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Suivre les règles

- Julie BOUCHONVILLE

Suivre les règles

Non, il ne s’agit pas d’un nouvel article sur les menstruations, je pense que le tour avait été fait la dernière fois. Dans celui-ci, j’invite mon lecteur à s’interroger sur le rapport que les personnes autistes entretiennent avec les règles, les lois et les règlements.

 

Pro- ou anti-règles ?

La question semble paradoxale. D’une part, les autistes sont souvent très doués pour ignorer les normes sociales, qu’il s’agisse d’inconscience (« Ah, on est censé faire ça ? »), d’incapacité (« Je ne sais pas dire ça plus subtilement ») ou de volonté de s’en affranchir (« Je sais que j’aurais dû réagir autrement, mais on ne va pas se mentir, c’est ridicule de faire ça »). On penserait que cela s’appliquerait aussi aux règlements, au code de la route, aux protocoles, etc, qui ne sont au fond que des normes sociales qui ont pris du galon. D’autre part, on connaît tous au moins une personne autiste qui a déjà passé dix minutes à observer une règle pourtant inapplicable dans sa situation, réfléchissant à comment l’implémenter.

Comme nous allons voir, les deux ne sont pas inconciliables, loin de là.

 

Comprendre une règle

Avant même de décider si on va suivre une règle ou pas, il faut d’abord avoir conscience qu’elle existe. Or, chers non-autistes, vous serez peut-être surpris d’apprendre que vous insistez pour qu’on suive tout un tas de règles tacites. Et le tacite, ce n’est pas notre point fort. Quelques exemples ? Quand quelqu’un vous dit « Bonjour, ça va ? », il ne faut pas lui répondre pour de vrai, parce qu’il n’est pas réellement en train de poser la question. Il est tout aussi interdit de répondre sincèrement à la question « Mon bébé est beau, pas vrai ? »[1].

Dans certains contextes, il est obligatoire de payer des tournées ou d’accepter de partager des additions même si on a consommé moins que les autres. À la piscine, on est censé nager dans le couloir des gens qui ont à peu près la même vitesse que nous. Quand on utilise des toilettes publiques dotées d’urinoir, le contact visuel pendant qu’on urine est interdit[2]. Les personnes perçues comme des femmes devraient se raser les jambes quand elles portent des jupes. Il ne faut pas aborder d’inconnus dans la rue en espérant s’en faire des amis. Ce n’est acceptable que dans les bars, et uniquement si on veut coucher avec[3]. Quand on a un rhume, c’est dégueu de renifler plutôt que de se moucher – sauf dans les pays ou c’est dégueu de se moucher en public et où il vaut mieux renifler.

Mon lecteur connaît sans doute ces règles, mais combien lui ont été expliquées ? Pour les personnes autistes, apprendre simplement en observant les autres et en faisant une méta-analyse mentale de tous les comportements observés relatifs à un sujet donné peut être très compliqué. Les règles tacites, souvent relatives à l’étiquette mais pas exclusivement, ont donc une certaine probabilité d’être ignorées. Quelles règles respectons-nous volontiers, alors ?

 

Les règles cohérentes et rassurantes

Beaucoup d’autistes sont assez anxieux de nature, qu’il s’agisse d’une sorte de tendance générale ou d’un trouble anxieux avéré. Et un gros facteur d’anxiété, c’est l’incertitude. Or, les règles ont tendance à faire diminuer l’incertitude. Par exemple, comment savoir quand ce sera mon tour de commander à la boulangerie ? Eh bien je ferai la queue à la suite des clients arrivés avant moi, et quand la personne me précédant aura été servie, ce sera à moi de demander mes baguettes[4]. En nous expliquant ce que nous sommes censés faire et en suggérant au moins la manière dont les autres se comporteront, les règles créent un cadre rassurant.

De plus, les autistes ont tendance à sur-évaluer les conséquences de leurs actions[5]. Lorsqu’une règle est pertinente, nous réalisons pleinement les effets désastreux que pourrait avoir notre comportement si nous ne la respections pas.

Il serait faux néanmoins de dire qu’il n’existe pas une certaine satisfaction à suivre les règles par principe : que ce soit parce qu’elles créent une forme de justice ou en tout cas d’égalité, parce qu’en tant qu’ex-enfants difficiles ou traumatisés par divers facteurs, nous avons associé l’obéissance à des retours positifs, ou parce qu’il est plus simple de suivre une règle aveuglément que de se demander si la situation est appropriée pour la violer sans conséquence.

 

Jouer le jeu

La théorie des jeux nous apprend que pour qu’un système avec des contrats sociaux tienne la route, il faut une majorité de gens honnêtes. Le système peut tolérer une quantité de personnes malhonnêtes, qui refusent de jouer le jeu et de respecter les règles, mais au-delà d’une certaine proportion, tout se casse la figure. Peut-être parce que tout le monde a une vague notion intuitive de ce principe, personne n’aime les tricheurs.

