La différenciation entre Soi et l’Autre
- MARIADNE GUINARD
Se différencier de l’autre est une façon de pouvoir se préserver et penser à soi, même en présence de l’autre. Cette faculté permet de se concentrer sur une tâche, de ne pas répondre à toutes les demandes d’autrui, mais également de savoir distinguer ce qui relève de ses propres besoins. Dans cet article, nous proposons d’explorer dans quelles conditions la personne autiste parvient à se différencier de l’autre et pourquoi cette question mérite d’être abordée.
Le rapport de la personne autiste à autrui
La personne autiste peut facilement ressentir les états de tension, les dissensions et avoir des difficultés à ne pas les absorber. Ce qui peut être difficile, c'est de ne pas pouvoir résoudre les problèmes et d’être confronté à des jugements, des discriminations, des désaccords qui mènent à des impasses.
De nombreuses personnes aiment plaisanter et se chamailler, mais ces plaisanteries incessantes et les rapports de force sont très inconfortables pour une personne autiste qui préfère les communications plus fluides, plus apaisées, les conversations intellectuelles ou portant sur un sujet qui l’intéresse.
Souvent, la personne autiste va se forcer à faire des choses pour l’autre, car elle souhaite bien faire, mais cela va lui prendre beaucoup d’énergie et elle va petit à petit s’oublier. Les personnes de l’entourage ne comprennent pas quand quelqu’un refuse de faire une activité ou de se joindre à elles et qu’elle peut avoir besoin de se reposer, car cela fait partie de la relation de faire des choses ensemble ou pour l’autre.
Les petites boutades, les blagues anodines qui peuvent manifester de l’affection ou de la sympathie sont perçues comme des agressions, des sources d’incompréhension pour la personne autiste qui doit constamment s'adapter et ajuster son fonctionnement dans ces moments-là.
Ce n’est pas un manque d’effort, le TSA engendre une fatigue sociale et le besoin d’être seul est crucial pour permettre de recharger les batteries avant que l’épuisement ne devienne trop intense.
Le téléphone est une source de fatigue, prendre un rendez-vous et s’y rendre, un ami qui nous appelle et à qui il est difficile de dire qu’on a besoin de tranquillité, même si nous nous intéressons à lui, est éprouvant. La personne le fait en allant souvent au-delà de ses limites et de ses besoins. La tranquillité, du point de vue autistique, est le fait de se retrouver vraiment seul, sans aucune sollicitation, en pouvant se reposer et s’adonner librement à ses propres centres d’intérêt sans avoir le moindre regard extérieur posé sur soi.
Socialement, ce besoin d’isolement n’est pas toujours bien compris, il peut être perçu comme de la mauvaise humeur, de l’hostilité, du désintérêt, alors qu’il s’agit d’une fatigue réelle et d’un besoin d’intimité accru en termes de durée et de conditions. Par exemple, la personne autiste pourra jouer de la musique ou chanter, si elle est vraiment certaine que personne ne pourra l’entendre ou venir frapper à sa porte. Là où d'autres personnes peuvent se reposer ou avoir une activité plaisante sans être dérangées par le fait d’être entendues ou potentiellement interrompues.
Rencontrer des personnes implique de parler de soi, d’expliquer des choses, et donc de partager son intimité sans pour autant pouvoir se préserver des remarques et des jugements d’autrui.
La personne autiste a tendance à être excessive, à trop s’impliquer, à trop en faire dans une relation. Cependant, après quelques jours, elle peut perdre ses repères, son sentiment d’identité propre et avoir du mal à y revenir sans se distancer totalement de l’autre.
Il n’est pas facile d’exprimer le besoin de ne pas être constamment en contact avec quelqu’un ou que certains sujets peuvent être exclus des conversations. Pour la personne autiste, il n'est pas évident d’exprimer son rythme et ses sentiments sans craindre de blesser l’autre. Dans une relation amoureuse, il est complexe de conserver son indépendance tout en maintenant la complicité.
