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Le camouflage social - Partie 2

- Julie BOUCHONVILLE

Le camouflage social - Partie 2

Aujourd’hui, nous attaquons les conséquences du masking sur la santé mentale et envisageons des pistes pour en sortir.

Les conséquences du camouflage social sur la santé mentale de la personne autiste

Si mon lecteur est neurotypique, voici un défi pour lui : demain, pendant une demi-journée complète, qu’il n’ait aucune réaction spontanée. Qu’aucun mot ne passe ses lèvres sans qu’il y ait réfléchi, pour de bon et de manière consciente. Aucun geste en public sans y avoir réfléchi : est-ce la bonne manière d’enfiler une veste ? Est-ce comme ça que la plupart des gens regardent l’heure sur leur montre ? Même les gestes involontaires devraient y passer : posture, expressions faciales, réactions à la conversation. On ne sait jamais.

Ça paraît abominable ? Bienvenue à Camouflage-Social-land, où tous les jours sont épuisants.

Je noircis un peu le tableau : avec l’usage, les autistes qui utilisent le masking savent quel degré de contrôle exercer selon la situation et ne sont pas obligés d’être hyper-vigilants en permanence. D’un autre côté, à force de pratiquer, de nombreuses personnes oublient comment arrêter et peuvent finir par se sentir en complet décalage avec leur « vraie » personnalité, parfois au point de la remettre en doute.

Se tenir à l’œil est épuisant, de même qu’avoir des comportements allant à l’encontre de son fonctionnement normal. Une personne autiste qui ferait semblant jour après jour d’être enjouée et d’adorer les contacts visuels va finir par s’effondrer tôt ou tard, terrassée par l’effort. C’est ce que l’on appelle le burn-out autistique : un état qui s’apparente à l’épuisement professionnel à cette différence près qu’il ne concerne pas que le milieu professionnel. La personne en burn-out autistique ressent le même genre de symptômes qu’une personne souffrant d’un syndrome d’épuisement professionnel mais à l’encontre de tous les aspects de sa vie et pas seulement du pan professionnel. Elle est épuisée, manque de motivation, se sent déprimée et désintéressée. En plus de ces classiques, elle ressent également une perte de capacités parfois perçue comme une régression : difficultés à s’exprimer oralement, diminution des fonctions exécutives telles que commencer des tâches ou passer aisément d’une tâche à l’autre, troubles de la mémorisation, anxiété accrue, …

On retrouvera aussi une plus grande difficulté à supporter les stimulus sensoriels et, si l’on recule un peu pour prendre la mesure de tout ceci, on se rendra compte qu’essentiellement la personne aura perdu sa capacité à faire semblant d’être neurotypique. Son autisme sera plus voyant, quoi que cela signifie pour chaque personne donnée. En un mot comme en cent, son camouflage social sera hors service.

 

Le camouflage social est particulièrement cruel pour celui qui le pratique souvent : au moins une partie des stratégies sont inconscientes et involontaires, apprises dès l’enfance. Même celles qui sont volontaires ne le sont que de manière superficielle : quand une personne a appris qu’elle ne pourra pas s’intégrer sans faire semblant, qu’elle risque un ostracisme social si elle se comporte de manière spontanée, la spontanéité cesse d’être une option viable.

Pourtant l’avantage acquis de cette manière pâlit au regard des risques. Anxiété, dépression, burn-out, mais aussi diagnostic tardif. Nombreux sont les autistes à avoir développé assez de stratégies pour passer sous le radar des professionnels et de leur propre famille mais aussi sous leur radar personnel. Ceci est dû partiellement à une mauvaise information du grand public : quand la seule image que l’on a de l’autisme est un petit garçon blanc non-verbal qui se balance dans le coin d’une pièce, il est très facile de passer à côté de ses propres symptômes.

La conséquence de cette absence de diagnostic, qu’il soit auto-déterminé ou posé par une personne externe, est que de nombreuses personnes autistes sont soit mal diagnostiquées soit se considèrent juste comme « bizarres ». Le mauvais diagnostic est redoutable et très répandu : certains autistes, surtout des femmes, peuvent collectionner jusqu’à huit ou dix diagnostics divers (comme la bipolarité ou la personnalité limite pour n’en citer que deux) avant que quiconque ne considère l’autisme.

