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Autisme, dopamine et probabilités : partie 3

- Julie BOUCHONVILLE

Autisme, dopamine et probabilités : partie 3

Lors de mes deux derniers articles (partie 1 ; partie 2), j’ai évoqué une étude[1] dont les résultats suggèrent que l’exposition, durant le développement, à des substances impactant le fonctionnement de la dopamine peut mener à des symptômes évoquant l’autisme. Cette semaine, nous abordons la légitimité de ces recherches.

 

Limites des modèles expérimentaux

Je l’ai détaillé la semaine dernière, le modèle expérimental qui consiste à tester, sur des poissons ou d’autres animaux, les résultats de la mutation d’un gène, de l’exposition à une substance ou d’une autre intervention significative pour voir si une partie de l’effectif testé finit par avoir l’air autiste, ce modèle est assez limité.

D’abord parce qu’un animal ne peut pas nous raconter son expérience et que se baser sur des observations externes pour parler d’autisme, c’est introduire le validisme dès la racine du processus, ensuite parce que le TSA est multifactoriel et que deux individus autistes peuvent donc ne pas l’être pour « les mêmes raisons », et troisièmement parce que chaque espèce a ses caractéristiques propres et que ce qui impacte l’une n’impactera pas toujours l’autre à l’identique.

Mais surtout, je pense que ces modèles expérimentaux rencontrent une limite qui n’est que peu discutée, alors qu’elle est la plus significative de toutes : leur légitimité.

Pour le dire franchement, tout le monde s’en tape.

 

Prescription en matière de prévention de l’autisme

Déjà, il est délicat de parler de prévention de l’autisme, et pour ainsi dire personne ne communique en ces termes. Pourtant on pourrait arguer que certaines recherches vont en ce sens : l’étude que je dissèque pour cette série d’articles, par exemple, se penchant sur l’impact de l’exposition à des substances, peut être vue comme telle, que ce soit ou non le but premier de l’équipe qui l’a menée à bien. Peu importe : sur base d’une étude de ce genre, il serait impossible d’émettre une prescription, parce que le niveau de preuve n’est pas suffisant.

Pour encourager les gens à éviter un comportement, par exemple la prise d’un médicament, il faudrait que le risque encouru soit avéré, et plus grand que le bénéfice apporté ; nous sommes à l’heure actuelle si loin d’un tel niveau de certitude vis-à-vis de l’autisme que cela paraît difficilement imaginable[2]. Cela paraît d’autant plus lointain que, lorsque des personnes enceintes s’exposent à des substances impactant la manière dont la dopamine se comporte dans leur corps, c’est pour une bonne raison.

 

Autisme : la culpabilité des mères

J’aime particulièrement peu les recherches qui peuvent aboutir à des prescriptions pour prévenir l’autisme parce que je sais que, souvent, la culpabilité finit par retomber sur les mères. Les premiers chercheurs ont blâmé le style éducatif maternel, trop étouffant ou trop froid, et si leurs successeurs ne blâment pas explicitement les substances auxquelles les mères s’exposent, tant qu’on ne parle pas d’un accident industriel qui affecterait une aire géographique, on est quand même en train de viser ce que ces mères choisissent d’ingérer.

Que ce soit l’objectif des équipes menant les études ou non, là n’est pas la question. Une étude comme celle que nous examinons finit tôt ou tard par être traduite en « si vous prenez votre Ritaline alors que vous êtes enceinte, vous rendez votre futur enfant autiste[3] », et c’est prévisible depuis le début.

Comme mon lecteur le sait, il est très peu productif de blâmer quiconque pour le TSA d’un tiers, ou même le sien propre. Cela n’aide personne, et perpétue l’idée que l’autisme serait une tare ou une maladie.

 

Autisme : compréhension vs prise en charge

Avec ce sous-titre volontairement simpliste, je gomme bien sûr la possibilité qu’une meilleure compréhension mène à une meilleure prise en charge. Dans une certaine mesure, une sorte de taux de conversion, de l’une vers l’autre, existe.

Ceci étant dit, l’état de la prise en charge en France est si rudimentaire qu’on est en droit de se poser la question : si un euro existe et peut être investi dans l’autisme, où sera-t-il le plus utile ? À l’heure actuelle, c’est indubitablement la prise en charge. Oui, elle pourrait bénéficier des avancées de la recherche, mais il y a déjà tant à faire avec ce que nous savons déjà et que nous ne mettons pas en application, que ce genre de recherches aux résultats si peu tangibles laisse rêveur.

C’est bien sûr créer une dichotomie là où il n’y en a pas réellement, tous les chercheurs du monde n’étant pas financés par la même bourse, mais il reste que les recherches des causes de l’autisme ne sont pas, en elles-mêmes, un domaine très susceptible d’améliorer les conditions de vie des personnes autistes.

Et s’il s’agit de prévention détournée, eh bien. Ce n’est pas beaucoup mieux.

 

Conclusion

Cette longue série pour dire quoi, en fin de compte ?

Que cette étude existe, et qu’elle suggère un lien, à explorer beaucoup plus en profondeur pour en tirer quoi que ce soit de concret.

Que certains médias ont pu conclure que l’autisme était la faute des personnes qui s’exposent à des substances agissant sur le comportement de la dopamine, et que lesdits médias mettent la charrue bien, bien avant les bœufs.

Et surtout, que j’invite mon lecteur à prendre ce genre de recherches avec non pas un grain, mais une pincée de sel : elles ne sont pas réalisées en ayant pour objectif une quelconque application pratique, mais pour faire avancer la connaissance. Un but très défendable en soi, mais qui ne devrait pas être confondu avec le domaine plus tangible du quotidien.

 

[1]https://ajp.amjpathol.org/article/S0002-9440(24)00086-5/fulltext#%20

[2]À moins d’un cas de suspicions de troubles du développement divers et variés, dont l’autisme.

[3]« Alors, ne venez pas vous plaindre parce qu’on vous aura prévenue » étant, bien sûr, le sous-titre.


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