L’enjeu est de passer des moments de qualité avec ceux qu'on apprécie, sans empiéter sur son espace personnel, et de savoir comment repérer les signes d’une relation qui devient trop envahissante pour une personne autiste.
Les difficultés pour se préserver
Le besoin de solitude de la personne autiste peut être lié à cet effort pour maintenir l’autre à distance et ne pas trop absorber ses états et ses problèmes. L’effort à faire en société pour la personne autiste est de ne pas réagir à toutes les injustices, les incohérences, d’encaisser les jugements et de voir des atrocités, comme tout un chacun, mais avec une intensité particulière et une difficulté exacerbée pour mettre à distance ce qui est violent, inconfortable ou totalement dénué de sens.
En aucun cas, la personne autiste ne confond l’autre avec elle-même, car il ne s’agit pas d’un trouble mental, mais d’une différence neurologique qui implique des perceptions et des intégrations cérébrales différentes. La personne autiste sait qui elle est et qui lui parle, mais n’aura pas toujours la possibilité de s’affirmer en tant que “Je”, tant qu’elle sera en présence d’autrui ; ainsi, le fait de ne pas être seule peut l’empêcher de bien ressentir les contours de son corps.
La présence de quelqu’un peut devenir trop forte et lui donner des sensations sensorimotrices très dérangeantes, comme une sensation de tournis ou de picotement sur la peau, du fait d’une difficulté à appréhender l’ensemble d’une situation et à ne pas donner trop d’importance à des détails. Le TSA est à l’origine de difficultés pour exprimer ses besoins parce que ce n’est pas toujours facile de le faire dans un groupe et parce que les codes sociaux ne permettent pas de le faire. L’enfant ou l’adulte autiste subira des remontrances, des regards de désapprobation, s’il crie ou s’il manifeste sa colère, son désaccord, et il risque de ne plus oser exprimer ses besoins, car il ne saura pas comment le faire de façon appropriée pour être entendu, sans se sentir rejeté ou critiqué. Tandis qu’une personne autiste ne veut pas déranger ou attirer l’attention sur elle, elle doit néanmoins pouvoir donner le change en permanence et va souvent rendre service, écouter ou ne pas savoir dire non à une demande. Comme les autres le font, comme la société le demande, il est compliqué de savoir à quel moment il est possible de s’isoler, ou comment faire pour demander des aménagements, que ce soit au travail, à l’école ou à la maison.
Sans le savoir, les personnes de l’entourage prennent beaucoup en demandant de l’attention, ou en remettant en question ce que dit la personne autiste. La personne autiste va sentir son environnement, son espace être grignotés petit à petit avec un sentiment d’inconfort de plus en plus grand sans savoir comment enrayer ce processus et comment ne pas détruire une relation amicale ou amoureuse. Son système de valeurs risque de rentrer en contradiction avec ses besoins et l’amener à aller beaucoup trop loin dans les efforts et le renoncement à ses propres besoins.
Difficile de garder un réseau et une vie sociale avec un TSA, car par moments l’envie de sortir et de rencontrer les autres n’est plus là ; l’énergie pour téléphoner, écouter ou répondre aux messages est absente.
Le déficit d’inhibition latente et toutes les problématiques sensorielles vont empêcher la personne ayant un TSA d’être capable de faire abstraction de la personne présente à ses côtés ou même dans la maison. Ainsi, elle aura beaucoup plus de mal à se concentrer et pourra même ne plus pouvoir réussir à organiser son quotidien ni à déterminer ce qu’il faut privilégier. Elle aura tendance à se caler sur le rythme de l’autre au détriment du sien, à ne pas parvenir à écouter ses envies ni à réaliser les choses qui doivent être faites. La personne autiste va se retrouver figée, comme en attente et incapable de faire quelque chose tant qu’une personne est là ; elle sera alors très soulagée lorsqu’elle se retrouvera enfin seule, et pourra avoir un regain d’énergie et faire tout ce qu’elle souhaitait faire.
