains, et ils sont aussi sociaux que les humains, et bien sûr il serait totalement inacceptable d’expérimenter de la sorte sur des humains, mais le fait que ce soit l’une des options d’expérimentation « les moins pires » ne veut pas dire que le résultat en devient plus exploitable pour autant.