C’est aussi le cas des autistes, qui ont en plus un sens aigu de l’injustice, mais je soupçonne que leur détestation des tricheurs vient au moins en partie d’à quel point cela perturbe ce à quoi ils s’attendaient. Les routines des autistes ont plus ou moins valeur de règle à nos yeux, et les règles font partie de nos routines. Ces dernières nous permettent de libérer de la bande passante : si une action ou une séquence d’actions se déroule toujours de la même manière, alors il n’est pas nécessaire de beaucoup y réfléchir.

Quand quelqu’un déroge à une règle, c’est une injustice dont nous percevons toutes les ramifications (même celles qui sont sans doute exagérées), un danger pour le contrat social dans son ensemble, et en plus, ce n’est pas comme ça que ça devrait se passer.

Tout ceci peut expliquer que, parfois, une personne autiste peut imploser à cause d’une infraction.

 

Quand les règles deviennent envahissantes

Même si obéir aux règlements est, dans l’ensemble, plutôt pas mal, une incapacité à leur désobéir peut parfois poser problème. Qu’il s’agisse de faire remarquer à un collègue que ses pauses cafés durent toujours trop longtemps ou d’être bloqué à cause de deux règles conflictuelles qu’on ne parvient pas à hiérarchiser, par exemple, il arrive que cette tendance nous desserve. Que faire, dès lors ?

S’il est sans doute à peu près impossible de transformer une personne très attachée aux règles en personne n’en ayant rien à faire, je pense qu’on peut en revanche travailler sur les notions de contexte et de hiérarchie. Prenons un exemple de contexte : une personne piétonne ne veut pas traverser au feu rouge alors même qu’il n’y a aucune voiture (comme la nuit).

On peut la pousser à s’interroger[6] sur l’origine de la règle : pourquoi est-il interdit de traverser au feu rouge ? Parce que c’est le tour des voitures de circuler, et qu’elles représentent un danger pour les piétons.

Est-ce toujours pertinent lorsqu’il n’y a pas de voiture ? On peut répondre qu’une voiture peut survenir sans qu’on s’y attende. C’est vrai, mais impossible dans un terrain suffisamment dégagé. Comment est construit ce carrefour en particulier, peut-on voir ce qui arrive ? Si oui, et qu’il n’y a pas de voiture, alors le feu ne sert, à cet instant, à rien.

Bien sûr cet exemple a ses limites, avec en premier le fait que personne ne ressent de conséquences négatives lorsqu’il patiente pour rien à un feu, mais c’est le principe de contextualiser qui compte.

 

La hiérarchisation est une forme de mise en contexte elle aussi. Imaginons la situation suivante : une femme doit emmener un petit garçon aux toilettes. Comme beaucoup de toilettes publiques sont genrées, elle doit faire un choix : toilettes des dames, celles qui sont appropriées pour elle, ou toilettes des hommes, qui sont appropriées pour l’enfant ?

Nous avons ici un conflit de règles. Chacun est censé utiliser les toilettes appropriées pour éviter de mettre les autres utilisateurs mal à l’aise, mais aussi, les gens ne sont pas censés abandonner les jeunes enfants dans des lieux publics.

En établissant une hiérarchie de ces règles, on se rend compte qu’il est plus important de préserver la santé physique et émotionnelle d’un jeune enfant en restant avec lui plutôt que de le laisser se débrouiller seul. A partir de là, l’adulte peut sélectionner les toilettes qui lui semblent les plus pertinentes, souvent celles qui permettent de s’asseoir pour que ce soit plus simple pour l’enfant, en sachant que le plus important reste le bien-être de ce dernier.

 

Comme on le voit, dans les deux cas le processus implique de réfléchir au « pourquoi » de la règle, et de voir si nous sommes bien dans une situation où il s’applique. Si ce n’est pas le cas, on peut récupérer un peu de marge de manœuvre.

 

Conclusion

Même si ça ne fait pas toujours de nous les personnes les plus cool, il n’y a aucun mal à aimer suivre les règles et à se sentir mal à l’aise lorsqu’on les enfreint. Si plus de gens faisaient comme nous, le monde serait un endroit bien moins chaotique et, j’ose le dire, plus sympa. Parfois, en revanche, notre tendance naturelle à les suivre peut nous nuire, comme lorsque nous nous retrouvons bloqués ou en conflit avec notre entourage. Dans ce cas, il peut être utile d’essayer de négocier avec nous-mêmes en réfléchissant au pourquoi d’un règlement, et si son infraction va réellement faire du mal à qui que ce soit.

 

J’encourage mon lecteur à partager avec nous ses astuces pour se sortir des impasses !

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[1]Soyons honnêtes, si on était sincères, on répondrait presque tous « bof, c’est un bébé, quoi ».

[2]Ca va, celle-là on la gère à peu près.

[3]Ce qui amène la question : où est-ce qu’on aborde des inconnus pour s’en faire des amis ?

[4]J’aurai répété ma commande trente-quatre fois dans ma tête et au moment où je la vocaliserai enfin, je parviendrai à me tromper.

[5]Un point déjà abordé dans l’article du 5 janvier 2021 « Autisme et moralité », et comme je l’avais mentionné à l’époque, je suis partisane de la théorie qui veut que ce sont en fait les non-autistes qui sous-estiment les conséquences de leurs actions.

[6]Ou mon lecteur peut s’interroger tout seul s’il est directement concerné.


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