Les personnes autistes, lorsqu’elles sont stressées, ne savent pas nommer leurs émotions et leurs ressentis et ne pourront pas avoir recours à des discussions pour se rassurer. Face au stress intense, la personne autiste aura surtout besoin de revenir à elle-même, à son corps, comme lors d’un état de stress post-traumatique. Plus la personne autiste est fatiguée, plus l’entourage, le bruit, les sensations corporelles prendront de la place et l’empêcheront de se sentir bien avec elle-même. Le risque de ne pas prendre en compte ses besoins est d’arriver au surmenage et à l’effondrement, ce qui peut impliquer une crise de colère, de larmes, des crises d’angoisse, un arrêt de travail et d’autres problématiques pour la santé et pour l’équilibre de la personne.
Il est donc fondamental d’apprendre à déterminer ses limites, de trouver comment interagir avec les autres sans s’exposer de façon trop intense et de déterminer le bon dosage de temps passé dans les moments de vie commune avec des personnes proches afin que la personne autiste puisse avoir une vie plus douce avec davantage de prise en considération d’elle-même.
Enfin, une personne autiste peut être plus patiente, plus à même d’écouter les autres, et ne pas vouloir faire subir le rejet qu’elles ont vécu à d’autres personnes. Éviter une discussion ou ne plus parler à une personne pourra donc être très anxiogène pour elle qui se sentira coupable ou ne saura pas comment s’y prendre pour signaler qu’elle n’est pas intéressée par une relation, même amicale, avec quelqu’un.
En résumé, ce qui est difficile dans le rapport à l’autre :
- Le fait de ne pas se laisser envahir par les sollicitations
- Le fait de ne pas réagir ou subir les blagues, les taquineries et d’autres provocations
- Répondre et accueillir les questions personnelles et ne pas être tenté de se justifier ou d’entrer dans une impasse conversationnelle
- Répondre aux conventions sociales
- Sentir et fixer ses limites en termes de communication ou de sollicitations
Comment surmonter ces problématiques?
- Gérer les priorités : faire passer ce qu’on a à faire avant les demandes des autres.
- La méditation peut permettre d’apprendre à gérer ses émotions ou à se mettre à distance d’une situation.
- Avec le temps, la personne autiste peut apprendre à noter les signaux et peut relever les moments qui indiquent que l’autre a trop envahi son espace physique ou psychique. Pour sentir comment elle se sent, elle peut effectuer régulièrement un scan corporel grâce à des techniques telles que le MBSR et la pleine conscience.
- Le fait de retrouver ses passions, ses habitudes, ses animaux va aider à apaiser la personne autiste même en se sentant débordée et envahie, ou impactée par l’extérieur.
- Le casque de réalité virtuelle permet une immersion dans une ambiance alternative et peut aider à se réfugier seul avec soi-même.
- Respecter son besoin d’intimité et d’espaces personnels.
- Apprendre à formuler ses demandes.
- Ressentir le moment où cela commence à être trop et où il faut aller se reposer.
En conclusion
Comme pour toute personne en situation sociale, le TSA implique des interactions avec les autres qui vont l’impacter plus ou moins. Tout le monde est sensible à son environnement, aux émotions des autres et aux remarques qui lui sont faites. Ce qui distingue une personne autiste des autres personnes en situation sociale est le fait de parvenir à sentir le moment où les interactions prennent trop de place pour elle, mais également le fait de ne pas toujours savoir trouver sa place et préserver son espace. La durée et la qualité de l’isolement social nécessaire pour récupérer seront également plus importantes pour une personne autiste que pour une personne neurotypique. Cette dernière peut s’extraire d’une situation pénible plus rapidement ou, du moins, sans nécessairement avoir besoin d’être seule.