Se considérer comme bizarre n’est pas beaucoup mieux : lorsqu’on sent bien qu’on est différent et que quelque chose ne va pas, si aucun nom ne peut jamais être placé sur le problème, alors c’est qu’il n’y a pas de problème. Alors c’est que le problème est « juste dans la tête » de la personne qui « s’imagine des choses ». La personne concernée peut en venir à se dire qu’il est normal d’avoir du mal à organiser une journée de travail et qu’elle doit juste faire un effort. Qu’il est normal de détester certains sons, certaines lumières, certaines textures, et qu’elle devrait juste être moins sensible. Qu’il est normal de pleurer d’épuisement tous les soirs et qu’à la longue elle s’habituera.

Dans les deux cas, mauvais diagnostic ou absence complète, c’est la porte ouverte à une foule d’autres problèmes. Lorsqu’on se sent mal au quotidien on peut être tenté par l’auto-médication via l’alcool ou certaines drogues – qui n’aident bien sûr pas un cerveau déjà sous pression. Lorsqu’on a constamment du mal à faire ce qui paraît aisé pour les autres, on développe une mauvaise estime de soi qui peut mener à des relations malsaines voire abusives ou des comportements auto-destructeurs. Lorsqu’on se confronte sans méthode à des situations et des stimulus effrayants on peut générer ou renforcer un traumatisme qu’il faudra des années pour résoudre.

Et tout cela sans mentionner le simple fait que sans le diagnostic approprié, l’on n’a pas accès à toutes les stratégies qui existent pour faciliter la vie des personnes autistes.

 

Les pistes pour sortir du camouflage social

La première étape est de réaliser qu’il y a un problème ou, plus précisément, qu’il n’y en a pas : l’autisme n’est pas plus un problème qu’être gaucher. Certes, le monde est mal adapté, mais c’est bien là que le souci se trouve, pas dans le cerveau de celui qui diffère de la norme. Cela implique une sérieuse remise en question et un diagnostic, même auto-délivré. Cela peut être difficile pour certaines personnes : « autisme » reste un mot tabou pour beaucoup. Admettre que l’on a ce qui est encore souvent perçu comme une maladie mentale c’est aussi, quelque part, renoncer à jamais atteindre un objectif idéal où l’on serait « parfaitement normal ». C’est aussi accepter que l’on s’est mis le doigt dans l’œil, peut-être pendant des années voire des décennies. Rien de tout cela n’est aisé, et quiconque se lancerait sur ce parcours a ma compassion absolue.

 

La deuxième étape est un soupçon plus complexe encore : la personne s’engageant sur cette voie devra analyser quelques années de données pour réaliser quels aspects d’elle-même sont authentiques, même s’ils n’ont jamais été exprimés, et quels aspects sont manufacturés, même s’ils sont présents depuis son plus jeune âge. Cela ne se fera pas en un jour. Cela ne se fera probablement même pas en six mois.

Et ensuite ? Eh bien, ensuite, c’est à chacun de décider quelle quantité de compromis avec lui-même il est prêt à faire. Certains autistes arrêtent toute forme de masking, partant du principe qu’il est parfois plus simple parce que plus radical de ne pas utiliser de camouflage du tout plutôt que d’en utiliser juste un peu. Il est vrai que la modération pose son propre lot de problèmes, surtout vis-à-vis d’un phénomène qui à ce stade tient presque du réflexe.

A quoi est-ce que cela peut ressembler ? On n’est pas obligé de tomber dans la caricature même lorsqu’on n’utilise pas de camouflage. Cela peut être avoir des comportements stéréotypés (stims) même en public, quitte à prévenir son entourage s’ils ne sont pas habitués : « je vais agiter les mains un petit moment, ça m’aide à réfléchir ». Cela peut être de prendre les mesures nécessaires pour réduire les stimulus sensoriels : porter des lunettes de soleil ou un casque anti-bruit, refuser poliment de se rendre dans des endroits dont on sait qu’ils sont trop stimulants, choisir ses vêtements en fonction de leur confort plutôt que de leur apparence.

Cela peut-être aussi faire preuve de plus d’honnêteté, quitte à devoir passer un peu de temps à expliquer : les neurotypiques ne sont pas contre une personnalité un peu « cash », si on leur explique les motivations derrière cette franchise et qu’ils voient qu’elle s’applique tant au positif qu’au négatif[1]. C’est plus difficile pour les femmes et les personnes perçues comme telles, de qui on attend douceur et diplomatie, mais pas inatteignable. Là encore, on peut doser : être un peu plus franc permet de relâcher un peu de pression sans pour autant supprimer toute forme de filtre entre les pensées et les paroles.

C’est surtout, de manière générale, avoir conscience de ses besoins et les honorer. Peut-être qu’une personne autiste a besoin de plus dormir que ses collègues ou ses frères et sœurs. Ou moins. Peut-être qu’elle a besoin de plus de temps dédié à la méditation, à la marche, au dessin ou aux jeux vidéo.  Peut-être qu’elle a simplement besoin de travailler moins, ou avec d’autres horaires, ou en prenant des congés plus souvent. Tout ceci est valide, normal, et acceptable. Nous sommes autistes. Nous ne pouvons pas nous comparer aux neurotypiques et attendre de nous ce qu’ils attendent d’eux. Dans certains domaines nous serons incroyablement plus performants. Dans d’autres, incroyablement moins. Ça n’a aucune importance : nous ne sommes pas en vie pour gagner une sorte de concours.

 

Ce n’est pas incompatible avec une certaine dose de camouflage social, ceci dit. Si mon lecteur pense être capable de doser les quantités qu’il emploie, grand bien lui fasse, je ne veux pas du tout donner l’impression qu’il est condamnable d’utiliser le masking ! Peut-être est-il possible pour une personne dans ce cas d’utiliser le masking uniquement en présence de certains de ses collègues mais pas tous, ou uniquement pendant les grandes réunions de famille mais pas en plus petit comité, etc. Faire une liste peut s’avérer utile, avec les différentes catégories d’interactions que l’on a (les collègues, la famille, la belle-famille, les amis proches, les connaissances, les commerçants qu’on voit peu souvent, les commerçants dont on est plus proche, les médecins, les voisins, …) et le niveau de masking qu’on est prêt à déployer pour chacune de ces catégories.

Une fois de plus, il n’y a pas de solution miraculeuse mais surtout, il n’y a pas de mauvaise solution. La seule option à rejeter en bloc est celle qui fait qu’on se retrouvera en train de pleurer et incapable de parler trois semaines plus tard, assis par terre à quatre heures du matin. N’importe quel autre choix, tant qu’il est viable, est le bon choix. Et le changement ne doit pas se faire du jour au lendemain : on peut commencer par de très petits pas. Ne pas utiliser de camouflage quand on est tout seul. Pratiquer une activité régulatrice pendant juste dix minutes tous les jours. Ou même cinq. Demander de l’aide pour une tâche mineure. Tout est possible.

 

Restons positifs : si on s’y met tous, les neurotypiques finiront par cesser de trouver tout cela bizarre et seront bien obligés de passer à autre chose.

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[1]De nombreux neurotypiques aiment se présenter comme francs et directs mais ne le sont jamais que pour proférer des remarques désagréables, et je soupçonne que c’est à cause d’eux que de nombreuses personnes considèrent que les personnes franches sont déplaisantes. La personne autiste franche et directe sera aussi prompte à décréter qu’une solution est inefficace qu’à complimenter un travail bien fait.


1 commentaire
  • Merci pour cet article, précis et bien écrit, de mon côté je vais pouvoir conseiller à des amis neurotypiques de lire aussi en plus d’avoir vu ma conférence dédié à l’autisme (sans déficience intellectuelle).

    Maëlys le

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